Suzanne

Je m’en fus au cluque pour encloquer la petite Suzanne

Ses vingt ans dans la chambrette du sixième étage

Dardait mon glaive ; elle avait l’âge d’aimer les ânes

Pourvu qu’ils paient dans la nuit noire l’ardeur et la lumière

Lorsque viendrait l’échéance du prix de son malheur

Que ses cuisses grandes ouvertes offraient à la misère.

J’étais son compagnon, misérable fanal, incontournable espion,

Jouant popotin et nichons entre tripots et casinos, cloaques

De maquereaux à redingote en peau de lapin et chapeau emplumé.

Suzanne savait de quelles sirènes venaient mes larmes

Quand elles coulaient au creux des oreillers crasseux

Ses vingt ans dans la chambrette, le patchouli des taules,

Mon sexe turgescent incendiant ses horizons calcinés

Dans la culotte zouave elle voulait un enfant africain

Qui s’offrirait plus tard aux voyages lointains, à la mer sans retour,

Aux marins elle disait de quel pays viens-tu ? Et ses cuisses

S’ouvraient entre Bosphore et Gibraltar, popotin et nichons,

J’étais son compagnon, misérable fanal, lumignon de bordel,

Jouant aux cartes sans rapporteur ni compas, louvoyant sans boussole,

Au cluque, quand la nuit noire traversait nos marées

J’entendais son souffle sur le sable graver nos rides, les grains

Des tempêtes du large venant yodler sous les draps

Le plaisir des montagnes quand s’ouvrent les vallées

Où les hommes s’installent et que le vent fertile de l’océan

Pose son cul dans la chaumière alpine, un verre de vin

Un verre de pluie. Et Suzanne riait. Les sept nains aussi.

Il faut savoir changer d’horizon, lui ai-je dit un soir,

La mer c’est foutu, le plastique, le pétrole et les containers,

Ici quelques bergers et nombre paysans apaiseront leurs bourses

Alors, Suzanne, tu sentiras ce ventre qu’est la Liberté

Se poser sans rudesse sur l’enfant à venir, et je serai pour toi

Le fantôme léger de tes vingt ans à jamais encaissés

Et tu seras la femme qu’aucun destin jamais ne trahira

Car tu tiendras cet enfant maléfique, magique et magnifique

Entre les bras d’un monde qui n’appartient qu’à toi.

AK

25 10 2019

3 commentaires sur “Suzanne

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