les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
DE LA FAUSSE REALITE DES REVES (fantaisie)
Le sable est rempli de grains de sommeil
Piquants, blonds et gorgés de soleil
Que le marchand évente, ne laissant pour uniques traces
Que l’ombre du doute et le miroir qui lui font face.
Quand les rêves abandonnent les hommes, il ne leur reste qu’une issue: le génie. Qu’est-ce qu’un rêve, sinon un abandon de soi? une mouche est plus réelle qu’ un cocher ramenant sa princesse ivre morte dans son carrosse de luxe. Le rêve brille par son absence quand le pauvre frotte les cuivres de la duchesse, et pourtant de la lampe à huile ne surgit pas le génie attendu au rythme des massages lascifs du chiffon caressant, ni des lessives fraîchement exposées aux vents coulis de l’été, non. La mouche éperonne le sein droit de la comtesse comateuse et le cocher fouette son attelage tout en la regardant, ébahi, subjugué par tant de beauté délétère et céleste, avachie et hoquetante dans le chemin creux qui les ramène au château après une nuit orgiaque. Non. Le génie ne se dérobe pas, ne se cache point au fond des bouteilles vides qui roulent sous le siège, au risque de s’enivrer lui-même d’un tel charivari. Il regarde le rêve s’enfuir dans les yeux de l’archiduchesse et du cocher, dans les globes prismatiques de la mouche de strass collée sur le buste qui flageole, gonfle et retourne cahin-caha à sa petite existence de grande dame fatiguée par les excès, les jugements à l’emporte-pièce, la rivalité amoureuse, cette noble concurrence du néant élevée en plaisir, ces bagues devenues dagues.
Au petit matin, le génie cherche l’homme qui ramasse les rêves. Il le cherche partout, le trouve nulle part. L’homme est parti vider sa besace dans le bas d’un talus. Il trie les débris du rêve: les morceaux de sommeil, les éclats de soleil, les mots écrits, chantés, imaginés, les musiques du corps évanescent qui s’abandonne de bon cœur, les nanogrammes de bonheur dans le reflet des yeux que l’on regarde encore, même clos. L’homme scrute. Ses mains, habituées au toucher, contiennent dans leurs paumes des vies écartelées, des lignes et des cals dont les jours prolongent l’errance, vies qu’il s’ingénie à recoller de ces rêves brisés, morceaux infimes d’une absence infinie. Mais il n’y parvient pas. Parfaitement impossible, bêtement idéaliste. On ne reconstruit pas la vie antérieure, on cimente les rêves pour ne pas abandonner, abandonner le génie issu de nos propres gestes manqués, le génie qui croyait toucher l’âme en habitant le corps. Mais la marquise l’a rendue, son âme, ce matin-là, dans un bois qui jouxtait le château, quand le cocher percuta le plus beau matin du monde, celui des illusions perdues.
AK Pô
20 05 09
Très beau texte que tu nous livres là, Karouge.
J’apprécie !
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merci!😋
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