Comment prendre langue avec son chat et lui donner sa déraison

(un récit qui frôle le vérisme)

Une étrange coïncidence. Voici quelques jours, je dînais en Espagne, juste derrière les Pyrénées, dans le village de Sallent de Gallego, des côtelettes d’agneau à la braise délicieuses. Le mauvais temps avait invité les nuages à balayer le ciel. Il faisait bon. La serveuse, jeune comme la plupart des employés de la restauration, souriante. Nous commandâmes repas et boisson. Une fois servis, nous dégustâmes. Je mâchais longuement pour savourer chaque bouchée lorsque soudain je sentis un frôlement sur mon pantalon : c’était un chat. Vous me direz : « et alors ? » Sauf que ce chat était Petit Lion, notre chatte, censée être restée à la maison de l’autre côté des montagnes, avec les trois autres félins qui y résidaient. Copie conforme du même animal : couleur, rayures, longueur de moustaches, ronronnement. J’ai dit à Louisette : « c’est un signe ! Il n’y avait pas de chat dans la voiture, et voici la minette qui apparaît ici, dans ce bled en pleine montagne ! »

Ceci peut paraître absurde, mais toutes les légendes et les frayeurs pour certains quand on parle de Pandémonium ou des neuf vies des chats me sont revenues en mémoire. Que sommes-nous, nous pauvres humains, avec une seule vie barrée de guerres de religions, nous qui avons l’âme affûtée comme un couteau pour mieux nous égorger, et Petit Lion qui passe la frontière, se téléporte et vient se frotter à nos jambes, pas de miaulement, juste la démarche d’un félin qui nous accompagne, nous surveille sans doute et surtout nous prévient : soyez prudents après-demain, sur la route du retour.

Le lendemain, un temps très agréable s’est offert pour nous rendre où je voulais retourner (le balneario de Panticosa, cf article précédent). Une belle journée. De retour au bourg, deux fois le tour pour trouver une place où stationner. La soirée était clémente devant un verre de Sotomano. Bref, le chat avait disparu, et pourtant je restais vigilant quant aux signes de prudence qu’ elle (Petit Lion) nous avait indiqués.

Le lendemain, comme l’avant veille, un temps pluvieux. La nuit suivante, nous écoutâmes de longs discours qu ‘échangeaient entre elles les montagnes, et dont l’écho se répercuta durant trois heures dans la haute vallée de la Tena. Les pics les plus solides semblaient réciter aux enfants de ne pas jeter leurs moraines partout et les petits sommets pleuraient de ne pouvoir jouer à écraser les randonneurs en espadrilles et les moutons en estive.

Après deux nuits très agréables dans un hôtel cosy , il nous fallut rentrer a casa . Passer le col du Pourtalet (1794 m) et redescendre dans la vallée. Cent kilomètres sous la pluie. Les moutons des alpages formant des cercles compacts, pas une tête qui dépasse, juste collés les uns aux autres, attendant que l’orage passe pour retourner brouter en paix. Nous roulions prudemment, sur les conseils de Petit Lion, les essuie-glaces commençaient à crisser entre deux fortes averses, la route s’inventait au fur et à mesure que nous la parcourions. Le pommeau du levier de vitesse me resta dans la main. Puis le caoutchouc de l’essuie-glace principal commença à se déliter. La conduite se fit hasardeuse, mais sur les conseils de Petit Lion nous arrivâmes à la maison sains et saufs.

Louisette ouvrit le portail, sous la pluie. Je garais le véhicule. Petit Lion s’était planqué sous la table de jardin : elle nous attendait. Je l’appelai, mais elle ne réagit pas. J’eus beau insister, elle me tourna le dos, un brin méprisante. Mais lorsque je lui dis « ¡Vamos gatito, déjame darte algo de comer!+ », la minette arriva en riant.

(+allez minette viens que je te donne à manger !)

Je me suis alors aperçu que j’avais en face de moi le chat espagnol, et que le vrai Petit Lion était parti je ne sais où. Dans la boîte aux lettres pourtant il y avait une carte postale. Un tampon et un timbre du Mexique, plus l’empreinte d’une patte de chat. Depuis je rêve de me téléporter…

22 08 2022

AK

10 commentaires sur “Comment prendre langue avec son chat et lui donner sa déraison

      • Chic ! J’ai reçu mon numéro ce midi, mais je ne l’ai pas encore ouvert. (Je dois dire que je suis pris à temps plein par les ultimes finitions de mon livre, qui ne devrait plus tarder maintenant [j’ai fait le dépôt légal à la BNF cet après-midi, je n’ai plus qu’à lancer la fabrication auprès de l’imprimeur).
        Bonne soirée, illustre Karouge.

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      • Je suis très content pour toi, d’autant que si ton projet va à son terme, tu me feras signe !
        Allez, bosse un peu, Maëstro, je sens que ton ouvrage sera magnifique ! Si tu passes par du financement participatif, je participerai (avec mes moyens) avec grand plaisir !

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  1. Un chouette récit. Mon Néo vient aussi parfois me visiter sans prévenir… Je sens sa présence frôlant mon mollet… Ou si ça se trouve… c’était Petit Lion !
    Nous avons l’âme-chat, forcément, dès que l’un d’eux nous a fait l’honneur de nous parler, un jour…
    Les maîtres des chiens ont un autre caractère, me semble-t-il… Ah, c’est vrai : tu parles les deux langues, toi. Comment vis-tu ta double culture ?

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