Des peaux de confiture

« Ma confiture est délicieuse » déclara Suzette, la femme de James alors qu'elle lui en embarbouillait le visage sous le fallacieux prétexte qu'il n'avait pas versé de larme lors de l'enterrement de la Queen. Celui-ci lui rétorqua qu'il trouvait toutes ces pâtisseries indigestes depuis la mort de leur vieux chat, qui se nommait Charlie. Un décès advenu lors de l'écrabouillage du matou qui traversa la route pour trouver un emploi de chasseur de souris dans un grand hôtel de banlieue, rémunéré à la pièce et au poids. Le pauvre animal fut réduit en bouillie mais comme dit le proverbe « la bouillie ne fait pas la confiture, sauf si on la mange les yeux fermés » (fin de citation).

Sur le plan de travail trônaient quatre pots de confiture de figues, cueillies aux heures précises où les frelons asiatiques font la sieste. Les routes de la soie ne participent pas à leur invasion, d'autant qu'ils n'ont pas de passeport ni d'empreintes génétiques pour savoir au niveau des douanes d'où ils viennent, dans les conteneurs pleins de produits destinés au bien-être des occidentaux. Tout ce qu'on sait est qu'ils viennent de loin. Comme quoi il vaut mieux vivre ici que là-bas, avis partagé par les moustiques tigres et autre bestioles importées.

De là à goûter la confiture de Suzette, la compagne de James, il suffisait d'y tremper sa langue pour comprendre qu'elle était parfaite. Mais James renâclait. Il n'était jamais content, que ce soit pour le repas ou les friandises que Suzette lui cuisinait avec amour. Suzette était parfaite, mais possédait un petit défaut non négligeable : elle était enrhumée chronique. De son nez coulaient des jus qui tombaient, souvent par maladresse, dans toutes ses préparations culinaires ou gourmandes. Il n'en fallait pas plus pour James, qui n'avait versé aucune larme pour la Queen, pour qu'il s'abstint à goûter le moindre plat, le plus insignifiant bonbon que Suzette lui présentait.

Il fallut attendre que les voisins de palier, puis ceux de l'étage du septième, puis ceux du sixième, s'inquiètent de cette odeur de brûlé qui emplissait la cage d'escalier. Une âcre odeur de confiture trop cuite. Les gens se concertèrent dans la cage d'escalier : qui irait frapper à la porte du couple ? On les connaissait à peine, et question confiture, personne n'en n'avait jamais goûté. Les vieux sont radins, c'est comme les riches, tout pour eux, rien pour nous autres. Et le James, pas même les yeux rougis après le décès de la Queen, pensez donc ! Du coup, on appela François, le petit du cinquième étage, un morpion de dix ans multi-récidiviste dans le vol des pots de confiture. « Vas-y, toi ! »

François tapa trois fois sur la porte dont les six verrous rouillés tournèrent en crissant sur la porte blindée. Suzette ouvrit, un large sourire aux lèvres : « mais c'est mon petit François que voilà! quelle chance tu as ! Aujourd'hui j'ai concocté une super confiture ! Sache, mon petit, qu'à l'annonce du décès de la Queen, James est tombé dans les pommes. Je n'ai eu alors qu'à les ramasser. Certes, j'aurais pu en faire de la compote ou une tarte, mais que nenni ! »

François regarda vers la porte du palier restée entrebâillée, se demanda s'il devait fuir à toutes jambes ou se confronter aux voisins, planqués dans le couloir. Les gosses sont malins, surtout quand ils ont faim : « je peux goûter, Mamie ? »

Suzette lui tendit une cuillère, « attention, elle est encore chaude ». Le gamin fit semblant de la porter à ses lèvres, mais déclara hypocritement « elle est délicieuse !  Au fait, où est papi James ? »

« Papi James ? Mais il est parti en Angleterre acheter tous les produits, gadgets et autres conneries pour célébrer l'enterrement de la Queen. Il a même dit qu'il rapporterait un Welsh Corgi Pembroke, ou du moins sa photo peinte sur une porcelaine Royal Dulton. »

Bien entendu, François n'en crut pas un mot. La confiture qui sent le brûlé c'est un indice qui ne trompe pas. Il fouina dans la marmite en cuivre, mais ne trouva que du sucre caramélisé. Déçu, il alla fermer la porte d'entrée et revint vers Suzette: « dis-moi la vérité ! » admonesta-il Suzette , du haut de ses dix ans.

« mon pauvre François, je vais te l'avouer, car tu es jeune et que tu pourras faire la même chose, car tu as le temps devant toi. Eh bien, vois-tu, James, sous couvert de le mithridatiser, en fait je l'ai assassiné durant de longues années, presque 96, comme la Queen . »

Le gamin ne parut pas surpris de cette révélation. Il répondit simplement : « moi, j'empoisonne la vie de mes parents 24 heures sur 24. Alors, mamie Suzette, quand enfin sortirais-je de ma déconfiture ? »

« Attends l'automne, François, il vient vite quand on vieillit trop jeune !»répondit-elle.

07 10 2022

AK

4 commentaires sur “Des peaux de confiture

  1. Ton sens de l’observation des moeurs confiturières anglaises me laisse pantois, mais de là à se pendre. Cependant je crois que tu confonds :François est le chef de l’église catholique, et non un gamin de dix ans. Pour info le chef de l’église anglicane est Charles. Pendant ce temps, James bonde et boude. Et Suzanne, elle m’emmène écouter les sirènes.

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    • En fait, François est un prénom trouvé au hasard, sans connotation avec la Queen. Enfin, presque, car j’aurais pu lui faire un enfant, quand elle était jeunette, à peine assise sur le trône, qui serait devenu un saint. Quant à Suzette, au début, c’était Simone, puis je me suis mélangé les pinceaux, et comme je me relis, MOI, j’ai réajusté le récit, sinon ça n’aurait pas Marchais. D’accord, c’est dur de vieillir, mais au moins on rigole, pas vrai, beau Ouistiti ?

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