les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Ce texte a été écrit en 2010, alors que la ville de Pau invitait la Chine lors de la grande foire exposition annuelle locale, qui rassemblait sur une semaine environ 70 000 visiteurs, soit la plus grande manifestation annuelle de la cité. Bien entendu, plus de dix ans après, les dirigeants chinois (pas les dirigeants palois!) ont changé. Mais si la situation actuelle est différente, mon texte je l’espère, aura encore du goût, avec une pointe d’alcool de riz, frelaté. Je l’ai conservé dans sa forme initiale.
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Depuis quelques jours fleurissent de grands dazibaos-Decaux dans les rues et carrefours palois. Un gamin impérial, caché derrière une tenture rouge comme la couverture d’un petit livre usé par un grand timonier durant une longue marche, souhaite aux passants la bienvenue en sinogrammes. Du moins est-ce la traduction en lettres occidentales, car peu de gens iront vérifier s’il s’agit bien de la bonne transcription (du genre « pour l’expo de Shangaï vous vous êtes trompé de mois et d’adresse »).
Or, qu’apprenais-je à la lecture de mon hebdo favori (Courrier I.) de cette semaine? Les grosses fortunes chinoises cherchent à quitter le pays du Milieu. Il y aurait cinquante cinq mille milliardaires en Chine (estimation du rapport Hurun), ce qui déclenche instantanément dans mon crâne une connectivité fulgurante de mes synapses et une radioactivité mandarinale de mes neurones en fusion: la manifestation automnale de la foire expo rassemblant environ 70 000 personnes, le décompte est vite fait: 55000 riches chinois et 15000 péquins venus des alentours vont franchir les portes du palais impérial palois cette année. Il est donc grandement temps de se mettre à la page, en écrivant un petit papier à imprimer qui ne perde pas trop la boussole, n’incite pas à fabriquer de la poudre à canon, puisse se monnayer en billets et nourrisse le site du LPKI(*) en pâtes pour les semaines à venir (disons jusqu’à Noël, avant le nouvel An chinois qui arrive vers la fin janvier-février).
Inutile donc ici d’évoquer le souvenir de la place Tian’anmen, les droits de l’homme, l’invasion du Tibet, les ravages environnementaux générés par la construction de gigantesques barrages, la pollution des mégapoles, la misère des campagnes et les rachats massifs des terres arables africaines, de l’exploitation à outrance des matières premières sur la planète aux dépends des nations, et autres petites affaires en cours. Soyons diplomates. Installons notre Salon d’automne dans une exposition convenable, mâtinée de feng shui, afin d’harmoniser les lieux et de favoriser la santé, le bien-être et la prospérité de ses occupants (sic). (Quelques élus locaux auraient dû inviter la Chine bien avant 2010, en appliquant cet art).
Soyons courtois, surtout quand parler chinois ou parler la langue de bois demeure plus source de rapprochement que fontaine de discorde. Le fait est que la culture et les mœurs chinoises (dans un sens global) nous sont parfaitement inconnues et peu compréhensibles. Sorti de la dynastie Ming, que certains connaissent mieux que l’histoire du vase de Soissons, quid des Shang, Zhou, Qin (l’empereur Qin Shi Huang donna son nom à la Chine), Han (98% de la population actuelle), Tang, Song? Certains férus de bandes dessinées (lianhuanhua) y voient le nom de héros (Tintin au Tibet), c’est lamentable, il faut l’admettre, les occidentaux sont nuls, d’autant que lorsque l’on vit et se trimballe quotidiennement (hors alimentaire) avec 75% de produits venant de Chine, la moindre des choses est d’au moins lire l’étiquette pour se cultiver l’esprit.
