les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Nous passions un long moment caniculaire. Rebecca commençait à fondre, et ce n’étaient pas les médocs qu’elle avait achetés sur internet à prix d’or qui y étaient pour quelque chose. La chaleur fait fondre la graisse, et pour ce faire, moi, Daniel son mari, lui ai proposé d’aller bronzer dans le transat du jardin. Je la massais avec une pommade bio sur son corps exposé mais non muséal. Auparavant, je lui avais enjoint de se peser sur la bascule, afin de comparer l’impact du soleil et celui des cachetons pour maigrir. Elle resta trente et une minutes avant de revenir en trombe dans la maison et se précipita sous la douche tiède. Je lui demandai de mettre une bassine sous ses pieds et de ne pas se savonner, juste frotter son corps avec ses doigts. Sa peau en sueur ressemblait à un marais salant et je pus récupérer la bassine à demie pleine, la sortir à l’extérieur pour que l’eau s’évapore et qu’il ne reste que la fleur de sel fournie par sa sueur après dessiccation.
La chair de Rebecca, sous la demi-heure passée au soleil, avait pris la couleur des crevettes dont se nourrissent certains échassiers pour maquiller leurs plumes dans les rizières de Camargue. Cependant, la serviette posée sur le transat ne comportait plus que quelques maigres traces de gras, et je rageais intérieurement de ne pas être allé la retirer dès que Rebecca avait quitté le siège. Le gras avait fondu et des mouches finissaient de boulotter le peu qu’il en restait. Elle prit deux cachetons (sa cure d’amaigrissement) avant de s’installer sur la balance pour continuer l’expérience. Le résultat frôlait l’égalité. Puis elle revînt et liquida un demi-litre d’eau gazeuse ; je lui avais dit cent fois que le gaz contenu dans l’eau ne fait pas plus maigrir que les épinards sans beurre, mais elle disait se sentir plus légère, comme si elle avait bu quelques coupes de champagne. Face à ce point de vue je ne possédais aucun argument, tant les bulles de ce plaisant breuvage me faisaient le même effet.
Vers dix sept heures nous atteignîmes le pic de chaleur tant redouté : 40° à l’ombre. Bien au-dessus des températures de nos masses corporelles. Nous nous mîmes d’accord pour sacrifier le contenu du frigo et du congélateur. Bien calfeutrés dans la cuisinette, nous ouvrîmes en grand les deux portes du meuble électroménager et fîmes tourner les pales du ventilateur acheté chez Centrakor, un balayeur d’air peu puissant mais, placé stratégiquement face au réfrigérateur il pulsait un air sibérien. Avant que les glaçons ne fondent, nous nous préparâmes un Gin fizz et avalâmes quatre cônes de glace réservés habituellement pour les soirs devant la télé. La température chuta de quelques degrés et nous redonna temporairement goût à la vie, l’ancienne, l’anté-caniculaire.
Pendant ce temps les incendies ravageaient la Gironde et le Sud de la France. Et nous, Rebecca et moi, nous gobergions et profitions d’un endroit clos rafraîchissant pour oublier le monde, le réchauffement climatique, les inondations, la grêle, les tempêtes, les vagues d’exilés meurtris, affamés, assoiffés, la disparition d’espèces animales (car il n’y avait plus assez d’eau pour faire flotter l’arche de Noé). Et soudain, panne générale : plus de jus, plus d’eau, plus de gaz, plus d’internet, plus de Rebecca, juste un brouillard épais qui sentait la pinède calcinée, un court-circuit géant répandu sur toute la planète. C’est à ce moment-là que je fis rentrer les chats dans la maison : sur le perron, ils grattaient et étouffaient. Rebecca avait fondu dans mes rêves (sadiques?), il ne restait qu’eux et moi. À présent totalement hagard face à ces catastrophes qui s’enchaînent, n’osant pas mettre les pieds dehors par crainte d’être dévoré par l’ignoble chaleur, je réfléchis à qui je pourrais vendre, plus tard, l’iode de la sueur des hommes, femmes et enfants, qui combattent les feux, tous les feux, ici, ailleurs, partout, comme nous tous, qui sommes le sel de la Terre :
« Nous sommes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens. » (Matthieu)
17 07 2022
AK
attention, petit, si ça continue tu vas toucher à l’excellence, alors du calme !
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Eh oui, les ouistitis aussi ont commencé petits !
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