si froidement je te disais je t’aime

Si froidement je te disais je t’aime

Tu répondrais que tu es le dernier

Le dernier des Mohicans

De ces amants que j’ai tant brisés

et ce serait pure vérité

Sur ta veste en velours côtelé

Seules les mites posent un baiser

Si froidement je te disais qu’hier

Ne ressemblerait plus à demain

Tu aurais sans doute lâché ma main

Toi qui aimait l’hiver tu blanchiras

La neige, le souvenir des trépassés

L’enfance de la gaieté partagée

Le matelas gris sans sommier

L’accordéon qui jouait sur son tabouret

Tout seul, sage comme un enfant

Si froidement je te disais écoute !

Il chante dans mon ventre sans doute

L’amour au fond des oreillers, puis disparaît

Sans la moindre trace d’accouchement.

Pourtant l’enfant est né

Et tu dois pour survivre

Courir autour du monde

Sans jamais oublier, sans omettre

Qu’aujourd’hui comme hier

Je ne t’ai jamais rien dit, sauf

Que ta veste en velours, un jour ou l’autre,

Dans une nuit de poudre blanche,

Serait trouée par un amour perdu.

15 01 2021

AK

Histoire du dimanche (pas très catholique)

La vie est curieuse et les souvenirs en forment la citadelle. C’est ainsi que m’est revenue cette anecdote de ma jeunesse, du temps où j’étais charpentier couvreur. En taillant un chevron ma scie circulaire avait ripé et je m’étais entaillé le doigt, l’auriculaire, celui qui dit fais attention avec ces putains d’outils électriques, bref le doigt qu’on n’entend pas dans le vacarme assourdissant de ces engins de malheur. La blessure était légère, disons une éraflure un peu plus profonde que le froissement d’un chant de sauterelle, ce compas amovible en bois, dans le coincement d’un angle. La plaie saignait et j’y portai mes lèvres.

La vie est curieuse et la religion parfois subversive. Quand je me mis à téter mon doigt, ce n’était pas le goût du sang que mon palais goûta, mais bel et bien celui du vin. Un vin rubis, gouleyant dans ma gorge, qui répandit ses arômes dans tous les tréfonds de mon corps, jusque dans ma cervelle. L’abus de sang est christique, ses interprétations festives. Je buvais mon sang avec ivresse, allant jusqu’à relancer la scie circulaire à mettre en pièces d’autres parties de mon corps, telle une danse sauvage rythmée par le son monocorde du moteur relié au fil branché qui me pendait au cou, lorsque Lucifer coupa le jus et monta en vitesse des enfers jusqu’à moi, qui délirais, braillais des chansons paillardes sur la charpente, mortaises et tenons (« Tiens, v’là mon Léon qui est mortaise, viens Lapinette mes mains sur tes seins sous-tenons, avec mes paumes douces et caleuses, Léon rendra les femmes heureuses ! » -le lecteur peut s’imaginer la teneur du sang qui coulait alors dans mes veines, soit dit en passant-).

La vie est curieuse et quand je la regarde, curieusement le miroir disparaît. Les souvenirs ne reviennent qu’enchevêtrés de nuits, et la citadelle de mes paupières nourrit un temps passé, sec et nu, ou bouillant comme l’huile jetée du haut des meurtrières, pauvres diables grimaçants en dessous sous la douleur d’avoir un jour aimé l’unique chair de nous-même, bu ce sang enivrant dont les vignes en automne chantent l’allégresse et font danser les grappes . Mais à trop attendre, le vin comme le sang finit par tourner vinaigre. Alors naissent les conflits, puis les guerres. A la moindre blessure la peur encourage l’hémorragie, la scie circulaire devient objet revanchard, les bois de charpente se destinent potences, la sève des arbres ne coule plus, de leur écorce pendent des nœuds coulants. La citadelle ré-hausse ses murs, les remparts se hérissent et curieusement la vie s’évade, meurtrie, poussant à bras le corps son désespoir, ses danses sauvageonnes et ses religions mortes.

15 01 2021

AK

7 commentaires sur “si froidement je te disais je t’aime

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