Azimuté!

azimuté , adjectif. Sens 1. Relatif à une personne qui a perdu la raison, qui est prise de folie, dont le comportement est bizarre

La Panne plage. Un homme longe le sable gris, du côté de midi. L’ombre sur son corps l’écrevisse à peine ; il descend de l’Escaut affublé de quelques vêtements sales. C’est un zigoto comme les milliers d’autres déjà assis le cul dans le sable. Il cherche une place où se poser. Dans sa main un carré d’as fictif, sa chance. Il se cale près d’une femme enceinte. Fait cercle autour d’un square à la ramasse.

Il abandonne son baluchon sur sa fatigue, regarde les autres alentour. Ces visages sont le rythme de l’exil : la ressemblance avec autrui est le miroir de l’ennemi. Personne ne s’épie, pourtant tous se connaissent : histoire vécue. Il a vu et connu el très de Mayo dans les rues de Madrid, mêlé les ocres et le lilas chez Goya, mangé les reliefs de festins arrachés des griffes et des riñas de gatos au Prado, les pommes et le reste des paradis perdus. Ses yeux brillent, la vie plaide en sa faveur ; un carré d’as que tous observent qu’il abandonne pourtant, assis là.

La Panne plage. Dix mille. Dix mille individus en partance. Traverser la Manche, sans calfat, sans kevlar. Sans au fond vraiment y croire. Tous les moyens sont bons, seuls les meilleurs se noieront dans le bonheur d’être saufs. Il écoute, se tait, fredonne Ostende. Il s’assoit vers midi et l’ombre pointue du geste le colore de gris. C’est un zigoto affublé de lumières narquoises : il cherche un cadre étanche où enfermer sa vie. Tous sont prêts à larguer les amarres, au signal.

Quand soudain roule et virevolte un mouchoir blanc, brodé à la flamande, qu’il se met à courser sur la rive sablonneuse de La Panne plage ; au rebond du vent il froisse ses doigts sur la texture douce du tissu, lève son bras, se mouche. Et s’en va.

AK

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Il attendait comme une manne

Du ciel qu’un grain lui vienne

Marquise des Anges

Il espérait qu’une mésange

Au chant mensonger

Donner dix noms d’oiseaux

Lui martèle en tête

Le nom d’une égérie bien-aimée

Qui se refusait

A Dieu

Et à lui

Mais à la cinquantaine

Quand les dieux Lares

Dans son logis

Se mirent à cuire la soupe

Beaucoup de jouvencelles

S’offrirent pour la vaisselle

Donner dix noms de Dieu

Car à se becqueter

Tous ces canards sauvages

Avaient sur l’héritier

Jeté leurs plus beaux yeux.

Lui attendait toujours

En regardant le ciel

Qu’un grain lui vienne

Marquise des Anges ou Vespasienne

Fille facile fleur de bordel

Ou enfileuse de perles

Donner dix noms de courtisanes

Car il voulait doter ces comtesses

D’une bagatelle digne d’échauffer

Tant son feu que sa fièvre Renaissance

Quand il fît connaissance

D’un chalumeau muet

Qui fondit sa fortune

Et s’en fut vivre sa vie

Chez la marquise des Démons.

Et toc !

22 01 1988

AK

2 commentaires sur “Azimuté!

  1. Très beau texte, j’apprécie la notion d’individu que tu donnes au récit. Ce n’est pas une masse d’humains dont il s’agit mais des personnes uniques, ce qui est rare lorsqu’on parle d’eux.
    (je ne sais pas si je me fais bien comprendre)

    Aimé par 1 personne

    • Oui, tu te fais bien comprendre ! 😊
      Ce texte date de je ne sais plus quand, mais pas d’hier (il est manuscrit, et je n’écris plus à la main depuis plusieurs années, ni tapé à la machine ou à l’ordi). C’est marrant parfois de retomber sur ce genre d’écrit qui ne fait que vérifier que….rien n’a changé !
      Bonne soirée !

      Aimé par 1 personne

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