Les petits délits/res du dimanche

J’ai appris à lire dans le regard des autres mais pour les empêcher de lire dans mes pensées, je les ai assassinés, l’un après l’autre. J’ai commencé avec Germaine, une cousine qui vivait du côté de Lindau, en Allemagne. Nous avions sensiblement le même âge mais sa poitrine en avait deux d’avance sur ma sexualité. Elle riait beaucoup, ce qui m’exaspérait. Le silence, comme les jeux de carpes, était pour moi l’essentiel de ma jeune adolescence, d’autant que les jeux de carpettes m’étaient encore des sonorités inconnues. J’aimais étrangler dans un bois de bouleaux de jeunes vierges, et longtemps cette forme de crime m’a poursuivie. Raison pour laquelle en atteignant ma majorité mes conquêtes amoureuses se sont réduites à zéro. Pour meubler ce vide affectif, je me suis tourné vers les hommes, jeunes éphèbes qui se donnaient rendez-vous le soir dans les bois, entre chênes peupliers et haies de fusains moulant parfaitement leur taille. Mais ils me déçurent car la strangulation était plus difficile qu’avec les femmes aux cous de girafe. A vingt cinq ans, je fus embauché comme bûcheron dans une forêt du Morvan. Je hâlais de gros bourrins sur des sentiers boueux, des percherons d’une demi-tonne, qui tiraient au bout de leurs chaînes des troncs gigantesques que les chinois rachèteraient à prix d’or pour nous les renvoyer sous la forme de meubles en kit à monter soi-même avec une clé hexagonale et un tournevis made in Corée.

C’est dans ces forêts morvandelles que je rencontrai une famille de nains qui vivaient en autarcie depuis une dizaine d’années, ayant du fuir les jardins de petits vieux vicelards qui les exhibaient aux passants et les exploitaient sans honte, quand ils ne les vendaient pas à d’autres vieillards libidineux comme eux. Ils s’étaient acclimaté à leur nouvelle vie, et je pus lire dans leurs yeux qu’ils ignoraient mon parcours criminel. Je me sentais beaucoup de connivences avec eux, sachant que leur amabilité était liée au fait que mon passage régulier dans les layons avec mes deux canassons leur permettait de récolter une bonne moisson de crottin qu’ils utilisaient en permaculture pour faire pousser des champignons et des herbes sauvages leur servant de nourriture et entretenaient leur spiritualité débridée. Robur était leur chef, sa barbe était longue et parfaitement blanchie dans l’eau claire des ruisseaux sans pollutions, sauf les nocturnes. Au bout de quelques semaines nous sympathisâmes et je fus invité à dîner avec eux. Une grande famille : dix gosses, assis en rang d’oignons, deux grands-mères aux narines où poussaient du thym et des herbes de Provence, un oncle aux poils couleur carotte, trois épouses blanches comme la fleur de chou et d’autres invités très propres sur eux (sans doute des prêtres ayant apporté et béni des pains sylvestres). Nous rejoignirent deux olibrius qui vinrent compléter la table, bien mise pour y installer tant de convives.

Robur me fit visiter les alentours (pour éviter que je marche par mégarde sur leur habitation). Il me montra les revues auxquelles il était abonné : Reporterre, La Hulotte, Tout l’Opéra ou Presque (version papier), revues qu’il se fournissait avec la complicité de Maître Corbeau, un volatile très répandu dans le Morvan, contrairement aux cigognes qui ne transbahutent que des nouveaux-nés et des boîtes de petits gâteaux secs de la marque L ‘Alsacienne fabriqués chez Lulu, à Nantes. On les croque à l’envers, du côté de Nevers, avec un petit blanc rapporté de Nogent par les arrière-petits enfants de Mitterrand.

Vînt un moment où le débardage de bois me fatigua. Les chlitteurs étaient morts et ma vocation d’étrangleur impénitent s’étiolait. Étrangler un nain de jardin ou des bois à l’aide de sa longue barbe ne présentait plus d’intérêt. J’avais trente cinq ans. L’âge de créer un foyer. Mais qui voudrait de moi avec mon lourd passé? J’étais désemparé : trop jeune pour fréquenter les sites de rencontre, et dans les bois morvandiaux internet ne possédait pas d’antennes, vu qu’elles étaient ratiboisées par les bûcherons et revendues aux chinetoques comme grumes à valeur ajoutée, trop jeune aussi pour les sites archéologiques (bien que nombre de mes victimes y soient résidentes depuis des lustres, mais les os, c’est sacré, c’est comme un jeu de piste carpienne, une sous-marinade en mer Caspienne, un jeu de dupes qui soulève sa jupe avant de mettre les voiles vers l’Iran et ses carpettes aériennes).

Bref, j’étais seul dans ce monde obscur. La famille de Robur ronflait à en secouer la cîme des arbres. Lorsque je me souvins de ce petit carnet que j’avais toujours conservé dans la poche arrière de mon pantalon. Le carnet où, forfait après forfait, j’avais noté mes crimes. A ma grande surprise, toutes les feuilles étaient blanches : pas un nom, pas une adresse IP, pas même un dessin licencieux tracé de mes propres mains. Le carnet était désespéramment pur de toute pensée ou acte malsain. Pendant quelques minutes je me demandais si je devais appeler Poutine pour l’embrasser d’ainsi annihiler tous mes péchés. Puis je me ravisais. Pourquoi lui ? J’ai tant de numéros de téléphone dans ma petite cervelle, tant de salauds à appeler en mettant le haut-parleur à son intensité maximum. Et puis, réveiller Robur, sa famille et ses soucis existentiels, à quoi bon ?

Je me suis effondré sur un lit de mousse et ai attendu que tombe le crottin du cul des chevaux. A l’aube viendra la jument de Michao.

Je crois que je vais l’épouser, sa jument.

Chantez loups, renards et belettes, demain il fera beau !

03 07 2022

AK

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