Jour de vote : on va en voir de toutes les couleurs !

En attendant le verdict des urnes, quelques images pleines de coloris variés, prises au cap d’Ajo, en Cantabrie, il y a une semaine.

Et voilà, la visite est terminée !

Pour aller plus loin au sujet d’Okuda :

À propos de l’artiste : Né en 1980 à Santander (Espagne), Oscar San Miguel, dit Okuda, est un street artist dont l’œuvre est ancrée dans la Pop Culture. Diplômé de la Complutense University de Madrid en 2007, il commence sa pratique dès 17 ans en peignant sur des chemins de fer et des trains abandonnés avant de s’adonner à une pratique d’atelier en 2009. Ainsi, son œuvre s’adapte à différents supports et Okuda utilise autant la photographie que la fresque, en passant par de la sculpture ou de la vidéo. Son univers psychédélique lui vaut d’être repéré par plusieurs grandes marques telles que Roche Bobois ou Playstation. Pourtant, son travail ne se résume pas à un univers haut en couleurs et est souvent teinté d’idées politiques assumées ou de pensées métaphysiques et humanistes. Après avoir peint l’intérieur de l’église Santa Barbara à Llanera en 2015, l’artiste acquiert une reconnaissance à l’international et son travail gagne les rues de nombreux pays, tels que la France, la Chine ou encore le Brésil.

lien : https://www.artransfer.com/catalogue/p/last-supper-okuda-san-miguel

Les mardis de la poésie : Isabelle Callis-Sabot (1958-…)

Été

Un ciel insignifiant, sans forme ni couleur,
S’étale chaudement sur les toits de la ville ;
Je sens se dégager de ses vapeurs fébriles
Un charme artificiel et des rêves trompeurs.

J’étouffe sous le poids des tourments de l’été,
Je m’ennuie au milieu de la foule bruyante,
Je maudis le soleil, la lumière aveuglante,
L’agitation, le monde et les festivités.

Je ne supporte plus ce jour de canicule
Et tandis que s’amorce un banal crépuscule
Mélancoliquement je pense et je revois

Le sentier sinueux qui, à travers les ronces,
S’aventure se perd et doucement s’enfonce
Dans la pénombre humide et fraîche des sous-bois.

Isabelle Callis-Sabot

Poème à mes enfants

Vous avez déserté le jardin de l’enfance,
Votre vie est ailleurs, loin de moi, loin d’ici ;
Pourtant je pense à vous, toujours, en permanence,
Je tremble à chaque instant de crainte ou de souci.

Je vous protège encore et malgré les distances,
Je vous couvre en secret d’attentions, de douceur,
De tendresse et de soin, d’amour et de confiance,
Je prie pour vos succès et pour votre bonheur.

Quelques fois, je l’avoue, mon cœur souffre en silence,
Devant la chambre vide imbue de souvenirs…
Il ne regrette rien… il pleure votre absence
Et l’envie qu’il aurait de vous voir revenir.

Pense à moi

Si ton cœur, débordant de fatigue ou de peine,
Essaye d’oublier la vie qui le déçoit
Et cherche un autre cœur qui l’aide et le comprenne,
Dans le plus grand secret, je t’en prie, pense à moi.

Pense à moi… Car je sais, sans que tu me le dises,
Que tu te sens bien seul lorsque revient le soir
Et que sous des dehors tranquilles tu déguises
Une angoisse un regret, un profond désespoir.

Mais je devine aussi tes célestes attaches :
Garde-les en dépit de l’immense douleur.
Garde le beau jardin, le rêve où tu te caches,
Pour cultiver encore un reste de bonheur.

