Les histoires d’un jour se lèvent le lendemain aux bras d’autres récits

Les histoires d’un jour se lèvent le lendemain aux bras d’autres récits. Celui qui te masquait le chagrin et la peine dessine désormais sur des mers lointaines des lettres aux courbes lentes, que les vagues encore mugissantes déposent sur la plage. Tu y réponds sans cesse, et la marée transporte cette correspondance sur les ailes du vent. Voilà d’où il venait ce grand bruit dans la nuit, d’un pet de capitaine sur le tillac fantôme d’un navire qui sombre. Tu crois que je me moque, mais qu’en sais-tu? Je vois ton œil narquois relire, un peu plus haut, les premières phrases, cherchant l’exact endroit où change le discours.

Tes mains sont sur la plage, décrivent des volutes sur le sable. Ton esprit volubile rédige son message qu’un albatros relit par dessus tes épaules avant de l’emporter par delà les océans jusqu’à moi, qui l’espère. Je ne survivrais pas à ton silence. Nous avons partagé tant de lueurs blafardes, de nuits sourdes et d’embruns meurtriers quand, sur les ponts luisants nos vies glissaient sans rompre leurs amarres, qu’aujourd’hui sur cette île où je me suis échoué les larmes inutiles scintillent comme une lame de couteau brisée. Par les venelles étroites tu remontes à présent vers la ville haute, au sommet de laquelle s’ouvre l’horizon quand, les volets ouverts, tu respires et m’embrasses. Que ce baiser est doux. Je suis si près de tes lèvres que j’en tremble de fièvre sur mon rocher perdu. Des sternes sourcilleuses aux rires cyniques m’épient et me menacent. Ce caillou est le leur, il n’est que mon exil, mais c’est le seul endroit d’où je t’aperçois, alors je me débrouille pour conserver ma place.

J’aime les géraniums qui pendent à ton balcon et la ferronnerie des balustres quand tu te penches pour voir si dans la rue je ne remonte pas. Le rouge carmin des fleurs évoque la rondeur de tes seins à la pointe desquels les aréoles se dressent comme une table mise pour la venue d’un prince. Saurais-je encore me tenir correctement, en ta présence, quand ici la seule nourriture est l’espoir, que mon esprit s’écaille et que grandit ma soif d’en finir. Que l’air doit être frais sur le Campo Alto. Tu y allais souvent, trop à mon goût. J’étais jaloux. Tu revenais les jambes cinglées d’éraflures de ronces, épuisée mais ravie de déballer soudain de ton cabas quatre récipients combles de mûres violettes comme de l’encre. Parfois moi aussi je te rendais jalouse. Quand j’allais sur le port. Tu pensais que quelques sirènes me tourneraient l’esprit, et il est vrai que parfois, sans y songer vraiment, leurs chants me séduisirent sans que pour autant je me jetasse à l’eau.

Sur le pont des navires où tu m’accompagnais de ta présence diffuse, j’ai vu bien des saisons et pour toi survécu à tant de dépressions qu’il m’est devenu impossible de noyer mon chagrin et ma peine dans la décrépitude de l’absence. Si le cuir tanné de ma peau s’est durci sous le sel, le vent a su graver de magnifiques rides et, les copiant sur l’onde, les courants sur les filets du temps à tes pieds les déposent en écumes légères. C’est ainsi que je t’aime. C’est l’Eté, dans la ville, et les touristes affluent. Le port, en pleine effervescence, draine sur ses quais des partances joyeuses, des foules colorées qui partent sans regrets, et toi ce soir, je le sais, je le sens, évanouïe dans la nuit qui descend, à quelques encablures de là tu marches sur le sable en direction du phare où j’attends ta venue.

Dans cette crique où nos amours fondirent le sable en cristal, où la roche fleurît et l’océan poudroya nos élans tu arrives à présent. Vêtue sommairement de ta chair fragile de femme, laissant les continents s’enfoncer dans l’absurde, tu entames une danse et m’en montre les pas. D’ici, en plein soleil, je te regarde faire. Vaste est la mémoire qui contemple l’horizon, et vivace l’esprit dont le cœur est rempli. Tu danses divinement. Je gagne le rivage, libérant les sternes d’une cohabitation contrainte et forcée. Sur le rythme saccadé des vagues mon corps en transe décuple son énergie. Déchirant les océans nos mains expertes peu à peu écorchent les distances, et mille lieues soudain ne sont plus rien, que cet endroit précis où nos corps se pressent et se saisissent. Au balcon fleurissent les géraniums, sur tes tétons mes lèvres durcissent le ton et notre rire détruit la peine et le chagrin des ailes de l’albatros. Les histoires d’un jour se lèvent le lendemain aux bras d’autres récits.

AK

08 03 2009

4 commentaires sur “Les histoires d’un jour se lèvent le lendemain aux bras d’autres récits

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