tiens, v’là l’automne (le 23)!

Aujourd’hui c’est l’automne. Les enfants ont grandi. Ils offrent à leurs parents âgés des sonotones pour écouter le bruit des feuilles qui tombent dans le square, des gamins qui hurlent sur les balançoires et le pépiement des oiseaux en partance pour un long voyage vers le sud. Ainsi outillés, trois vieux sur un banc déglingué n’entendent plus le bruit des camions et des voitures, du trafic urbain qui assiège les rues, ils restent là, écroulés, à regarder les feuilles rabougries qui descendent des arbres presque nus depuis la sécheresse et les années perdues. Les gosses dans le petit bac à sable jouent à la guerre et s’envoient des pelletées de crottes comme si il s’agissait de missiles, criant pan, t’es mort ! Et leurs parents discutent des conflits qui agitent le monde depuis dix mille ans. Personne ne lève la tête, tous regardent devant eux, s’évitent parfois, se scrutent du coin de l’œil. Une brise légère soulève la jupe de deux femmes, assises sur le banc qui fait face aux vieillards. L’appareil auditif dont ceux-ci sont munis semble faire naître une étrange et douce musique ou, pour être plus précis, un chant murmuré entre de drôles de lèvres.

Aujourd’hui c’est l’automne. Les vieilles branches commencent à craquer, la sève cesse peu à peu de remonter jusqu’à la canopée. Les trois pépés en savent quelque chose, assis sur le banc tagué aux planches disjointes par l’usure des fesses de nombre fumeurs de joints. Qu’il fait bon être là, à renifler les odeurs des deux donzelles qui parlent de leurs amours que le vent soulève en souriant, et cette intime chant qui bourdonne d’entre leurs cuisses et recueille les fruits de vacances en Grèce ou au Pérou, là ou migreront les oiseaux qui s’impatientent dans le square, fientant sur les enfants qui jouent à la guerre dans le bac à sable, sur les balançoires qui grincent et toutes ces feuilles qui tombent, submergées par le bruit si calme de la mort.

Aujourd’hui c’est l’automne. Les petits vieux se regardent en coin, ils voudraient bien humer et écouter cette charmante musique que les deux copines en face d’eux exhalent, mais ces sales gosses font un boucan du diable, les sonotones sont proches de l’apoplexie, les oiseaux tourniquent dans les airs, si seulement c’étaient des martinets, peut-être pourraient-ils les aider, mais ce sont des étourneaux jacassiers en partance pour le ministère du printemps austral. Et puis, sous-jacente, la question essentielle :  lequel d’entre eux ne passera pas l’hiver, qui récupérera le sonotone ;  les voici maintenant tous les trois qui s’agitent, pourquoi les enfants ont-ils leur goûter avant nous, qui mourons de faim et sommes les seuls à compter les feuilles qui tombent ? L’injustice de ce monde est intolérable, les braillards sont les mieux nourris, les oiseaux fientent sur nos têtes chenues, et nous sommes oubliés sur un banc vermoulu, alors que le soir tombe doucement dans le square. Encore une heure et nous entendrons grincer les serrures, le grignotage des rats, le bruit des klaxons et le clapotis de la pluie dans les flaques tant l’orage approche et notre désespoir grandit.

Aujourd’hui c’est l’automne. Le moment exact où le drame arrive. Les deux copines regardent leur montre, pendant que les gamins terminent de boulotter leur goûter et laissent les papiers s’envoler comme de tristes cerfs-volants. Les sonotones sifflent, plus de batterie. Les oiseaux lèvent le camp, en direction du soleil couchant. Un des vieux fait un AVC, un autre en lui portant secours se casse l’os du fémur et le troisième l’assomme pour lui voler son appareil auditif. Mais sa canne se bloque dans le portillon du square et il trébuche, se faisant écraser par le véhicule du SAMU (alerté par les deux copines qui ont par mégarde composé le 112). Les deux sonotones, qu’il tenait dans sa main roulent sur le macadam ainsi que celui qu’il avait dans l’oreille et les trois outillages filent dans une bouche d’égout qui fait le trottoir à proximité.

Aujourd’hui c’est l’automne. Et les vieux sont encore plus cons que quand ils étaient jeunes, à fumer des pétards sur les bancs des squares ou à jouer à la guerre dans les bacs à sable jonchés de missiles canins. Vivement l’hiver !

AK

20 09 19

automne : 23/09/19

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