les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Il voulait dessiner un cœur sur le sable, à l’aide d’un vieux bâton de bois flotté qu’effacerait la marée montante. Comme un château de sable, sans doute, un message d’enfant certainement, sans récipiendaire, sans bouteille jetée d’un bateau rimbaldesque (de Rimbaud ou du Rainbow-Warrior) où sombrerait un message encore vierge malgré l’ humidité maritime.
Mais comme souvent les airs que l’on se donne chantent plus faux que l’eau où batifolent les canards et les baleines, on remet ses dessins aux mains du Destin. On dessine la vie selon les saisons vécues, qui sont devenues les plurielles des nombres premiers. Le sable égraine le temps, les chapelets égrènent leurs prières. Le sable est devenu poussière, et l’Homme cendre. Le vent nous portera (cf noir désir).
Il voulut plus tard mourir allongé sur un transat, mais tous étaient réservés sur le Titanic (ta mer!). C’est ainsi qu’il rencontra Clara, non sur un paquebot, mais sur la plage de Biarritz, où en été les chiens sont interdits mais dès l’automne autorisés à promener leur laisse et discuter, entre deux maigres arbres et des balustrades en béton, de la vie de la cité.
Près du Vieux Port, sur une plage entre celui-ci et la Grande, sa mère s’était installée, dans son maillot des années soixante. Il jouait aux petites voitures à côté d’elle,faisant des circuits dans le sable humide, jusqu’au moment où elle lui demanda de déguerpir en vitesse car la mer montait. Il perdit ses jouets, des NOREV et Dinky Toys.
Il faut sortir ses rêves des draps de lit, les émanciper par la profanation de règles absurdes que sont le temps et la vieillesse. Puis on prend le temps de vieillir souvent en riant avec de fausses dents. On a mordu la vie dans sa jeunesse, on cherche ses mots sur les grilles d’un Scrabble pour gagner une fin de partie. Mais dans le fond, on s’en fout. Que les marées montent ou descendent le sable sur la plage a tout effacé, le bois flotté est devenu décoratif et le cœur a disparu, ne laissant nulle trace.
Les vieux se mettent alors à chanter faux et disparaître , à dessiner ce que devient le monde, mais le monde a noyé ses espoirs dans l’océan des Turpitudes, le maelström des Inconnues. Le ciel est bleu comme les yeux des marins au long cours, pourtant il pleut et sans savoir pourquoi le vent nous portera. Sa mère, sur la plage biarrote, lui a demandé de filer en vitesse, laissant ses petites voitures ensevelies sous le sable, perdues à jamais. James Dean, Hitchcock , pouvaient rouler en paix dans l’eau salée : son enfance s’était noyée dans la précipitation.
Plus tard, quand il avait encore des dents de sauvageon, il s’est demandé comment mourir d’amour en mordant la vie à pleines dents sur les seins d’Éva, pour qui il avait gratté le sable avec un bâton pour dessiner un cœur. Ce n’était pas une bonne idée, mais durant des années, plus tard, il n’en trouva pas d’autre.
Alors surgit l’inattendu. Celui que l’on ne nomme jamais dans les jugements rendus par les Hautes Autorités, sous quelque enseigne qu’elles évoluent. L’inattendu, c’est un espace gigantesque dont on ne sent pas la venue : la retraite. On quitte le monde du travail, les vacances à la mer, les potes avec leurs châteaux de sable qu’ils pensent bâtir encore avant de s’en exclure ; mais sans s’en rendre compte. Le retrait, mois après mois, formule l’abandon et souvent la solitude. La pension est maigre et le sable lointain. Il faut vivre avec peu. Regarder la télé, le cinéma est loin et cher, alors James Dean, Hitchcock et les programmes insanes s’incrustent dans la vie quotidienne. Le ciel est bleu et pourtant il pleut, où sont partis les marins, pourquoi n’y a-t’il plus d’eau dans les rivières, où sont passés les NOREV et les Dinky toys ?
Les rêves sont suspendus aux pendules et les petits vieux vont saliver en entendant la sonnerie du repas du soir. Que fera Éva avec le Z qu’elle n’a pas pu placer au Scrabble et qui lui a fait perdre la partie ? Elle dira que les autres joueurs ont triché. Elle dessinera dans la purée du repas un gros cœur pour se souvenir qu’à une époque, elle roulait dans de rutilantes voitures, du côté de Biarritz.
30 09 2022
AK
Que voilà une belle chronique de Norev évanouis, illustre Karouge !
Bonne journée, et le bonjour à Eva.
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Chapeau l’artiste ! Parmi les vieilles bagnoles, évitons Evita Peron et Céline de Dion sans Bouton, et, sans elles, prenons notre Panhard (celui qui leva les sorts)
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Merci pour les quatre lapins qui survivront à ton commentaire ! J’espère que le Bol (d’Or) Sonaro s’écrasera dans les glissières présidentielles!
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