passage à la caisse

Je crois que j’ai commencé à perdre la boule quand j’ai vu cette rouquine coiffée d’un large béret bleu assise dans l’allée, juste en face du passage aux caisses de la moyenne surface où la middle class va dépenser ses trois ronds en produits emballés pour ne pas se salir les mains et qu’on imagine le soir dépiautant le plastique en se régalant à l’avance du parfum de cette charcutaille industrielle, de l’aspect immaculé du pot de crème fraîche primeur ensevelie sous trois couches protectrices et du plat cuisiné tout prêt à bondir dans l’assiette avec l’image du cuisinier réputé qui l’a concocté pour eux spécialement dans une casserole publicitaire luisante de royalties, ce qui fait que d’un coup, d’un seul, bien sûr on ne se rend pas compte qu’on est en train de perdre la boule à la vision d’une rouquine à béret bleu, sans détailler la rondeur des chairs le rosé de l’incarnat des joues, la bouche lippue et les mains baguées, surtout quand cette image subite advient alors que vous tapez votre code confidentiel, par-dessus tout confidentiel, à l’abri des regards indiscrets dont peut-être elle-même est détentrice, avec son air d’attendre le fils de vingt ans qui fait ses emplettes de bière, de coca cola d’amuse-gueule et de vodka Glasnot avec, planqué dans son caleçon, quelques grammes de dope entrés par effraction et qui ressortiront indemnes bien que légèrement plus humides, ce qui lui permettra, à ce fils indigne, d’en revendre un poids supérieur à l’achat, et de se payer ensuite, qui sait, avec le bénéfice, un foulard de louveteau qui espantera sa mère, ou un maillot de bain moulant en Lycra extensible pour épater sa maire, et voilà mon code confidentiel ne passe pas la frontière et la cheftaine avec son béret , c’est là que j’ai commencé à perdre la boule, m’a alors dévisagé d’un air curieux, introspectif, faisant naître en moi un sentiment d’extrême culpabilité que les autres clients de la caisse ont appuyé à leur tour, soit par agacement et impatience, soit parce qu’avec tous ces criminels bandits escrocs qui traînent partout dans la ville, dans les panneaux publicitaires arborant soit des cuistots renommés soit des beautés qui n’ont pas honte de leur 95B, ce qui n’est pas, dois-je le dire, le nom de la ligne de bus que j’ai dû prendre pour aller faire mes courses dans la périphérie mais bien la taille de deux jolis melons un peu féeriques et parfois hystériques, tout dépend si vous habitez un quartier historique ou un centre ville délabré, n’empêche que l’espionne au béret a fait signe à son fils de prendre la file de la caisse d’à-côté car dans la mienne un bouchon de quinze caddies ( marque déposée ) commençait à se former et les gens qui observaient ceux qui m’observaient et que j’observai en douce en profitaient pour planquer dans leurs poches quelques plats préparés emballés, de ceux qui ne salissent pas les poches ni les mains, enfournaient des boîtes de thon en miettes et de petits pois extra-fins, tandis que la caissière se limait les ongles en discutant avec sa collègue, qui avait un tout autre problème avec son rouleau qui ne voulait pas s’insérer dans la fente de l’imprimante, bref c’était à la fois gai et déprimant et finalement la rouquine à béret avec son air de sainte Nitouche s’est levée et le montant de mes achats a été validé par le code confidentiel au second round, et je crois que cette femme y était pour quelque chose et que c’est elle qui m’a fait perdre la boule et mon code confidentiel, par-dessus tout confidentiel…

01 09 2011

AK

4 commentaires sur “passage à la caisse

  1. Un « pétage de plomb » à la caisse d’un supermarché. Cela me rappelle un film – Chute libre ? – dans lequel l’acteur principal Michaël Douglas pétait lui aussi un plomb alors qu’il était pris dans un embouteillage.

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      • Non,
        Une pilule jaune le matin, une rose à midi et une rouge le soir pendant une semaine. Si cela ne va toujours pas, je connais une bonne clinique privée de l’un de mes amis. Vous m’en direz des nouvelles.

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