les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Le chat était perché sur le dossier du canapé et à quatorze heures il dormait à griffes rétractées. Ma mère, qui faisait sa sieste sur ce même canapé, ronflait comme une locomotive dort. C’était une belle après midi de la mi- mai, avec ses premiers parfums de paresse estivale. De plus, c’était un jeudi férié qui portait le prénom de ma mère : Ascension. Et pour fêter cela, j’entrai dans le séjour avec en mains un gâteau et criai à tue-tête (ma mère est âgée et sourde comme un pot de confiture bosniaque): « bonne fête maman ! »
La vieille fit un bond prodigieux, heurtant le plafond avec son front et sa chair molle, et retomba, raide morte. Arrêt cardiaque ou choc émotionnel intense, la police enquête. J’étais consterné, mais ne lâchais pas le gâteau. Avais-je raté le coche de la surprise agréable et ma mère pris la mouche pour un rien, un simple petit geste d’amour filial sans mal entendu (ou avait-elle toujours fait semblant d’être sourde) ? Le chat continuait à roupiller, il me sembla même entendre le vrombissement d’un ronron. Ou le claquement sournois des ressorts reprenant leur élasticité tubulaire initiale. Ou étais-je simplement sonné ? J’étais embarrassé, voilà tout. Entre un gâteau dans la main et un cadavre sur les bras, il est difficile de prendre une sage décision.
Devais-je appeler en urgence les pompes funèbres et ce faisant les inviter à partager le gâteau dès leur arrivée, appeler dans la foulée le curé pour qu’il apporte avec les derniers sacrements une bouteille de vin blanc doux, (mais le jour étant férié cela me coûterait certainement un bras), et de ce fait j’optai pour la deuxième solution : ne rien faire, sinon avaler le gâteau en silence et envoyer le chat balader afin qu’il n’y eût aucun témoin dans la pièce. En jouant les taiseux je pourrai continuer à vivre tranquillement ma vie de patachon. Ascension touche une petite pension et quelques allocations qui nous ont permis de vivre, mère et fils, jusqu’à ce jour. Des amis, des visites, il n’y en a plus depuis que ma mère est sourde et que les chats ont envahi la maison, ce qui est un gage de paix au foyer. J’approche de la soixantaine, et nous avons toujours vécu ainsi.
Mon père s’est suicidé suite à la chute en Bourse des actions d’ Eurotunnel, dont il avait acquis de nombreuses parts. Cet idiot ne les a jamais revendues et aujourd’hui, enfin elles remontent comme des fleurs de pissenlits. En cumulant pensions, retraite et intérêts des livrets A et Z, plus les actions, je peux survivre tranquillement, comme je l’ai toujours fait jusqu’à présent, sans jamais travailler. J’enterrerai ma mère au fond du jardin, à côté de la tombe de Melchior, notre chien (sa photo trône sur la cheminée). Pourquoi prendre une concession dans un cimetière, quand on possède un jardin que l’on fréquente au quotidien ? Les caveaux de famille sont souvent d’une telle tristesse qu’ hormis à la Toussaint on ne les pratique pas.
Quand le facteur passera, à sa question : » je ne vois plus votre mère, depuis quelques temps » je répondrai : « oh, elle était vieille, je l’ai mise dans une maison de retraite, un EHPAD très bien, à Bordeaux », en ajoutant : « il n’y avait plus aucune place, localement, c’est bien triste, non ? » et je signerai les recommandés la concernant. La seule et importante difficulté est de savoir comment je vais pouvoir survivre décemment : faire la cuisine, la vaisselle, le repassage, nettoyer la maison…choses qu’elle faisait avec application jusqu’à ce jeudi. Mais j’ai trouvé la solution.
Je vais m’inscrire à un site de rencontres sur Internet : « célibataire, la soixantaine, cherche femme… »
-par AK Pô
080514
Locomo Locomo passe et trépasse et les chats seront bien gardés …
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pauvre petit k, tu délires, ta maman vit à présent avec moi depuis plus de 8 ans, nous nous sommes mariés et habitons la résidence Maryse Bastié à Bordeaux; elle va très bien et s’occupe de moi, agile, à l’écoute, peut-être un peu trop bavarde, mais toujours enjouée; viens nous voir
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C’est rassurant !
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