Mais restons courtois; monsieur Hu Jintao, une petite partie de Go, de Mah-jong, de Xiangqi vous tente-t-elle, avec un petit verre de Ju Rançon? une tasse de thé pour vos épouses et concubines sera servie dès que nous aurons signé le contrat pour la LGV Paris-Pau-Pékin. Quant au château de Pau que vous délocaliserez en 2013 sur les bords du lac de Gardères(*), nous sommes en train de terminer la procédure d’expulsion des paysans du plateau de Ger, inutile d’en parler ici, c’est d’ores et déjà acquis (voir article -paru mais effacé- « château à vendre » il y a quelques mois). Vous pourrez tout à votre aise y célébrer vos fêtes nationales: fête des lanternes, des bateaux-dragons, des amoureux, des fantômes affamés, du double neuf, Qingming… Notre médiathèque en cours de construction portera le nom de Deng Xiaoping, initiateur de « l’économie socialiste de marché », qui permit à la Chine de rentrer dans l’OMC en 2002. Un grand homme, bien que pas très haut sur pattes mais dont le rire éclatant et la jovialité sont restés gravés dans les mémoires des vieillards maoïstes.
Un problème cependant subsiste. Il n’est pas question pour nous, contributeurs palois aux manifestations lumineuses, de céder la villa Formose (*), que nous devions en son temps transférer aux halles de Shangaï pour l’expo universelle, et sur laquelle monsieur Hu Jintao porta un intérêt tout particulier, voire majeur. Nous ne pouvons de fait accéder à une telle demande. De jeunes samouraïs du crayon maniant l’art du dazibao, gymnastes de la courbe sensuelle et pongistes à leurs heures, menacent de s’immoler sur la place Clémenceau(*) si une seule pierre de l’édifice vient à être descellée. Nous appelons cela, ici, le péril jeunes. Ces artistes en herbe ont esquissé en ces lieux les premières ébauches des futurs pavillons qui constitueront l’armature fondamentale de l’exposition universelle de 2035, pour laquelle la ville de Pau s’est d’ores et déjà mise en lice. Et seul le premier pavillon, qui pour eux est un test probatoire et une grande opportunité, sera une fois réalisé le déclencheur de leurs vocations. Alors seulement ils quitteront la villa Formose, par portes et fenêtres, volant comme des prim’Holstein hollandais au-dessus de la mer de Chine.
Alors, laissons à René Leys, héros du roman éponyme de Victor Segalen (1922), ces paroles exotiques (ou devenues telles): « Je rentre chez moi.Je m’endors enfin…qu’il est tard! et je n’ai pas de fleurs!En faut-il pour recevoir une jeune femme Mandchoue? Car je sais depuis une heure à peine, par les soins de mon boy, que-loin de remonter à notre second Empire (je paraphrase)- madame Wang actuelle est la troisième madame Wang, c’est-à-dire ma toute contemporaine… »
AK Pô
04 09 10
(*) Ancienne appellation de Taïwan, du temps des Hollandais
(*) LPKI n’est pas le site où j’avais écrit ce texte.
Notes (2020) :
la médiathèque a été achevée fin 2011 (je crois)
Le lac de Gardères se situe à 20 km de Pau, réservoir agricole de 20 millions de mètres cubes
La place Clémenceau est la place principale de la ville
L’institut Confucius s’est installé à Pau en grande pompe fin 2019…
Enfin, les habitants de Pau s’appellent les palois.
J’avais commencé à apprendre le chinois il y a quelques années, mais pas l’écriture (nous hébergions pendant le ouikènde une jeune chinois faisant ses études en France, quand l’internat était fermée. Cette jeune personne est restée un mystère (et non une Miss terre) pour nous.
En tout cas, ton texte est toujours hurlant d’actualité.
Bonne journée à toi, Karouge.
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Oups, merci de lire une jeune chinoise, et non une jeune chinois !
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ne chinoisons pas sur le genre!
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Je te confirme que cet excellent billet dans le contexte actuel ne perd rien de sa verve et de sa saveur, bien au contraire!
Sinon que dire, nous qui avons pillé et colonisé à l’envi en d’autres temps…?
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Je crains que nous n’ayons rien compris à tous les peuples qui ont été colonisés (surtout en Afrique -langues orales des griots-, car l’Orient et l’Extrême Orient ont conservé leurs mystères, ne serait-ce que par l’écriture par exemple, mais je n’en sumérien, moi!)😏
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