Une histoire à l’eau de rose

samedi 23 janvier 2010 par AK Pô

Où il n’est pas dit que les maillots de bain soient tous de couleurs identiques, ni que les personnages de cette histoire soient réels…

Elle se déshabilla à la hâte et plongea dans l’eau bleutée. Brasser de l’air ne lui suffisait plus ; elle avait besoin d’un contact plus charnel, plus palpable, que celui des jours semblables aux marées d’offres et de demandes qui encombraient son bureau de paperasses. Elle n’avait, dans ce bain, rien d’une naïade, mais une bonne géographie de la vie lui permettait de dériver à son aise, malgré l’œil des hommes qui la regardaient depuis le bord. Eux-mêmes s’étonnaient de son agilité, de sa souplesse, de sa capacité à synchroniser les gestes pourtant obscurs et complexes que nécessite l’art de la natation, mais certains disaient à voix basse qu’on apprend plus vite en nageant en eaux troubles. Il est exact que les hommes, s’ils sont universels, conservent malgré tout ces deux handicaps : ils ne savent ni voler de leurs propres ailes, ni marcher sur l’eau. Pour le reste, il est vrai, l’homme a tout pour finir en maison de repos.

Parmi ces observateurs débonnaires, se trouvaient quelques fins connaisseurs de l’art naval, de l’art dînatoire et du lifting électoral qui, regroupés pour l’occasion, faisaient planer un consensus joyeux sur cet agglomérat de communes réconciliées, comme une famille se réjouit pour le baptême de l’arrière petit neveu d’Henri IV, autour d’une vasque remplie de Jurançon.

Quand la baigneuse s’appliqua à faire la brasse papillon, il sembla que certains édiles désertassent la rive, comme il arrive parfois, quand résonne l’appel des îles désertes aux oreilles du navigateur au long cours. Certes, l’un était plus adepte de l’escalade et de la descente en rafting que de la plongée sous-marine (n’y avait-il pas une cascade vertigineuse près de chez lui ?), l’autre appréciait plutôt le bobsleig à moteur (son pays était à peine collineux), un autre encore semblait plus chérir le rugby que la bouée à tête de canard, palmes et tuba, quand un dernier, vêtu élégamment comme un bey ottoman, ne paraissait pas disposé à ôter son béret en cas de noyade de l’ondulante sirène. Ainsi sont les hommes, dotés de multiples capacités dont aucune ne sert à secourir la vie en danger, quand celle-ci périclite et peine à remonter à la surface.

Mais là, en l’occurrence, il s’agissait d’une femme, d’une mère. Soudain la belle commença à avoir des crampes et montra quelques signes d’épuisement. Heureusement, dans ce secteur, on avait pied et le plus dur était de perdre contenance devant ces regards scrutateurs de mâles. De jeunes férus de natation promptement retournèrent leurs vestes caoutchoutées pour ne pas se mouiller au contact de la peau féminine, de ce bras tendu, par crainte d’une égalité significative hommes-femmes, que ce geste, filmé en direct, ne manquerait pas d’évoquer. L’alpiniste lui lança une bouée, qu’il avait récupérée au centre de traitement des eaux usées, près de la taupinière géante qui jouxte la déchetterie et l’usine d’incinération. Son geste fut applaudit, unanimement, par la foule des badauds qui attendaient la permission de prendre leur bain avant la tombée de la nuit.

Sortie de l’eau, on offrit à la rescapée une bonne couverture, molletonnée et médiatique. On la pressa localement de questions vaseuses et de rumeurs froides et, bien qu’ayant bu la tasse quelques minutes avant, elle déclara à pleins poumons que dès demain on creuse, j’attends le puisatier qui déterminera le bon endroit, et vous verrez, rois de la pataugeoire et reines des pédiluves, comme la ville royale (Pau) saura drainer les foules vers les plaisirs nautiques, les plongeoirs et les lignes d’eau tirées au cordeau par la rigueur budgétaire.

Bien sûr, personne ne la crut, mais tous applaudirent.

Ainsi, chacun parla, usant sa dialectique sur le silence de l’impatiente foule, qui se moquait bien des beaux discours, sachant pertinemment que le seul vrai progrès, c’est de pouvoir faire sécher son linge sur les fils téléphoniques. Mais à chacun son bain… de foule.

-par AK Pô

6 commentaires sur “Une histoire à l’eau de rose

  1. il y aura foule à t’applaudir après ce bain bien mené, mais je ne participerai pas à la liesse, usé de voir ces Béarnais s’approprier non pas tant l’Henri, ce vert galant plumé de blanc, qui finit ravaillaqué, n’ayant besoin de roi et de rien, mais prétendre à la balnéité dans ce gave sans marée est une rodomontade coutumière à ces régions

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