les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
De comment le récit invite de nouveaux personnages à venir…
Résumé : Après deux années passées à Venise, Guido et John ont décidé de partir à l’aventure, avec sous le bras leur histoire commune. Ils atterrissent en France, dans les Landes, chez un dénommé Carlyle, tenancier de bistrot ayant lui-même fui Venise, se rendant compte que le tourisme de masse massacrerait les lieux, poussant les autochtones à quitter la Sérénissime pour les HLM pollués de Mestre. Installés dans le bistrot, ils consultent leurs notes…
« – je viens de relire ce monceau de feuilles et tout cela manque de corps », dit John qui semblait véritablement épuisé. Guido le regardait d’un œil morne, compatissant. Il finissait en réalité de cuver l’alcool qu’ils avaient ingurgité, la nuit durant, chez Carlyle le bougnat, dans son estaminet de Mimizan, quand les thèmes rémanents de leur discussion s’étaient lentement dissous dans un long silence de verres vides.
Guido hocha la tête mollement quand John reprit :
« -En conclusion, je pense qu’il faut faire un sacré ménage. Il faut virer des trucs pour conserver une certaine logique. Toi, Guido, je te virerais bien. On en connaît plus sur ton scooter que sur toi. A quoi ressembles-tu ? Grand, petit, gras, maigre, on ne sait pas. Mais tu es mon pote, je ne peux pas te mettre au rancard; de plus, tu fais partie intégrante de ton engin, comme Diane de Montrouge sur sa mobylette orange chantée par Nino Ferrer, t’es immortel quelque part, mais va falloir te mettre un peu en avant, garçon, si tu veux que ça avance ! »
Guido eut un large sourire, découvrant ses dents jaunies par la nicotine, et les ridules aux commissures de ses lèvres épaisses marquèrent leur territoire d’un brin de malice. Qu’on le mît à l’épreuve n’était pas pour lui déplaire. Il n’avait en effet jusque là pas même répondu à la question : « voyons, Guido, ça n’a pas d’importance, si ? » et il se sentait prêt à des réponses multiples, cohérentes, ouvertes sur les jardins de la ville basse comme la marée girondine sur le ciel jacobin.
« – Donc, je résume, repartit John. Charité bien ordonnée commence par soi-même ; donc j’endosse le rôle principal, je crée une copine, Charlène, fleur d’Écosse et pour toi ce sera Giulieta, c’est légitime. Tu aurais préféré Angélique, mais pour l’instant on la laisse au placard, elle ne sera utile que plus tard, quand l’intrigue se dessinera, d’autant que la présence d’héroïnes est nécessaire à l’émancipation des hommes, à leur éducation ; des femmes, donc, mais au compte-gouttes !
« – tu me connais, John…
« – si peu. On garde l’église, pas le curé, les balcons fleuris. pour parfumer un peu le récit d’autre chose que de pizza aux anchois, la piscine en pente de Miss Robinson, pour l’exotisme, il en faut pour tenir le coup, et les quais. J’adore les quais… » John marqua une pause, et regarda ses doigts potelés d’un œil rêveur. Pourquoi aimé-je les quais ? se demanda-t-il in petto. Mais son esprit reprit les commandes et la liste des admis-virés continua. Les mecs, maintenant. L’oncle Joé, avec son air con et ses blagues à cent balles, je garde. Le poète normand, aussi, mais à condition que ce ne soit pas un Bac +5, parce qu’il finirait par nous mener charrette avec des algorithmes en alexandrins. Si seulement il avait des racines yéménites, ce serait idéal, genre cultures du monde, le trou maori, le cidre romand, le délire papouasien, l’aubade écossaise… »
« – je suis d’accord avec toi, John, mais attention ! nous sommes dans une fiction. Or, dans la fiction, chacun a droit à sa part de délire, et là, tu fais fausse route. A cadrer le récit, tu enlèves toute spontanéité, tu brises l’échange doucereux et fantasque, au risque de mettre en pétard le lecteur (qui est à cet instant seul au monde), et tu sais comme moi qu’il vaut mieux l’éviter, pense à Beaubourg, tu te souviens ? On avait refusé de placer l’œuvre d’Angélique entre celles de Miro et de Kandinsky, et ça l’avait rendue furax, c’est même en te bousculant dans l’escalier que vous aviez fait connaissance ; à l’époque, c’est vrai, tu savais calmer les dames ! »
« -Ah, Angélique ! C’était une jolie plante, celle-là ! Mais tu as raison, Guido. Peut-être existe-il une troisième voie ?
« – je ne sais pas, répondit Guido. Remarque, on pourrait peut-être…
« – dis !
« – on pourrait concocter un poème sur le thème « un combat de coqs » ? Voir comment on s’en sort. Cette histoire est déjà si foutraque !
« – c’est une idée, admit John. Avec, par exemple, l’intrusion d’un Manx (à gagner) en plein combat, alors que le poète normand-yéménite a tout parié sur le poulet d’Aden et que soudain celui de Sanaa… »
« – y a plus qu’à… » s’exclama Guido, enthousiaste, alors que Carlyle rangeait tables chaises et boissons. La nuit tombe vite, à Mimizan, l’hiver.
AK
21 03 2021(modifs)
PS : impossible de retrouver la page 3…Va falloir turbiner, Pépère, pour liaisonner la 4, qui brûle déjà d’impatience !
Allez, Pépére, turbine !
Il y a la 4 qui turbine d’impatience à l’idée d’être liaisonnée ! 🙂
Bonne soirée, illustre Karouge et à très bientôt pour la suite.
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Pour être cohérent (enfin, c’est façon de le dire) je vais devoir copier tout ça avec l’imprimante et le malaxer, presque dix ans plus tard ! (date de péremption de ma mousse à raser les lecteurs) 🙄
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Je rigole bien. N’empêche que les ingrédients hétéroclites réunis font penser au Taxi mauve, curieusement. Marrant.
Bon c’te page 3 alors?!
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Question « taxi mauve », j’ai bien oublié le film (mais pas Charlotte Rampling), et puis le jardin de Simonu me fait tourner la tête. Taxi ! Ευχαριστώ πολύ! ► Merci beaucoup ! Bonne soirée dominicale Almacinto !
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Le bouquin (le seul que j’ai aimé de Déon) était bien mieux que le film, comme souvent.
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