La dernière nuit blanche du Grizzly

lundi 28 décembre 2009 par AK Pô

Tout a commencé par une petite annonce parue dans le Fairbank Daily News, un quotidien de l’ Alaska (EU) profond. Un français, un certain AK Pô, recherchait un ours pour lui tenir compagnie cet hiver. Tout était payé ; ainsi, le vol Anchorage-Pau aller-retour, les frais de séjour et le miel à volonté m’ont incité à répondre à l’offre. D’autant que le cours du dollar me permettrait, dès mon retour, de monter ma petite saurisserie de harengs et de saumons, en saison. Le fait que je sois noir n’était pas un problème, d’autant que mon pull over était orné d’un grand V à son encolure. Mon employeur potentiel m’écrivit qu’en outre, une fois loin des rives du Yukon, je pourrais éventuellement me présenter comme basketteur à l’Elan Béarnais, au vu de ma grande taille. Avais-je déjà quelques notions de ce sport, existait-il une équipe genre les Caribous de Juneau ? Je mentis en répondant que oui, sachant que le sport pratiqué ici était plutôt le hockey, dont la célèbre équipe des Ours Polaires de Sitka était la plus populaire, malgré le petit nombre d’habitants de cette ville (environ 8000, avec les castors et les inuïts, yupiks, amérindiens et aléoutes).

Je reçus très rapidement ma feuille de route, et c’est ainsi que le mardi 22 décembre 2009, à huit heures AM pétantes, je survolais le Mont Mac Kinley (6194 m), puis la Sibérie et Moscou, où j’achetais au passage une chapka en renard blanc ; ensuite je m’endormis. Paris fut la dernière escale ; je me perdis dans les couloirs de transit en recherchant « la porte des Pyrénées » et finis par trouver la porte d’embarquement , renseigné par un chef de gare que les grèves obligeaient à voyager par les airs (à mon avis, c’était un prétexte pour rencontrer des hôtesses).

J’atterris donc en début de soirée, le 23, à l’aéroport de Pau-Pyrénées, en compagnie de quelques anglo-saxonnes et d’un dirigeant de parti politique à grandes oreilles. Une brise glaciale cinglait les joues cramoisies des anglaises, et j’acceptai sans problème de partager le taxi pour nous rendre au centre ville quand celles-ci me firent signe de me joindre à elles. Elles me câlinèrent en chemin, ce qui fit faire au chauffeur quelques écarts, qu’il nous dit être liés au verglas, courant à cette époque-là de l’année. A french liar, me sussurèrent-elles à l’oreille. Quant à mon hôte, bien entendu, il ne s’était pas déplacé pour venir m’accueillir. Je me demandais quel genre de zigoto ce devait être. Avait-il de grandes oreilles ? Ce petit pays me parut tenir dans un mouchoir de poche, tant par la rapidité avec laquelle nous parvînmes au centre que par la ressemblance frappante des individus emmaillotés que nous croisâmes.

Les anglaises déposèrent leurs bagages devant le Conti, un hôtel connu comme le loup (blanc) des steppes pour sa façade romantique ; quant à moi, sur les indications du chauffeur de taxi, je pris la direction du domicile d’AK Pô, dont la proximité ne faisait aucun doute, selon les dires de l’homme. Les rues que je suivis étaient aussi désertes qu’un écran de télé, mais éclairées par mille ampoules festives bleutées et scintillantes. Les voitures stationnées se paraient de givre, et quelques unes s’en protégeaient par de petits papiers à deux épaisseurs scotchés aux essuie-glaces. Certaines en possédaient plusieurs, formant une couverture sommaire et pitoyable, et l’on imaginait avec une once de dégoût le zèle qu’avaient mis les auteurs de ces actes à ainsi décorer les pare-brises de papillotes si ternes, et rabat-joie. Sans doute s’agissait-il d’une tradition ancestrale, un genre papillons d’hiver pour soutenir les apprentis d’Auteuil (voire de Neuilly) ou les orphelins de la Police.

Sur la porte du n°45 de la rue en question (que le narrateur vous remettra contre un chèque de deux cents euros rédigés à son nom, sur demande expresse et lettre de motivation manuscrite, datée et signée de la main gauche uniquement),un heurtoir en forme de petite main en bronze pendait, lequel, quand on frappait l’huis avec, fredonnait l’air de « la petite main sur la porte de bois ne bouge pas, ne remue pas, même pas le petit bout du doigt », de J. Prévert mis en musique par W. Kosma. C’était épatant. Sauf que personne n’ouvrait. J’eus beau tambouriner, rien. Un camion de pompiers fila en silence dans la nuit, un chat feula, une mouette insomniaque rit, une sirène danoise perdit tout espoir, un troupeau de moutons des îles Shetland traversa au passage piétons, je vis ma vie défiler en une fraction de seconde (c’était bien assez) devant mes yeux, mais la porte du paradis resta close. Finalement, ce devait être la fameuse porte des Pyrénées, et mieux valait chercher un aimable samaritain pour me loger cette nuit, car vu le niveau de mon dollar, je serais bon pour dormir sous une canadienne (tabarnak !). Quant à ce saligaud d’AK Pô, je lui ferai la peau, à ce vendu, parole d’ours !

