Le bon Tour (de France cycliste) de Carapatou au plateau du Bénou (Pyrénées)

Rien ne s’est passé comme prévu. Je ne dirai pas que comme nous n’avions rien prévu il aurait pu arriver quelque chose d’inattendu. Autant dire que l’on a su très vite que la chose allait arriver.

Nous roulions sur une route de montagne, après le passage du Tour de France. La route était maculée de peintures diverses et les bords pleins de déchets . J’ai dit à Marlène « ne baisse pas la vitre ou le chat va sauter ». Elle a baissé la vitre, pour respirer l’air frais, et le chat a sauté. Nous étions juste arrivés au niveau du plateau (le Bénou, col de Marie Blanque, Pyrénées, pour les géographes), et les sonnailles des vaches, proches de l’abreuvoir en pierre, tintaient comme une source claire dans le silence des alpages. Le chat se nomme Carapatou, ce qui est prédestiné pour un animal qui saute par-dessus bord. Bref, nous avons garé la voiture sur l’herbe et nous sommes mis à sa recherche, en criant, miaulant et sifflant comme cela se produit dans la littérature pour enfants. Cependant, j’avais tu à Marlène que j’avais équipé Carapatou d’un collier GPS, et que celui-ci pouvait désormais aller à sa guise en toute connaissance de cause, avec des renseignements essentiels : cabane de berger, passage de clôture, mulots en promenade et touristes en mal de nourritures terrestres, bref tout un assortiment de services qui dirigerait Carapatou dans un monde aussi naturellement virtuel que le nôtre.

Bien entendu, grâce à ma montre, mon téléphone et ma cervelle , connectés, je pus suivre le chat et sa course dans la nature. A noter qu’il faisait un temps splendide (comprenez que le petit matou serait resté dans la voiture si une seule goutte de pluie lui était tombée dessus, et que nous n’aurions jamais baissé les vitres pour ne pas tacher les sièges).

Dans l’air tournoyaient quelques vautours, prenant leurs aises dans les courants ascendants. Leurs yeux vifs observaient le moindre mulot qui eût pu galoper dans la prairie de ce vaste plateau, mais je savais Carapatou doté de plus d’une ruse. Il avait pris la poudre d’escampette et celle-ci montait par les cheminées d’air, faisant éternuer les rapaces à cous nus, et ceux-ci avaient beau éternuer dans leurs plumes que leur regard ne cessait pour autant de se remplir de larmes obstruant leur vision, un peu comme la télévision en direct sur le flanc des cols interrompt ses images et le discours martien des commentateurs en régie. Il faisait beau sur le plateau du Bénou et l’échappé du lendemain du Tour était Carapatou.

Trois chevaux vinrent boire à l’abreuvoir en pierre, mais aucun n’avait vu de chat. De mon côté, je vis que son parcours allait vers la bergerie dont, quelques années auparavant, la municipalité locale avait coupé l’eau de la source que ce berger exploitait pour son troupeau et sa maison. La caméra 3D intégrée au collier du GPS retranscrivait en direct live la course de notre minou sur l’écran de mon téléphone, et Marlène avait beau s’être mise à feuler en désespoir de cause, je regardais l’animal foncer dans les herbes rases (sécheresse chronique) vers la bergerie. Mais comment les chiens réagiraient-ils, gardiens de troupeaux, fidèles serviteurs que même le survol des hélicoptères de France 2 n’effraient pas, et finalement quel but pouvait donc suivre Carapatou pour s’engager tout menu dans la gueule de loups déguisés en Border Collie ?

(Bien sûr ici il ne sera pas fait cas du Desman Toutou)

Je suivis les traces du chat, demandant à Marlène de veiller sur la voiture si nous ne voulions pas être dévorés par les moustiques, les taons et les marchands de camping-cars venus en nombre abandonner leurs illusions sur le bonheur climatisé. Soudain, à cent mètres de la bergerie Carapatou bifurqua. Une odeur de barbecue l’attira (je la sentis moi-même). Son attitude changea radicalement ; il fit une pause, s’assit sur son séant et regarda deux types à l’accent parisien remuer les merguez sur la braise. Grâce à mon téléphone et surtout sa caméra, je vis qu’il déroulait un plan de vision à 360°sur son entourage, paysage calme envahi de gens grassouillets et d’engins mastodontes. Leurs têtes munies de casquettes rouges, ces fêtards étaient une vingtaine à picoler, prendre l’apéro comme si rien n’était, comme s’ils étaient dans un camping ou une plage de Méditerranée au cœur de l’été. Ici ou ailleurs. Déchets, papiers gras, je m’en foutisme… Rois du monde, salopards souvent. Qu’importe ! Carapatou s’intègre, ronronne et subit moult caresses : je l’observe à distance. Il croque quelques viandes braisées, se fait oublier, s’installe sur le siège passager d’un véhicule, dort d’un œil et surveille la situation dans sa globalité (c’est ainsi que son GPS enregistre son état physique, mental et psychique).

Quand les convives passent à table, il bondit en silence. Avec ses canines il retire les clefs des six fourgons plantés là, les examine et les avale. Puis il détale dans la part d’ombre qu’offre tout camping-cariste à son ambition de voyage idyllique. Il court, je le vois clairement sur mon écran, il court vers l’abreuvoir en pierre où maintenant, à l’approche du soir, les vaches du plateau viennent étancher leur soif. Par un geste acrobatique l’animal se met à califourchon, tord son bassin et expulse les clefs qu’il y a une heure il a volées. Je retourne à la voiture. Marlène dort, paisible sur la banquette arrière. Carapatou nous rejoint deux minutes plus tard.

« On leur a joué un sacré Tour, hein, papa ! »

J’ai acquiescé.

Puis on a redescendu le col presqu’en roue libre. Il faisait beau. Les vautours tournaient au-dessus du barbecue et l’eau était rebranchée dans la bergerie.

08 09 2020

AK

4 commentaires sur “Le bon Tour (de France cycliste) de Carapatou au plateau du Bénou (Pyrénées)

    • Je vais te décevoir (mais à moitié). Le minou qui pose sur la vignette de l’article, c’est Micromégas (jeune). Mais Carapatou est du même acabit. Un brigand de première! Dès que je peux le photographier anthropologiquement je t’envoie le tirage.😸

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