Plumitif, plumitive, oiseaux de proies ?

J’ai parfois pensé qu’écrire était comme un chant de nouveau né : le cri primal. Désormais, à l’approche de la mort, j’ai retrouvé la source de tous mes mots perdus, égarés par la jeunesse des brouillons, l’obsolescence des années. Disparaître dans le silence, la dernière aventure de l’épistolier, du désuet, du plumitif qui vole au ras des mots la poésie des laboureurs de temps, qui chaque jour à l’aube retournent la terre le sable et le vent des sentiments, des laboureurs de temps aux mains épaisses qui nourrissent les citadelles, ailes coupées comme des poules nourries de gazoline et de tracteurs serviles qui les empêchent d’entendre le chant des oiseaux, les brames tardifs des cerfs. Tout est rentabilité, tous sont sous contrats. Écrire un livre est en écrire un autre, semer et récolter un champ c’est replanter pour la prochaine récolte.

En fait, il n’y a aucun choix entre le berceau et la tombe. L’enfant est beau, il a du succès auprès des proches, déjà couvert de lauriers le petit braillard. A quinze ans on lui demande « qu’est-ce tu veux faire plus tard ? » Il répond « je voudrais me faire tatouer des plumes sur les bras pour m’envoler d’ici ». Les parents pensent qu’il faudrait lui faire un baptême de l’air en Montgolfière, mais l’ado regimbe et deux ans plus tard, prenant ses jambes à son cou, il s’évade du cercle familial et embauche dans une basse-cour de plumitifs parisiens, où il fait ses premières armes, plutôt à gauche, puis se discrédite car il a employé un mot de trop : silence. Déçu, il erre dans les rues de la capitale, harcelé par les pigeons et les piafs ainsi que par quelques individus qui tentent de lui dérober le petit manuscrit qu’il cache dans sa braguette. Les ailes du destin se réfugient où elles peuvent.

J’ai pensé qu’écrire était un chant de nouveau né, et la vieillesse n’a vérifié qu’un fait : crier donne des ailes.C’est pour ça qu’on les coupe. Mais les cris remplissent aussi les urnes. Rien ne s’envole, si ce n’est les maladies. Blouse blanche du papier sur la ligne éditoriale, silence du clavier sur les maux qui s’affichent à l’écran, plumes d’oiseaux trouvées dans les rotatives ou pilonnage des invendus, écrire un livre est en écrire un autre, semer et récolter un champ c’est replanter pour la prochaine récolte. Tous sous contrat, tous sous contrainte. Se soumettre au bon vouloir des éditeurs, des critiques (« le masque et la plume » que j’écoutais à Paris est devenu à vomir).

Il pleut il fait beau, on se les gèle aussi, les ailes. Mais tant que quelques un(e)s viennent se blottir contre ce petit blog tout chaud, ma foi, depuis bientôt dix ans, j’écris, je raconte, je photographie. En silence.

Quand tous les pays auront construit leurs murs, il n’y aura plus de bibliothèques !

20 11 2021

AK

11 commentaires sur “Plumitif, plumitive, oiseaux de proies ?

  1. Oui, j’ai également écouté cette émission. Il y a sur France Culture deux émissions que j’aime beaucoup (que l’on peut re-écouter en podcast ; « les pieds sur terre » à 13h30 et « le feuilleton » à 19h30. Sur celui-ci a été mis en ligne voici quelque temps « les misérables », c’est vraiment prenant !
    Bon dimanche !

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  2. Très beau texte. Ecrire, c’est tant de choses. A la fois crier et chercher le silence à travers la petite musique des mots. Un travail, mais surtout une passion. Comme le dessin ou la photo. Et tant pis pour tous les autres., les pigeons, les piafs et les connards de la Terre.

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  3. Connais-tu une seule personne qui écrit qui ait le moral ?
    Je trouve ton texte très beau, un livre est un jardin, j’aime bien l’idée, que l’on retrouve aussi chez Simonu et je me demande ce que tu attend pour le faire, ce livre 😉
    A ce propos as-tu lu l’excellent Brooklyn Strasse de Gabrielle ?

    Sinon laver les enfants dans l’eau de la vaisselle est très écolo et très économique, surtout dans une bassine manifestement trop petite. Ma qué tristesse !

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    • Pour dire la vérité j’ai beaucoup de mal à ouvrir un bouquin depuis quelques mois, donc à lire. J’en ai plein qui attendent (celui de Patrick Fouillard, dit Jourd’du toujours pas entamé) et d’autres que je laisse tomber après en avoir lu une trentaine de pages. C’est très con. Je vais rectifier le tir, la lecture d’autres auteurs permet de faire travailler sa propre imagination. Pour Gabrielle, je devais le faire mais le temps a passé et j’ai oublié de le commander (ça va faire un an déjà).
      Pour l’enfant t’inquiète, il s’en est bien sorti ! 😉😜

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    • J’ai aussi des moments de vide pour la lecture. Des moments tristes et puis un jour ça revient et je dévore. J’ai découvert récemment Calacciura, ça te plairait, Ammaniti, et du coup j’ai fouillé le rayon littérature italienne, Primo Lévi dont j’ai à peu près tout lu, et puis par hasard je suis tombée sur l’Apeirogon de Colum Mc Cann, l’un des plus beaux livres que j’aie lus.
      N’oublie pas Brooklyn Strasse, tu vas aimer.

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    • C’est Gabrielle Segal qui ne l’a pas. Je l’ai écrit en pensant à elle.
      Perso,,Chinette et moi avons enrichi notre lit d’un nouveau matelas, alors ne me réveille pas avant onze heures demain matin. Mince, c’est mon tour d’aller acheter les croissants! (je vais remonter le réveil à onze heures cinquante!)

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