Mort clinique ou stratégie (climatique) ?

Bon, je dois le reconnaître, ce soir je suis cliniquement mort. Mon dernier lecteur était en fait une lectrice et elle a décidé de mettre fin à nos échanges parce que je ne voulais ni ne pouvais l’épouser, à cause de ma moustache (elle me pensait glabre). Le châtaigner et le noyer qui me font de l’ombre dans le jardin depuis des années ont accepté de m’accompagner jusqu’au trou que je creuse depuis dix ans dans le village où je me planque. Pas de croix sur ma sépulture, juste une motte de terre où les taupes viendront chatouiller mes moustaches. Mes moustaches ! C’est ma vie. Elles ont poussé avec ma jeunesse, ensuite m’ont escorté durant ma vie professionnelle, puis ont blanchi au même rythme que mes cheveux. Les arbres me connaissent, et savent que mes poils chenus colorent aussi la vieillesse des gens qui ont vécu.

Certes, le temps ténu qu’il me reste à vivre m’enchante encore par ces fils tendus entre l’aube et le crépuscule qui constituent la vie, mais jamais le chemin ne peut se faire à l’envers, quand on a parcouru des sentiers devenus labyrinthes, des illusions navrantes et des amours éperdues. Alors, ce soir, à l’ombre du noyer et du châtaigner où mon âme lascive s’étend en ce début d’été, dans le parfum de sève de mon plus beau caleçon, je meurs. Sous la terre retournée il faudra qu’un matin les fleurs de la colère repoussent. Mais qu’on me laisse dormir, je suis cliniquement mort. Dans ce désert médical qui fait danser les chamanettes, quelques heures encore me restent pour survivre à l’enchantement d’enfin mourir idiot, entre les jupes légères et les incantations, avec (espérons-le) un peu d’herbe à fumer, celle qui allume le « feu » qu’alors je serai. (Le feu de saint Elme).

Dehors, la pluie s’est mise à tomber. Elle aussi succombe à la dépression des nuages. Parfois ce sont de gros grêlons et des orages, mais pour le réchauffement climatique je suis ad hoc: je suis cliniquement mort.

Sud-Ouest (une page de lecture offerte sans contrepartie à SO par le Petit K.)

La belle au bois dormant se réveillera toute seule, le chauffage au bois et les baisers, elle devra les oublier. Sans parler des croissants et de la grille de mots croisés ni du programme télé (le supplément du samedi) ni de ma grand-mère Noélie et de sa mort instantanée, le nez piquant direct dans la poêle à frire où elle cuisinait l’omelette de l’oncle Émile. De toute manière, je m’en fous. Ma dernière lectrice a décidé de mettre fin à mes écrits (salaces?) et au final je ne m’en porte pas plus mal.

Dans un tiroir j’ai retrouvé une vieille lampe de poche (avec Wonder, les piles ne s’usent que quand on s’en sert ») cadenassée de lampyres, de verres luisants. Alors la nuit, quand le noyer et le châtaigner roupilleront, bercés par la brise estivale, sous ma motte, j’écrirai. Mais c’est moi qui chatouillerai les moustaches des taupes. Et les chamanettes caresseront l’herbe qui poussera entre mes pieds.

02 07 2022

AK

(les petits bruts du jour ou de la veille)

7 commentaires sur “Mort clinique ou stratégie (climatique) ?

  1. Après la dernière promo d’agronomes déclarant qu’il fallait absolument rompre avec tout ce qu’on leur a appris, en terme de productivisme destructeur de notre environnement, c’est au tour de la dernière promo de polytechniciens à roulettes de manifester pour leur intérêt à rompre avec tous les modèles productivistes !
    Il reste un (tout petit) espoir, illustre Karouge.

    Aimé par 2 personnes

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