Run run run (et laisse vraiment le vieux monde derrière toi!)

 

 

Il m’a fallu attendre que la nuit tombe, que les ombres

Se mêlent à l’obscurité. Juste une grosse lune ampoulée

Remplissant de sa lumière diaphane une évasion certaine.

Et hop, je franchis la clôture et cours dans le champ

Récemment labouré, fais fuir quelques lapins, siffle

Un renard aux abords d’un poulailler, c’est Pâques, c’est cadeau,

J’atteins rapidement l’orée du bois, le ciel est immense

Je renoue mes lacets, adossé au vieux chêne asphyxié

Par le lierre qui se nourrit de sa faiblesse, serpent végétal,

A deux cents mètres mon logis, immobile dans la nuit,

Agréable cachot qui depuis quelques semaines empêche

Toute sortie. Je suis dehors, ni vu ni connu. La nature sent

L’herbe, la brise de printemps, la terre retournée

Brune en profondeur, claire en surface, prête pour les semis,

Les paysans révisent leurs outils de labours dans les hangars

Personne ne songera que la nuit est remplie d’étincelles

Le bois bruisse sous le vent, des animaux s’appellent

Un cerf fracasse de ses sabots les branches mortes

De son adversaire tombé à terre. Les feuilles poussent

Qui s’exposeront pour l’été, grand spectacle annuel,

Sous le climat surchauffé et le chahut du monde à cran

La Nature ne bronche pas, les animaux peu à peu

Comme des millions d’exclus se réapproprient la ville,

Singes, ours, tigres, baleines de parapluies, souris, cafards

Dans l’ombre ils se déploient et leurs rires enfantent

Des beautés et des joies que l’homme avait perdues

Mais il me faut rentrer, dans cette nuit féodale,

Regagner mon cachot et la misère humaine

Avant l’aube, avant que les gendarmes frappent à ma porte

Me demandent : on a retrouvé du lierre sur les passants

De vos chaussures, montrez-nous votre dérogation de sortie,

Monsieur.

10 04 2020

AK

(les paroles de la chanson du velvet pour les non anglophones comme moi sont ici)

https://www.lacoccinelle.net/270665.html

11 commentaires sur “Run run run (et laisse vraiment le vieux monde derrière toi!)

  1. Enfin nous nous rendons compte de ce que nous avons ravi à la nature en bétonnant, déplantant, grillageant, construisant à outrance, la repoussant chaque fois plus loin jusqu’à ce qu’un jour, furieuse de notre appétence sans limite qui l’étrangle et l’étouffe, elle nous envoie un ultime signe en nous montrant ce qu’est le confinement quand on aspire à la liberté, à l’espace pour vivre selon la nécessité et c’est cette minuscule piqûre de rappel qu’il faudra que les survivants prennent au sérieux, parce que la fois suivante risquera bien de nous ramener au fameux roman de Pierre Boulle…

    Aimé par 2 personnes

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