Être poète, c’est avoir un petit vélo dans la tête.

Je ne parlerai pas ici de la poésie astro-physicienne des trous noirs et des fontaines blanches, ni de la beauté d’une équation mathématique, quand celle-ci, en son résumé d’écriture, génère tant de possibilités magnifiques pour l’avenir des hommes. Et ce pour diverses raisons aussi variées que véritables. Tout d’abord, je ne sais ni lire une équation ni voir avec des jumelles la profondeur éblouissante du ciel et de ses composantes illuminantes. Ensuite parce que mon patron, qui lui me surveille avec ses jumelles et lit dans mes pensées (sauf en dehors des heures de travail) m’inviterait à ne plus écouter France Culture quand je me déplace d’un lieu à un autre, sous prétexte que je course une météorite quand je suis censé trouver des diamants dans les perles de rosée. Bref, je ne parlerai que de la poésie qui colle à la peau de ceux qui la ressentent, c’est-à-dire celle de monsieur Toutlemonde et de madame Vouzémoi.

La poésie est à la fois une passion et un combat. Inutile de la chercher ailleurs qu’en soi, vous la trouveriez chez un autre, plus lyrique et sensuelle que vous ne pensiez la ressentir en vous. C’est une catharsis. Chez les curés une épectase (je dis cela pour vous apprendre des mots nouveaux, avec lesquels on peut faire des rimes). Bien entendu, les lecteurs de ce site manient mieux la langue des chiffres que celle des chats. Donc, je vais parler d’autre chose, ce qui n’est pas coutume, mais pour cela je me dois d’aller m’habiller en coureur cycliste, pour être plus crédible, pour mettre à mon propos un peu plus de muscles, de tripes, de boyaux et de souffle, bref coller à la roue de mon discours tout en évitant de tourner en rond, sauf les jambes (sinon on n’avance pas).

Ainsi, comme tous les ignares, je trouvais plus de poésie, d’élégance et de distinction à la bicyclette comparé au vélo, plus âpre, plus masculin, un brin machiste. Le samedi, quand j’ai deux ronds, je file chez le libraire. C’est un peu comme chez Emmaüs, on trouve tout, sauf que c’est neuf et toujours sous la forme de bouquins. Vous cherchez un oiseau exotique, une encyclopédie sur les poissons rouges, les ïles de Jean Grenier ; vous croisez au détour d’un rayonnage l’Enterrement à Sabres (Bernard Manciet, édition bilingue), le truand don Pablo de Ségovie faisant la vie ((Francisco de Quevedo), des poésies de Jules Supervielle, de Jean Genêt, et des libraires érudits qui sourient mieux que le chat du Cheshire de Lewis Carroll (à ne pas confondre avec scarole, qui est une salade). Et vous tombez sur un petit bouquin, qui manque l’échappée belle (c’est le dernier exemplaire du libraire), je me souviens du Tour de France dans les Pyrénées (*), un ouvrage collectif rassemblant divers témoignages de champions cyclistes locaux et nationaux, de passionnés du vélo dont le souvenir s’efface peu à peu, au rythme des couches de macadam dont on tapisse l’Aubisque et le Tourmalet, l’Aspin, régulièrement.

Alors, me direz-vous, quel rapport avec la poésie ?

Tout d’abord, le lieu, les lieux, la montagne, les cols, les routes qui ne sont que des chemins carrossables. Le temps, magnifique, caniculaire, orageux, diluvien. La distance (Bayonne-Luchon 326 km), le matériel rudimentaire (pas de dérailleur, interdiction de changer de vélo de même marque, nécessité de réparer soi-même son matériel…), pas d’assistance. Les hommes enfin, magnifiques, magnanimes, héroïque (Victor Fontan se bricolant -il avait cassé sa fourche- chez le forgeron du village un vélo avec celui du facteur, qui n’avait rien d’un engin de course, en y recasant ses roues, son guidon et sa selle). La force, la ténacité, le respect total de l’adversaire, et le fair play (que je n’ai revu qu’exceptionnellement dans d’autres sports, de nos jours), la dignité et le courage, tous ces ingrédients qui font que ces hommes créaient une liesse populaire à leur passage (sans parler d’Yvette Horner dans sa deux-chevaux, jouant de l’accordéon) et entraient pour certains dans la légende de la Grande Boucle. C’est en et par cela que la poésie est à la fois une passion et un combat : elle est capable de se répandre par sa volonté propre, d’inonder l’espace qu’elle franchit d’une autre vision des choses, de croire en l’homme qui réalise l’exploit autant qu’en celui qui le regarde. Elle est personne et tout le monde.

Et je rejoins le point de départ : je ne parlerai pas ici de la poésie astro-physicienne des trous noirs et des fontaines blanches, ni de la beauté d’une équation mathématique quand celle-ci, en son résumé d’écriture, génére tant de possibilités magnifiques pour l’avenir des hommes.

Autant Stéphane Hessel s’exclam(ait) « indignez-vous ! », autant faudrait-il dire aussi : « tenez bon le guidon, soyez des hommes, ne lâchez rien de vos convictions ! », et à Sally Mara (de Queneau) : « tiens bon la rampe ! », afin que chacun et chacune y trouve son plaisir, sa force et sa raison de vivre.

10 01 2011

AK

(*) édité par Association Mémoire Collective en Béarn bulletin n°21, avec plein d’anecdotes et d’illustrations d’époque (pour info)

(mon texte a été trouvé par hasard, coincé entre deux magazines, sans doute depuis pas mal d’années !)

(en 2011, je collaborais dans un blog palois assez lu, disparu depuis, en écrivant un texte chaque samedi… )

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