les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
L’enveloppe 5
(fin de l’épisode 4 les petits lapins)
« Que tout cela ne soit en fait que de la zoubia, de la merde. Cette idée me traversa en même temps qu’un chat manqua se faire écraser par une voiture de la Guardia Civile, véhicule autorisé dans cette rue piétonne. Buon Diou , j’ai pas appelé Manuella, qui garde Sidonie. Je le dis à Leïla.
– »Excuse-moi, je dois passer un coup de fil à une amie qui nourrit Sidonie, la minette d’une voisine partie en vacances dans le Péloponnèse.
– »Je t’en prio, fa ! » Elle se reprit : « je t »en prie, fais ! » et me sourit pour la deuxième fois, rajoutant « je t’avais prévenu, j’ai perdu beaucoup de mots et de grammaire de la langue française, ici. »
Spontanément, je lui répondis :
« – Et Yasmina, ta mère, t’as-t-elle appris un peu l’arabe ? Tu as passé une partie de ta jeunesse en Algérie avec elle, je crois ? »
Elle me fusilla alors du regard, de ces yeux noirs qui sont, sous la douceur profonde des cils, d’invisibles baïonnettes capables de transpercer les cœurs.
Ce fut dans cette fulgurance que naquit mon premier doute. »
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Le déjeuner se déroula dans une ambiance pesante. Nous parlâmes vaguement du temps, des touristes qui envahissaient Volterra, n’abordant aucun des sujets qui me tracassaient. Leïla semblait ailleurs, ne m’adressant que de furtifs regards, mais je ne pouvais qu’imaginer que sa sortie de prison très récente naviguait encore dans son esprit. Et puis, l’avais-je vexée en évoquant sa mère ou en téléphonant à Manuella, comme si Sidonie avait plus d’importance qu’elle. Avait-elle cette fragilité mentale qui faisait qu’elle, Leïla, méritait plus de soins qu’un chat ? Quoi qu’il en soit, nous quittâmes le restaurant vers quinze heures et redescendîmes la via Minzoni vers le parking Poggetto où était garée ma Modus.
Alors que nous bifurquions vers la via Firenzuola pour rejoindre le véhicule, une voix nous héla :
« -Ah, Bellezza, come stai ? »
Leïla se retourna vivement et courut vers l’homme. Un type élégant comme le sont les italiens et les sapeurs du Congo Brazzaville. Grand, svelte, la cinquantaine aux tempes grisonnantes, rasé de près.
« -Hi ! Gianni ! » s’exclama-t-elle dans un large sourire.
Qui était cet homme sorti tout droit de mon nihilisme, je l’ignorais. Leïla me renseignerait certainement. Valise à la main, j’attendis à distance que leur discussion cessa. Placé devant une boutique de souvenirs, je passais ainsi vingt minutes à regarder entrer et sortir les touristes, et au travers de la vitrine, m’amusais à deviner les objets qu’ils achetaient en souvenir. Si quelques Pinocchio en bois articulé faisaient la joie des enfants, les achats des adultes se concentraient sur de petites statuettes de l’ombra della sera, figure emblématique de l’art Étrusque, que les asiatiques quant à eux achetaient en modèle grandeur d’homme (la statuette mesurant 57,5cm dans sa forme originelle).
Leur conversation s’acheva et Leïla revînt vers moi. Je n’eus pas besoin de la questionner, sa bouche parla toute seule. Il y avait un goût de violette dans ses intonations. Elle me résuma pourquoi elle était si contente :
« Gianni était dans les années 80 un avocat qui plaidait la cause de gens comme moi au barreau de Milan. Puis il a été sanctionné pour complicité et à son tour incarcéré dans le sud de l’Italie, à Matera je crois, un bled où le Christ s’est arrêté, Eboli peut-être. Il a refait sa vie comme il a pu, a travaillé comme géomètre dans la banlieue de Rome, puis a migré ici, en Toscane, où il est devenu visiteur de prison. C’est lui qui m’a accompagné ces cinq dernières années de détention. Il vient de me rappeler, vu qu’il ne l’a jamais oubliée, la règle des libérations conditionnelles qui ont cours dans le pays. Ce rappel à la loi, on me l’a martelé depuis six mois dans l’établissement pénitencier, pour soi-disant faciliter ma sortie et éviter la récidive. Gianni me l’a encore rappelée, mais cette fois-ci au grand air libre et magnifique de ce début juillet. « Tu devras aller pointer une fois par mois durant un semestre à Sienne, peut-être à Florence, pour ensuite aller où tu voudras. Mais il faut t’y tenir, ma fille, sinon tu n’en sortiras jamais. » Puis il m’a donné l’adresse d’un petit hôtel confortable à Massa Maritima (il y a même une piscine) où ils font des prix très bas pour les anciennes taulardes, à condition de ne pas y séjourner plus de deux mois, sinon c’est plein tarif. Et puis deux mois, c’est déjà un bon début pour se faire oublier des autorités. Avec les élections qui approchent.
« – Mais ton Gianni, il t’a demandé qui j’étais ?
« -Bien sûr, je lui ai dit que tu étais mon père. Mais il en sait plus long sur toi que toi sur lui, c’est évident, non ? Pendant cinq ans on a parlé ensemble de tout de rien et du reste, pendant que toi tu ignoras qui j’étais car alors je n’exista pas, pardon papa, tu ignorais qui j’étais car je n’existais pas. Bon, je m’améliore, question français, non ? »
Nous rejoignîmes la voiture, réconciliés en partie. Elle trouva la Modus riquiqui mais confortable. J’avais prévu de promener Leïla dans les collines magnifiques plantées d’ifs centenaires (ou presque), de terres brunes pentues, mais j’optais pour San Gimignano. Je réservais deux chambres à l’hôtel Belsoggiorno (c’étaient les dernières), viccolo San Giovanni. Le soir nous dînerions en remontant la via San Giovanni jusqu’à la piazza della Cisterna. A une ou deux décennies près, cette aventure aurait pu être amoureuse, si la guerre d’Algérie et mes blessures ne m’avaient contraint à ne jamais épouser ni une cause, ni une femme, par peur de perdre par l’une toutes les autres.
Le lendemain, nous descendrions à Massa Maritima, déposer Leïla et sa petite valise. J’emballerai mes doutes dans un paquet cadeau : « bonne chance ! » Puis je remonterai tranquillement en France retrouver mon jardin, ma boîte à lettres et le facteur grognon. Dans la soirée j’irai recueillir Sidonie chez Manuella, peut-être mangerons-nous ensemble un poulet fermier dont une partie sera offerte à la minette. C’est fou comme l’esprit se promène dans les virages en épingles à cheveux des routes de Toscane.
26 05 2021
AK
Je n’y connais rien en ouatures, mais la Modus, ce n’est pas une sorte de Fiat 500 ?
En attendant, tu ne peux pas arrêter ton histoire comme ça , ici, au milieu du gué !
Bonne soirée, illustre Karouge. 🙂
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Il faut bien que les chevaux se désaltèrent avant de franchir la rivière ! (et moi de boire la tasse, car j’avance pied à pied dans cette histoire qui se complique!) ✒
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Qui se complique, certes, mais qui est très bien menée.
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Sympas tes sapeurs du Congo 🙂
Bon j’imagine que l’histoire se poursuit parce que je reste sur ma faim, tu parlais d’un doute dans le dernier chapitre, il est passé où le doute?
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Si tu en doutes, c’est que ma petite histoire n’est pas trop mauvaise ! 😊
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