la vie des gens (qui n’intéressent personne) : Mominette

La vie des gens: Mominette

Contrairement à ce que l’on raconte aux enfants les contes de fées ne s’élaborent pas à la Cour des Comptes. Il faudra quand même leur dire un de ces quatre matins que seule la vie quotidienne en invente chaque jour, à écouter dans son quartier, le quartier des désirs et des malentendus, parfois. Et avec les mots, la musique…

Thomas s’était marié jeune, et lorsqu’il s’en aperçut, la barbe à papa sur son menton durcissait déjà en cristaux sirupeux. Seule se refléta dans la glace sa face blême de fêtard enchaîné comme un canard dans une fosse d’orchestre.

Son épouse était certes parfaite et leur rencontre, sur la placette qui forme carrefour entre la rue du XIV juillet et celle du général Tocsin, un soir de liesse populaire, resta longtemps un des meilleurs souvenirs de bal qu’il conserva, surtout par le fait qu’il n’y eut pas cette nuit-là de bagarre ni de concurrent déclaré à ses conquêtes potentielles. Il est vrai aussi, d’autre part, que Clara, dite Mominette, avait limité l’usage de ses charmes à une seule intention: trouver le couillon qui serait son mari.

L’union fut scellée quelques mois plus tard. La guerre en Irak perdurait, le devenir du monde allait faire chambre à part avec les beautés plastiques, et la Silicone Vallée faire implanter des puces dans les soutien-gorges obusiens des starlettes. Le repas de noces fut préparé sur place par le Roi de l’Andouille, et les invités, après moult libations, se quittèrent ivres et pleins de querelles brestoises (le curé ayant uni les fiancés se revendiquant homosexuel, un conflit éclata entre les convives en fin de repas, moment où l’on aborde ce genre de questions cruciales).

Le couple s’entendait bien, Mominette était radieuse et Thomas sifflotait en partant travailler à l’atelier de mécanique où il était apprenti carrossier.

Lorsque, six mois plus tard déboula Debby, la sœur expatriée à New York de Clara, Thomas se cassa un doigt. Etait-ce par stupéfaction ou volontairement, rien ne l’atteste. Mais à voir ses yeux tournebouler quand il vit la frangine pour la première fois et le manège que dès lors il mena l’air de n’y pas toucher révéla son attirance indéniable pareille à celle d’un gamin pour la queue du Miquet dans une fête foraine.

Debby, qui s’appelait Delphine dans le civil, était stagiaire (conception de lutrins pour orchestres philharmoniques) dans une école située sur Columbus avenue, entre l’Hudson et Central Park. Bien que plus petite et plus corpulente que sa sœur, il émanait d’elle ce parfum exotique des métropoles, mélange savant de mixité sociale brassée aux rotatives des enjoliveurs et des gaz délétères pommelés remontant des égouts vers le ciel délavé. Ses hanches musicales hypnotisaient Thomas qui se tortillait alors comme un serpent dans son panier d’osier au son de la nira.

Mominette flaira très vite le danger. Elle avait ensorcelé Thomas un soir d’été rue du XIV Juillet, et n’avait aucune intention de s’en séparer. Elle poursuivait un dessein dont son mari représentait la phase pratique. On peut, sans divulguer l’histoire, la résumer ainsi : Mominette préparait un braquage. Elle avait en tête le plan suivant: Thomas se présenterait au guichet de la Caisse d’Epargne de la rue du XIV et menacerait l’employé avec un casse-noisette. La conception dudit casse-noisette était en cours d’élaboration et de nombreuses esquisses en attestaient, planquées sous les moutons du lit de la chambre nuptiale. Quant à Debby, sa sœur, Clara lui avait trouvé un vol low cost avec escale de deux jours à Rome-Fiumicino (zone de transit) pour le surlendemain. L’entre temps étant dévolu aux rituelles visites familiales -papa Tsarko maman Tségo tata Titine tonton Bérou et le chien Toutouzouzou de Papi Denoix et Mamie Nadette-, Mominette pensait avoir les mains libres pour mener à bien ses intentions criminelles. Or il est bien connu que le Destin ne suit jamais les lignes de la main d’un écrivain quand celui-ci tape avec seulement deux doigts de whisky dans le nez sur un clavier qwerty.

Ainsi donc se passa la suite.

Mominette mit au point son casse-noisette, aussi redoutable qu’un ballet de Tchaïkovsky*. Alors qu’elle le manipulait afin d’en vérifier l’efficacité surgit face à elle CdB, Coeur de Braise, le Roi des Ponts et des Soupirs. Il n’apparut pas par hasard mais uniquement parce que nous étions au tout début Mai, le mois des Ponts (et des chaussées colorées de milliers de pieds mécontents) et qu’entré en rébellion depuis le fameux appel « travailler plus le dimanche pour gagner moins la semaine » il cherchait un casse-noix dans l’armoire de la cuisine politique pour mettre le charivari chez Papa Tsarko et Maman Tségo. Mominette, surprise, lui lança sa pantoufle magique… et s’évanouit. CdB alors disparut dans les limbes. Quand elle se réveilla, son casse-noisette avait pris l’apparence d’un beau prince. On connait la suite. Les princes, beaux, laids, ne sont pas des mendiants et ont généralement une petite fortune personnelle. Quand, de plus, ils s’appellent Thomas et dansent comme des dieux sur le macadam des placettes du XIV Juillet les soirs de bal, il ne reste plus qu’à en trouver un, se marier et avoir beaucoup d’enfants, que l’on mettra à la crèche (contiguë à la fameuse placette) pour vivre heureux comme un écureuil dans son arbre…généalogique.

Ainsi en fût-il du destin de Thomas et Mominette, aussi futile que la rencontre d’une baguette de pain et d’un pot de confiture sur l’harmonie du bonheur conjugal.

AK Pô

01 05 09

2 commentaires sur “la vie des gens (qui n’intéressent personne) : Mominette

    • c’est une bonne question.
      J’ai fumé les poils de certains de mes chats (les gris, pour qu’ils se confondent avec de la fumée de cigarette), le tout assorti de quelques bols d’air descendus de la montagne, humés juste après la sieste. Certes, ce texte date de 2009 et mes chats (les gris bien sûr) sont aujourd’hui un peu pelés, et les bols d’air pollués. Mais bon, comme dit l’adage, il faut vivre avec son temps, vu que ça risque de ne pas durer.😺😹

      Aimé par 1 personne

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