Prose maritime

Un jour dans la marinière d’un pêcheur une moule tomba qui savait qu ‘elle finirait dans une casserole, avec ses sœurs et des bouts d’échalotes et dans l’échancrure du vêtement qui la précipitait vers sa fin elle rencontra une carotte. Le plat se cuisinait déjà et l’enfer semblait proche, tant pour la moule que pour la carotte. Les échalotes doraient, baignées dans l’huile d’olive et le marin, insensible aux amours naissantes, psalmodiait :

« comment chasser l’ivresse

quand au fond du verre vide

s’installe la tristesse… »

L’homme était un fin gourmet, en fait un vieux soiffard, mais ce jour-là seule sa femme était partie en mer. Ne craignant pas la tempête qu’elle venait déjà d’affronter sur terre, elle emporta en bonne mère sa fille et les gilets de sauvetage que les couples ont percé durant des années, mais qui résistent aux intempéries de la vie conjugale.

Elle tenait la barre comme Sally Mara tenait la rampe chez Queneau, en mer d ‘Irlande. La moule et la carotte ressentirent d’instinct ce que l’on nomme chez les dieux grecs « le coup de foudre ». Bien cachés dans l’épais vêtement de coton, ils firent connaissance et échangèrent un premier baiser, pendant que le cuistot remuait la meute de moules à laquelle il rajouta aïl et persil, ainsi qu’un verre de vin blanc dont il vida la bouteille en la saisissant au goulot, comme il avait fait avec sa femme quand il voulut l’étrangler.

La mère était sur l’océan et la fille maintenait le gouvernail en se jouant des courants de la mode et des vagues pandémiques. Elles songeaient au père, resté sur le continent, et riaient entre elles car le couillon ne savait rien de la préparation des moules de bouchot ni des moules farcies importées d’Espagne. Elles avaient pris la bonne décision. Cependant, elles commencèrent à ressentir la faim. Elles ignoraient tout de la pêche, des appâts, du hameçonnage inter-nautique, du crin (en millimètres), des moulinets, qui ne sont pas des rouleaux à pâtisserie.

Soudain, dans le petit rebond que forme le ventre des retraités, l’homme sentit une agitation qui, ponctuellement, venait en général de plus bas. De fait, la moule et la carotte copulaient , se pensant sans entraves avant le grand acte sacrificiel où tous deux seraient plongés.

Pourtant l’homme se gratta modérément le ventre et reprit sa chanson :

 « comment chasser l’ivresse

quand au fond du verre vide

s’installe la tristesse… »

Il inventa un autre couplet :

« comment aimer la faiblesse

du verre en cristal qui chante

Quand elle inspire la tristesse ? »

Et il sala les moules sacrifiées avec ses larmes d’ivrogne. Quant à la carotte, elle put s’évader avec l’aide d’une échalote qui avait glissé des doigts du vieux marin cuistot.

(Encore une histoire très morale, monsieur, écrite sans doute quand vous êtes tombé du lit?)

24 08 2022

AK

6 commentaires sur “Prose maritime

  1. mon pauvre monsieur K, on sucre les fraises mais on ne sucre pas le raisin (sauf pour trafiquer sa teneur en alcool, dans la cuve), on sale les nouilles mais on se sale pas les moules, surtout quand on porte une marinière ad hoc; sinon j’aime cette histoire d’amour (un peu ole ole, comme des mejillones rellenos)

    Aimé par 2 personnes

    • Il y avait un groupe dont j’ai oublié le nom dans les années 80, dont une chanson disait « il n’y avait plus de sel, alors avec du sucre on fit du sel » (de mémoire). Egalement d’autres intros : « je suis Grimaud le fou, je suis Grimaud le loup ». Si vous retrouvez, faites-moi signe !

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