Une semaine durant, j’errais ainsi, dans les rues et les faubourgs de Pau. Personne ne me remarquait, tous étant munis de vêtements recyclés bien chauds, polaires colorées et cache-nez en bison gersois, passe-montagnes et cache-cols aubisquins (en laine vierge), les yeux rivés sur les vitrines miroitantes, les feux tricolores changeants, les luminosités rouge carmin et les orangés des freins et des clignotants des voitures, bref chacun était plongé dans son merveilleux monde d’ineffable désir consumériste. Je dus me nourrir de kébabs, faire les poubelles comme mes congénères du pays du soleil de minuit, faire semblant d’être en peluche pour encaisser quelque menue monnaie, éviter quelques montagnards des hautes vallées descendus en ville, guidés par l’étoile du berger, sans parler de la difficulté à trouver une place libre dans un cyber café surchauffé.

Cela dura jusqu’au soir du trente et un décembre. Car, on a beau se faire une raison, on a toujours tort quelque part, quand tout arrive. Et cela arriva : je vis AK Pô. Quelle ne fut pas ma surprise (lui ne m’avait pas vu) ! Du haut de son un mètre cinquante, talonnettes non comprises, il portait un gibus ridicule et son visage s’ornait de deux rouflaquettes, qui s’ourlaient sur une impériale jusqu’au bas de son menton trop large (sans doute était-il beau parleur). Ses yeux tournoyaient dans leurs orbites comme deux planètes surveillées par des satellites géostationnaires, l’un russe l’autre étasunien, et son nez frétillait en se gorgeant de CO2, comme les saumons de mon Yukon natal. Il se tenait debout, immobile, face à un distributeur de lait installé sur la place Clémenceau, près de la banque I. (le narrateur se réserve le droit d’en donner le nom uniquement après remise des chèques demandés plus haut). Je me demandai comment faire payer à ce nain sa forfaiture, car, bien que ma nature ursine ne soit point prédestinée à une quelconque vengeance (les ours étant considérés comme les ancêtres de l’homme), une punition bien méritée me sembla juste.

L’empoisonner avec un pot de miel, ou de confiture, me parut une bonne méthode. Ne m’avait-il pas promis du miel à profusion, dans son contrat non tenu ? Mais le miel était rare, cet an-ci. Les frelons asiatiques avaient réduit les ruches à des alvéoles creuses mais froufroutantes pour ceindre la taille -fine- de leurs petites copines liseuses de mangas édulcorés. Pour la confiture, il fallait aller au bout de la rue Joffre, chez Coucougnettes, et je n’en avais ni le temps, ni les moyens. Il ne me restait plus qu’à le fumer comme un saumon. Sitôt dit, sitôt fait. Plongé dans la saumure, va donc implorer saint Sylvestre l’hébergeur de fêtards, puisque tu m’as refusé ton hospitalité. Du sel, du séchage, et de la fumée de bois de hêtre te rosiront la chair, AK Pô, et, si tu ne passes pas l’année, au moins tous les noceurs se régaleront de t’avoir à leur table.

C’est alors que je m’aperçus de ma profonde erreur, que je m’étais planté : ce n’était pas lui ! Comment me rendis-je compte de ma bourde ?

Quand, vers minuit, pendant que sautaient les bouchons et klaxonnaient les bouteilles de champagne, une place se libéra dans le cyber café de la rue Montpensier, où je me réfugiai en hâte. Griffougnant sur un clavier dispo, je tapais son nom par mégarde sur google. Et bien, le chenapan vivait à Fairbanks, Alaska, dans une PO box ! il avait même créé un blog, en forme d’igloo ou de yourte, et on pouvait le voir sur une photo de groupe, entouré d’inuïtes aux dents pointues et aux technologies aguichantes, étendues toutes nues sur des peaux d’ours blancs faisant semblant de dormir.

Cela me rendit furax. D’un bond, je franchis la porte des Pyrénées, d’un autre je sautai le mont Mac Kinley, d’un troisième enfin je me présentai à lui, passant ma tête par la lucarne de son blog, et hurlai, comme savent le faire les vrais grizzlys :

Hey, AK Pô ! Tu pourrais au moins souhaiter la bonne année à tes lecteurs !

Ce qu’il fit sans barguigner, car 2023 sera : une grande année pour les lecteurs du Petit Karouge Illustré !

-par AK Pô

25 12 09

(remasterisé 31 12 2022)

3 commentaires sur “La dernière nuit blanche du Grizzly

  1. liar, je connaissais pas, c’est quand ça vaut pas un liard ?
    mais toi tu sais que baragouiner vient du breton ‘ »bara gwen » ou « bara gwin », quand (au Moyen-Age?) un breton demandait du « pain blanc » et que personne ne le comprenait

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  2. Il est grand temps que cette année s’achève pour que la suivante prenne place sur sa chaise. À l’an prochain cher Karouge et ne dérape pas sur la nappe ! ( on fait les vers qu’on peut…). 🥂🍾🧁

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