les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
René Depestre est un poète, romancier et essayiste né le 29 août 1926 à Jacmel en Haïti.
poèmes tirés du site : https://www.poemes.co/
Conte d’un Poète barbu
Barbu j’ai des atomes crochus avec les pluies et les étoiles, les souffrances et les fêtes de tous mes foyers d’origine.
Dans une histoire masquée ma barbe risquait d’être un palmier aveugle à vie au lieu d’un conte de fées.
Pour la barbe des poètes
il n’y a pas de commandant en chef
ni d’ayatollah cubain inspiré
ni de gestionnaire du sacré.
Mes poils gris sont des racines qui voyagent partout avec moi : je les porte, les pieds dans la boue, la tête dans la conscience émerveillée.
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Sans la barbe je serais la proie d’un rude travail de deuil et de nostalgie ; ma barbe me tient à l’abri du panier de vipères et de crabes des exilés.
Venue de la mer caraïbe ma barbe a les pieds sur la terre et pour plaire au clair de lune il lui arrive aussi de voler.
Proche des sept femmes de l’arc-en-ciel la nuit ma barbe est phosphorescente ; pour célébrer le lotus de la femme aimée ma barbe est un imaginaire qui bande bien.
Le souffle coupé j’avale ton miel
je mords âprement à ton millefeuille
je suis le feu je grimpe aux cordages
de l’arbre du bien et du mal : vorace,
Carnivore, pirate éperdu, je te mange
je te bois, je te dévore en macho fou
de tes
Indes occidentales fou perdu
de ta galerie de fête et de mystère
je vis ta conque en voyageur inassouvi
au moulin à magie et à café fort noirs
où je mouds le bonheur en poudre de sucre roux.
Le chant désolé d’un hibou
a interrompu son rêve d’Africain.
A l’heure des coqs en
Angola
une nuée dansante
de jeunes filles ont confié
la pierre bleue de son chemin
au flux et au reflux de la mer.
O
Mario ! sur le bord en cristal
du temps de guerre qu’il fait dehors
tes pas de voyageur égaré
font un bruit de rivière sur le gravier
tandis que ta mort tourne sept fois
autour de ma maison audoise qui obéit
à la seule logique de la vigne.
La petite-mère-révolution aux abois
l’ayant fait descendre de son cheval
c’est à pied que
Mario de
Andrade
a traversé les fumées au tunnel du siècle
pliant l’épaule
sous le baluchon de ses idées
d’homme libre.
L’ombre mortifère de l’époque s’est arrêtée à sa porte : une géométrie sans foi ni loi a fait déborder le lait de ses jours.
Dans vingt ans il sera plus jeune que le temps de sa mort.
Attends-nous sur la colline
avec l’oiseau-phosphore des poètes ;
au soir du dernier automne attends-nous sous l’écorce du baobab, attends-nous avec ton foulard magique : pour ouvrir d’autres collines à notre foi en père d’une percée
jamais vue du monde.
Personne mieux que toi ne peut voir
ce qui nous arrive après les contes
amers du
XXe siècle.
Au jour
venu de la montée des lumières de l’homme
et du citoyen
sois le matin de rosée
qui donne sève et sens à notre espoir.
Si meurt mon
Mario de
Andrade que la chair de la beauté berce sa mort sur une colline d’Afrique au carrefour où les dieux attendent pour les rouvrir les yeux qu’aura un jour la nouvelle enfance des
Justes !
Pour en savoir plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Depestre
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