les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
J’ai pendu mes lèvres à ton cou pour que des grains de salive habillent d’un intense collier la nuit qui t’appartient, seule, et ne laissera de moi aucun souvenir. Pourtant, rien ce soir n’envisage entre nous un avenir égalitaire : la louve a mangé l’agneau, la corneille le camembert et la renarde aurait, dit-on, forniqué quelques louveteaux dans les sous-bois. Mes lèvres restent suspendues à ton récit. Et comme tu ne me racontes aucun de tes rêves la commissure de tes lèvres rembourse mes gouttes de salive, entre deux ronflements, quand les araignées du plafond descendent dans ma gorge et vont respirer l’air frais du printemps.
Avant de te rencontrer, j’étais maigre. La pluie nettoyait mes oreilles, mon corps sentait l’herbe des champs et la bouse de vache. Puis j’ai aperçu ton gros cul dans une impasse de cette avenue dont j’ai oublié le nom. Pour la première fois de ma vie, j’ai su. Oui, j’ai su que ce cul d’éléphant je pouvais l’avoir avec mon petit calibre, en visant bien malgré tout. Dieu ne m’a jamais pardonné d’avoir, pour une fois, tiré en pleine cible, tiré au but. Le Destin est souvent une erreur qui vise à rebours de son objectif. Petit déjà, je réclamais un cheval à bascule pour Noël à mes parents. Mais mon père a opté pour une arme de poing, qui me serait utile, plus tard, quand je suivrai mes études au Texas .
Moi, à cette époque, je voulus ensuite manier l’arbalète suisse. Guillaume Tell était alors mon héros. Si tu ratais la pomme, percer l’œil d’un clampin te rendait réserviste des fois qu’il faudrait sortir de la neutralité quant à la guerre mondiale.Et du bout de mes lèvres je léchais tes lobes d’oreilles. Entre deux détonations. Quand la pluie et tombée nous avons tous rempli des bidons en bas des immeubles brinquebalants d’où les gouttières étaient restées plus ou moins intactes. Cette eau nous ravigotait, nous allions gagner . Les perles de sueur, la salive et les chapelets de larmes finiraient par éclore dans des chants de victoire.
Hélas, toute cette salive, ces postillons adamantins, dans la luxure des ambitions finiraient bien par habiller la nuit de colliers mirifiques, chatoyants, sur lesquels des lèvres cousues avec élégance tairaient la réalité du monde, de la louve qui mange l’agneau, de la corneille et du renard, qui court encore.
04 06 2022
AK
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