les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
L’enveloppe 3
(fin de l’épisode précédent):
Quelque chose dans ma tête ne gazait pas. Cette histoire commençait à me tarauder matin et soir, une histoire palestinienne, tant elle n’envisageait ni de fin ni de paix dans mon cerveau vieillissant. Que faire, que répondre à cette administration qui me désignait comme unique parent d’une taularde de cinquante et un ans, sans mari ni enfant, qui selon ses dires pouvait subvenir à ses besoins, grâce à un métier dit d’avenir ?
Au terme du courrier, il m’était demandé de me rendre début juillet à Volterra pour signer un papelard purement bureaucratique afin de légaliser donc d’obtenir la sortie de Leïla en accord avec les procédures européennes en cours. Certes, revoir la Toscane en juillet était un plaisir, mais y cueillir une femme mûre sortie du trou tout autre chose. Pourtant, il me fallut choisir. Cela me prit une semaine. Pourquoi refuser d’ouvrir les portes du pénitencier, maintenant que Johnny Halliday ne passait plus à la radio ? On prend parfois des décisions absurdes. Je pris celle-là. Et puis, finir sa vie en Toscane, pourquoi pas ?
Entre avoir vingt ans dans les Aurès et conduire au volant d’une petite Modus sur les autoroutes du sud de la France et de l’Italie du Nord, ce n’est plus avoir le pied à l’étrier mais la semelle scotchée à l’accélérateur. Une tension extrême branchée sur une attention permanente. Traverser Gênes dans un lacis, une succession de ponts surplombant les façades d’immeubles, gris, tristes et salis par la pollution constante des véhicules, quand cette ville est magique dès qu’on en quitte ces grands axes me semblait déprimant. Le bruit des sirènes quittant le port était inaudible. J’ai monté le son de l’autoradio. Paolo Conté, una giornata al mare. J’avais aussi Pavèse en tête, mais mon attention était avant tout réglée sur la circulation, bagnoles, camions, klaxons…Et cela jusqu’à Florence, trafic intense et dangereux, une particularité du monde occidental où chacun se sent roi dans sa bagnole, quitte à provoquer des accidents mortels comme sont insensés les pseudo héros du volant.
Je suis arrivé à Florence le 29 juin 2011. J’avais trois jours devant moi, Leïla devant sortir le 2 juillet, selon les informations que j’avais obtenues auprès de l’instance suite à un coup de fil assez décousu, entre mon italien défaillant et le français plus pragmatique de mon interlocutrice. Je passais un coup de fil rapide à la voisine qui nourrissait Sidonie en mon absence : « surtout pas de croquettes, juste des blancs de poulets fermiers, comme prévu » »Pas de problème, monsieur ! ».
Je ne sais pourquoi, mais s’adresser à une femme a toujours donné naissance à un dialogue constructif que les hommes entre eux ignorent souvent (genre ferme ta gueule ou no capito). Ne m’y trouvant pas pour faire du tourisme, entre les jardins de Boboli, le musée des Offices et le ponte Vecchio, je filais le lendemain matin vers Sienne. La tiédeur estivale s’infiltrait entre les pierres des ruelles . Le crottin des chevaux qui disputeraient le Palio sur la Piazza del Campo pour l’heure hennissaient pour le Palio de Provenzano, qui se déroulerait le 2 juillet, à l’heure où Leila verrait se desserrer l’écrou et lever sa liberté retrouvée. Hélas nous ne pourrions assister à la lutte des contrade, par manque de temps et la distance, certes maigre mais tortueuse, entre Volterra et Sienne.
Durant tout ce voyage, au volant de ma Modus, je me suis demandé à quoi, à qui cette femme pouvait ressembler. J’étais très dubitatif sur l’ aspect de son visage, de sa corpulence, un indice qui puisse me ramener à ma jeunesse, aux traits significatifs qui marquent comme un fer brûlant la ressemblance , l’appartenance d’un être à tel autre, de la même origine génétique. En fait, j’avais peur. Peur de reconnaître cette enfant anonyme qui était désormais devenue femme, et n’anoblissait pas ma vieillesse d’un jour lui avoir donné vie malgré moi, quelques décennies auparavant. Il existe toujours, et à n’importe quel âge, un sentiment de vengeance chez les enfants qui n’ont pas connu leur père, vengeance qui se traduit souvent par la cruauté des mots, et ce savant mélange entre l’absence et l’oubli qui instruit la haine de celles et ceux qui ne savent pas. A ce niveau-là, nous étions tous deux à égalité. Amour et haine sur le même ring.
20 05 2021
AK
Voui, le chapitre 4 : Amour et Haine sur le ring !
Bonne journée, illustre Karouge.
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J’attends aussi la suite ! 🤗
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Tu es tout simplement génial Karouge 🙂 allez la suite va venir toute seule maintenant.
(pour Sidonie, j’espère la voisine est fiable…)
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