Soft Car jacking sur le parking

Nous emballions nos courses dans le coffre, sur le parking du supermarché, quand un type, assez jeune pour notre vision du temps, s’est approché. Il était souriant. Il s’est posté devant la portière avant gauche, et nous a regardé avec calme enfourner la marchandise et rabattre le coffre arrière. Lola, ma femme, est partie ranger le Caddie© dans le chenillard à Caddies©. L’homme a patiemment attendu son retour, tout en me fixant droit dans les yeux. Au retour de Lola, j’ai senti qu’elle était inquiète, comme moi. Alors le gars a dit :

« bonjour. Je n’ai plus de permis de conduire mais je suis un excellent pilote, alors permettez-moi de prendre les clefs de votre Audi. J’ai des courses à faire, moi aussi. »

Nous ne pouvons pas affirmer qu’il avait un revolver braqué sur nous dans la poche ou s’il était en érection devant l’élégance de notre véhicule, cependant nous avons cédé. Il est monté dans la voiture, s’est assis confortablement tout en réglant les rétroviseurs et la position du siège (qu’il recula avec tendresse, car nous sommes âgés et pas mal rabougris). Par la portière il nous a lancé : « Dieu vous le rendra ! » et a filé, sans pour autant faire crisser les pneus (neufs) comme on le voit toujours dans les films de gangsters. Il a pris la route du Nord de la petite ville. Celle où les véhicules n’ont pas besoin de maquillage pour ressembler aux autres véhicules tant ils se couvrent de poussière et de boue dans leurs trajectoires.

Nous sommes restés là, hébétés, Lola et moi. Pas de témoin direct, à croire que c’était la voiture elle-même qui s’était enfuie avec notre cargaison de nourriture, de produits ménagers et de bouteilles de vin et d’eau gazeuse. Nous avons du rester plantés là une bonne demi-heure, jusqu’au moment où Lola a réagi :

« Putain, Kevin ! Déjà que tu as un prénom à la con, en plus tu te laisses braquer notre bagnole de luxe par un type qui n’a même pas son permis ! » Elle était furax. Moi aussi. Alors on en est venu aux mains, elle et moi. C’était terrible. Un attroupement s’est créé sur le parking, une trentaine de clients, Caddies® en main, qui regardaient le spectacle de notre dispute, avec des gosses obèses qui mâchaient des bonbons hyper sucrés. Un type, dans le tas a levé le bras et proposé de parier sur celui ou celle qui gagnerait le combat, ce qui nous engagea, en vrai couple, à accentuer nos coups pour faire grimper les paris.

Sous les clameurs de la petite foule notre pugilat prenait un accent tragi-comique, chacun des spectateurs lançait ses cris de haine qui venaient instantanément s’inclure dans le spectacle. La foire d’empoigne allait bon train, quand par malchance les nuages noirs s’amoncelèrent sur le parking, qui virèrent en une averse nourrie, faisant remonter tous ces consommateurs dans leur voiture. C’est alors que nous aperçûmes un vol d’oiseaux noirs d’une centaine d’individus se diriger vers la route du Nord. Corneilles, corbeaux, merles, aigles noirs, oiseaux de nuit tous attirés par la lueur d’un incendie, à un kilomètre d’ici.

Un couple d’aimables charbonniers nous fit grimper dans son pick-up :

« Il ne faut rater aucun spectacle, montez, allons voir ce qui se passe ! » nous a dit la femme. Sur la route du Nord, le macadam a fondu depuis des lustres sous les affres du soleil et du gel, qui se donnent rendez-vous deux fois par an (printemps/hiver) pour leur collection de faits divers et d’accidents de la vie. Cette route file droit, les gens du coin l’ont appelée la boussole, car beaucoup d’entre eux l’ont perdue en la suivant. Elle est bordée de poteaux télégraphiques et électriques sur son bord droit l’hiver, et de cactus gigantesques sur son bord gauche l’Été. C’est une route qui se déroule dans un espace aride, dont la légende dit qu’elle efface les rides des vieux fous qui l’empruntent, car ils y meurent loin de la jeunesse qui les y a conduits.

Une dizaine de véhicules étaient déjà garés, 4X4, pick-up, Dodge, Ford T, tombereaux Caterpillar, et deux Food trucks déjà à leur troisième fournée de burgers avec sauce comprise dans le prix, bref la fiesta près du feu. Un routier de passage, témoin de l’accident, avait allumé un grand barbecue avec les débris de produits de ménage qui avaient été éjectés sous l’impact du choc contre le poteau électrique, les étincelles et le suint d’essence répandu dans le sable. Lola et moi nous regardâmes. La nuit était pleine d’étoiles noires, les oiseaux avaient croqué leur lumière. On ne voyait plus les nuages, seuls les cris joyeux des noctambules applaudissant le spectacle de notre Audi de luxe encastrée dans un poteau en bois sur la route du Nord nous fit sourire. C’était vrai, j’avais un prénom de con, elle un prénom de jeune femme facile, mais cela valait mieux que de mourir carbonisé dans une bagnole qu’on ne sait pas conduire car, voyez-vous, si nous ne connûmes jamais l’identité de notre voleur, nous apprîmes quelques mois plus tard que sans permis de conduire l’amour des grosses caisses rend aveugle.

11 02 2021

AK

8 commentaires sur “Soft Car jacking sur le parking

  1. Super ton histoire ! C’est à cause du verglas que le Fangio des parkings s’est embrouillé avec le poteau qui lui a barré la route ? On n’a pas idée de voler le Jolly Jumper de course de Karouge et Chinette, quand on s’appelle Averell !

    Aimé par 1 personne

    • Ce matin j’ai attendu Chinette sur le parking d’un petit supermarché…comme quoi, il suffit de mettre le nez dehors (ce qui est rare pour moi en ce moment, avec ce temps pourri) pour fabriquer de petites histoires !
      Bonne soirée Almacinto, et merci pour tes commentaires toujours agréables et empreints d’humour !

      Aimé par 1 personne

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