Étendre la lascive (épisode 6) : de la volupté du sommeil

Après le repas, durant lequel Hubert et Louise moquèrent la coupe de cheveux de Joseph, alors que Nadine restait le nez plongé dans son assiette, j’ai regagné ma chambre, pour y faire une petite sieste. Étendu sur le lit au sommier en fers plats croisés agrémenté d’un matelas à ressorts et coton pulvérulent tant il était antique, mais où nombre poussières d’étoiles s’étaient couchées sur la toile de jute, je regardais le plafond avant de clore mes paupières. Outre quelques taches d’humidité et des morceaux de peinture écaillées en rupture de cohésion sociale (le plafond de la sécu se situant au ras des pâquerettes, celui-ci avait conservé les traces de nombres luttes et vicissitudes, bien plus nombreuses que les sept ciels qu’aurait réunis un lit à baldaquin. Et les nubiens sculptés sur les poteaux du dosseret n’incitaient guère à de quelconques escapades dans les lupanars de Tanger ou des BMC.

J’allais fermer les yeux lorsque je découvris deux fils de soie arachnéenne tendus entre la lucarne et le plafonnier, qui scintillaient parmi les toiles d’araignées ancestrales que prisaient les comtes de Bohème, de Transylvanie, les costards de Villani. Je tentai vainement de savoir si une bestiole à huit pattes se trouvait dans la pièce, observant les angles tridimensionnels du haut des murs de la chambre. Une espionne, envoyée par la concurrence (le Daily Télécom), chargée de copier mes articles et de m’en usurper le copyright (in the web). Un genre parasitage russe dans la campagne américaine/française. Mais je sombrais dans un sommeil torpide, ayant cette vision fulgurante : Joseph versant dans le cruchon de vin du déjeuner quelques cachets de somnifère (en vente libre dans les para-pharmacies d’extrême orient). De fait, je me réveillais l’esprit embrouillé, comme ce récit, vers seize heures.

Dans la cour un tracteur qui devait dater de la révolution de 1917, pétaradait. Je me levais, légèrement vacillant, et allais jusqu’à la lucarne : Hubert, au volant de la machine, transportait dans les fourches du tracteur (qu’il avait bricolé) une meule de foin sur laquelle les deux gosses étaient juchés, riant en restant bien accrochés aux cordages liant la meule. Leur bonheur, jailli dans cette petite aventure, cet espace restreint et le minuscule trajet du voyage, me touchèrent. Les chiens tourniquaient en jappant, il faisait beau. Il était rare de voir des gens heureux dans cette contrée perdue, et je les observais depuis ma vigie quand Louise frappa à la porte.

Tenez, John, je sais que vous aimez le thé vers tea time, et j’ai préparé quelques biscuits secs en cachette pour vous. Elle déposa le plateau sur la table de chevet, et tout en parlant, s’assit sur le rebord du lit, commença à se déshabiller, déclarant d’une voix douce : j’ai encore des confidences à vous faire, sur Marguerite Marchall, son mari et Micromégas le petit chat. Mais à une condition, répondez-moi de suite, John Carpenter, j’ai beaucoup à faire.Je donnais mon accord. Elle posa alors son soutien-gorge rouge 105C sur la table noircie par le frottement de l’ennui, assez épaisse pour y poser les coudes du désespoir sans céder au suicide : s’il vous plaît, John, une fois encore, je vous prie d’étendre la lascive !

J’attendis mercredi pour tenter d’obtenir quelques éléments de la part de Joseph, qui paraissait le mieux placé quant au legs de sa grand-mère Margot. La veille, mardi, je rédigeais un court article pour le New York Telegraph, que j’allais poster moi-même dans la boîte à lettre du village. Ce village était un peu semblable à la mairie du XXIe parisienne : c’était un vieux commerce , on pouvait y boire un coup sans le dire aux technocrates, y déposer des lettres (qui seraient distribuées par la poste une ou deux semaines plus tard), y acheter des légumes du coin (bien que la grande majorité des habitants les y cultivent déjà dans leurs potagers). La mairie était ouverte au public deux jours par semaine, on pouvait y déposer sa trottinette, son acte de mariage ou de décès, mais souvent me raconta Hubert on y déposait des œufs pourris pour que les estrangers ne viennent pas nous emmerder, avec les anti-chasse, les anti-corridas, et les anti- lard de cochons qu’on nous accuse de donner à nos vieux quand ils ont cassé leur dentier sur des couniks rassis et ne peuvent plus mâcher. Enfin, monsieur, c’est insensé !

Au fait, me demanda Hubert, quelle est la raison de votre présence ici ? On ne rencontre que très rarement des étrangers, par chez nous. Mais je ne voudrais pas être indiscret, vous savez.

(à suivre?)

07 02 2020

AK

7 commentaires sur “Étendre la lascive (épisode 6) : de la volupté du sommeil

  1. BMC ? c’est un truc tordu ou quoi ?

    Quoi ? si tu continues ? ben il me semble que tu ne peux plus faire autrement !…
    Je m’inquiète juste de savoir si je vais connaître -ou pas- la fin avant jeudi prochain.

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    • BMC est un acronyme qu’utilisent (utilisaient?) les militaires en mission : Bordel Militaire de Campagne. A ne pas confondre avec DMC, qui est une marque de fil à coudre bien connue et bien plus sympa!
      Je ne peux rien dire de la date où cette histoire finira (si elle finit), car je marche au pifomètre. Pour le moment, j’espère que ce n’est pas trop compliqué à suivre (sauf si on le prend en route), et reste cohérent (si on peut dire!!!)

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      • J’avais hésité avec BMW, c’est la dernière lettre qui gênait ma compréhension. Je vois bien que c’est au pifomètre que tu « avances », attention à ne pas t’embourber, avec le déluge qui va poindre le bout du nez. Remarque comme ça la lascive ne séchera pas trop vite ! J’adore ce récit fol dingue !

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  2. Dis donc ça va finir en roman, c’t’affaire qui tourne au Boris Vian et pas du tout au Maupassant que j’avais entrevu dans le premier chapitre, ce qui est loin de me déplaire.
    Evidemment tu continues!

    Aimé par 4 personnes

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