les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Il y a encore du feu dans la cheminée se dit Jo en regardant les bûches de résineux qui crépitent. Il tourne ses yeux vers l’horloge, un coucou suisse déglingué qui ne fait plus tourner que ses aiguilles en silence. Le coucou est parti s’installer dans une autre maison, chez un couple qui a au moins trois braillards à nourrir, et là où il a fait son nid en douce, personne ne l’entend.Les trois aiguilles tourniquent, chacune à leur rythme. L’autre, la quatrième, est toujours plantée dans son bras. Il faut rester humain dans ses gestes quand on veut s’évader du monde dont on refuse de subir la réalité. Jo regarde les flammes qui lancent d’élégants reflets sur les murs, les illuminent dans la noirceur. Les services de la ville ont coupé l’électricité hier matin, et demain matin il gèlera, le feu sera éteint depuis des heures, et ce sale coucou suisse bien au chaud dans son nouveau logis nargue son souvenir.
Jo ne se souvient plus s’il fut jeune un jour. S’il a eu des amis. Ses rêves sont remplis de jeunes femmes graciles, girondes et grassouillettes qu’il transforme dans son sommeil pour rendre son vieux matelas plus sensible. Souvent la couche regimbe, et il ne peut plus dormir. Les rêves ont besoin de confort. Alors il ouvre les yeux, en pleine nuit, et regarde le plafond. Les braises rougeoyantes dessinent à trois mètres de hauteur les aventures dont il n’a jamais connu l’artifice du moindre bonheur. Sous sa couette usée, tachée de rêves érotiques, il respire son odeur animale comme un parfum de luxe, et s’en amuse. Puis s’endort.
Ce matin le temps est couvert et la température ambiante n’offre pas ses gerçures, son givre sur les carreaux de la soupente. Les résineux n’ont laissé que des cendres. Le poêle est froid. Le coucou doit manger un ou deux œufs à la coque. Par la lucarne de son unique pièce sous les toits le ciel se dégage, lui donne envie de voler, mais l’escabeau ne suffit pas à escalader les deux mètres qui le séparent du Velux. Si seulement il avait pu vivre dans une petite maison, et fuir ce sixième étage parisien sans ascenseur. S’il avait pu comprendre qu’alors il était jeune, qu’il aurait franchi les frontières de l’ascension sociale, rencontrer des femmes qui l’auraient orienté sur un autre chemin, une vie pleine de flammes, de femmes et de braise, argent facile et grands hôtels, mais dans sa chambre il avait été subjugué par le coucou, les aiguilles, et cette quatrième dimension que l’aiguille plantait dans son bras.
16 02 2022
AK
J’aime beaucoup ce triste texte !
J’aimeAimé par 1 personne