étendre la lascive (épisode 3): « ça se complique! »

(épisodes précédents : cf dans catégories  « écrits ici et pas ailleurs »,

Ma nuit fut blanche. Il me sembla que les draps que Joseph et Nadine avaient étendus la veille m’offraient pour tout malentendu l’absence de vertu, comme ces petits grains de poivre qui font, quand on dort seul dans un grand lit, les rêves érotiques que broie le réveil au matin. Je m’éveillais en sursaut. Comme un kangourou fuyant l’incendie, vous ne savez pas l’impact qu’un tel saut du lit peut avoir sur le cinquième continent, mais si les forêts brûlent ce n’est pas pour planter des croix en fer, aussi forgées soient-elles dans une logique absconse de créationniste.

Qui était ce bébé resté seul dans sa poussette au milieu du jardin d’enfants, alors que sa grand-mère Marguerite avait disparu sans laisser de trace de cette chambre qu’à présent je louais depuis une petite semaine. Où était la vieille, et qui occupait la poussette à cette époque ? Était-ce Joseph ou Nadine, ou un autre, lui-même disparu de la circulation ? Voilà bien ce qui m’interrogeait.

Une chose était claire : les deux moutards, Nadine et Joseph, de la famille Bougy avaient été élevés à la dure, et nul ne possédait le médaillon d’enfant gâté. Mon enquête résidait dans le fait de retrouver la grand-mère disparue et dans un second temps le ou la légataire de ses biens. C’était du moins ce que contenait le papier à en-tête du notaire que j’avais pu me procurer par ailleurs, mais dont un énorme pâté masquait le nom. Et ce legs était faramineux pour de tels bouseux. Selon mes sources, parmi ces deux lascars, un ou une deviendrait riche (inutile de préciser immensément riche) tant le mot déjà remplit les poches des désespérés immensément pauvres.

Louise fût la première à laquelle je posais mes questions, ne les définissant pas avec précision, pour qu’elle y réponde sans douter. C’est la méthode qu’emploient les chats quand ils n’ont rien d’autre à faire sauf à l’heure où les gamelles s’emplissent en tintant. Il me fallait commencer par le début : étendre la lascive. Au départ, coucher avec elle ne me parut pas très honnête de ma part, mais sur le matelas à ressorts et coton nous entamâmes des révélations qui encraient mes premières notes, assez illisibles il faut l’admettre car ponctuées de hiii haaa encooore ouiii et autres pâtés intraduisibles et délicieux sur l’instant, avant que le papier buvard n’intervienne pour remédier au flot de paroles incongrues non compatibles avec les aveux d’une ménagère dont le mari est chasseur et, peut-être, va-t’en guerre contre les amants de sa femme (je n’étais pas le premier, m’avoua t-elle entre deux soupirs).

Nous abordâmes un peu plus tard le sujet concernant sa mère, dont elle se rappelait quelques traits physiques et de caractère qui me furent très utiles par la suite, bien qu’il ne s’agît que de futilités cancanières. La mère de Louise se prénommait Marguerite, mais on la connaissait sous le diminutif de Margot. Elle était née dans les années trente à Bourbon-Lancy où elle avait passé son enfance et moindrement sa jeunesse, montant à Paris travailler à l’âge de dix sept ans. Un oncle garagiste lui avait dégoté ce boulot : femme de chambre chez un marchand de montres nommé Marchall, habitant au 155 rue Dauphine (prière de parler dans l’hygiaphone). Elle occupa ce poste durant cinq ans puis épousa Marchall, qui fricotait par ailleurs avec des gens peu recommandables et s’était lancé dans le trafic de montres suisses.Ils se marièrent à la mairie du XXIe arrondissement qui venait d’être inaugurée. On n’y avait uni que quelques inconnus célèbres, dont la fille d’un Hidalgo et un jeune godelureau du nom de Griveaux, dont Albert Marchall, qui était également grand chasseur de têtes, corréla le nom avec grives hautes, ce qui lui plu. Ils vécurent dans la capitale plusieurs années, et ce fut en 1965 que Marguerite, épouse Marchall, mit au monde à l’âge de trente cinq ans une fille : Louise.

Louise me sembla-t’il, avait de nombreuses similitudes avec sa mère. En effet, à dix huit ans, elle rencontra Hubert Bougy monté à Paris pour chasser illégalement les araignées dont un pote à lui du nom de Villani faisait la collection. Leur rencontre eut lieu dans un reptilarium des quais de Seine un vendredi soir, alors qu’Hubert venait s’approvisionner en souris et petits rats d’opérette parisiens pour ses prochaines captures.

Ils se marièrent également à la mairie du XXIe arrondissement qui venait d’être reconfigurée en garage à vélos et trottinettes pas encore électriques, mais l’on pouvait également y refaire cartes grises et actes de mariage, retirer des colis et des baguettes de pain de chez Poilâne. Au bout de quelques années Louise et Hubert ressentirent l’appel du grand large, qu’on appelle communément odeur de bouse de vaches, ou vent caramélisé au purin dispersé dans les champs, les bois et les plaines d’un autre pays, d’une contrée fleurant la liberté à condition de porter une pince à linge sur le nez et des bottes aux pieds. C’est ainsi qu’ils acquirent cette ferme, aux confins du monde, oubliant la ville lumière et Marguerite, tout au moins pour un certain temps.

(à suivre?)

03 02 2020

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