Isabelle Callis-Sabot

Biographie (extrait) : Isabelle Callis-Sabot est née à Montpellier en 1958. Après des études d’ergothérapie, elle se consacre à l’écriture. D’abord poète, elle commence par publier quelques recueils, avant de se tourner vers le roman. Le Bugey, où elle est venue s’installer, devient la source de son inspiration, par la richesse de son histoire et la beauté de ses paysages. Son premier ouvrage « Le Miracle de Mazières » témoigne de son attachement à cette région. Il remporte le prix d’Ambronay en 2000. Suivront ensuite d’autres romans historiques célébrant diverses périodes et différents lieux de l’Ain. (article et bibliographie à lire sur le site d’où sont extraits les poèmes : https://www.poetica.fr/ )

Supermarché

Parmi les gondoles qui meublent les allées du supermarché, j’ai trouvé un rayon qui était censé vendre du soleil, un rayon de soleils pour s’en mettre plein les mirettes tout en vidant ses poches. L’horizon de la fin de mois me sembla alors lointain tant ce kaléidoscope reflétait de mirages accessibles en tendant simplement la main. Comment résister à cette envie d’en finir en mourant sous les tropiques, allongé sur un transat à l’ombre des palmiers, accessoirement une piscine sur le bord de l’océan (lequel n’étant pas mentionné sur le prospectus), des serveuses girondes (Atlantiques?) servant avec un grand sourire relooké les cocktails les plus ravageurs, trémoussant leurs fesses et leur poitrine (au moins du 95B, hélas en rupture de stock), sans évoquer les diverses crèmes solaires et celles, glacées, qu’un aimable revendeur vous propose, avec chapeau de paille et kleenex© en option, des tongs pour les enfants (que vous avez fui) ou pour vous, la Chine soutient vos panaris.

Une seconde (d’égarement sans doute), j’ai eu une pensée émue pour le vieux Georges (Brassens), qui voulait être enterré sur une plage donnant sur la Méditerranée, à l’ombre d’un pin parasol, et se retrouve avec vue sur l’étang de Thau. Heureusement, quelques copains dorment aussi dans cet endroit paisible, surtout la nuit quand la circulation urbaine est moins sanguine.

En bout de rayon, un de ceux qui s’éteignent à la campagne à 20 heures, des catalogues proposaient des croisières et des voyages organisés « verts », bons pour la santé et la préservation de la nature, humaine et végétale. Soleil vert , Soleil au vert, Soleil aux vers, toute une gamme de produits alléchants pour un tamanoir, un hérisson ou un adepte de nouvelle cuisine moléculaire, végane, ou gorgée d’insectes riches en protéine (il y avait des recettes de lombrics (élevés en France) et de sauterelles (élevées en Afrique), de pissenlits biodégradables et de champignons sans déchets radioactifs (la date de péremption était en cours d’évaluation : ABCDE). J’ai pris deux boîtes de Corned Beef garanties sans cornes de buffalo ni de plumes amérindiennes, pour le voyage.

Ayant fait mes emplettes (un Caddie© plein), l’ultime frontière était la caisse, son long tapis où votre vie se dévoile quand vous y étalez vos courses. La caissière, une des seules personnes à qui dire bonjour dans ce genre d’endroit, me regarda. Il faut dire que la bougresse avait un œil perçant (les vols étant fréquents, elle auscultait le contenu des sacs, des jupons et des culottes des clients, pour une prime annuelle aussi ridicule que les déboires dans cette profession ne sont pas assimilables aux pourboires dans d’autres, toutes aussi mal payées. Ses doigts scannaient à la vitesse grand V, dommage que je ne sois pas un patient impatient dans un centre hospitalier Uberisé © ?

Juliette (son nom était brodé sur son habit, en tant que responsable de caisse 3 labellisée par la direction, avec cinq ans d’ancienneté, (ensuite on verrait). Elle posa sur moi un regard attendri, mais empreint d’un doute existentiel : « Vous n’avez pris que des rêves dans votre chariot et aucune nourriture terrestre, monsieur. Est-ce bien raisonnable, à votre âge? »

Je ne sus que répondre. La caissière venait en parfait contrepoint sur mes achats de rêves, mes intentions intimes d’en finir avec la réalité qui pesait sur ma désespérance de navigateur dans les allées d’un supermarché dans lequel l’inaccessible était à portée de main, une pensée pythagoricienne où l’abscisse au carré rejoindrait la somme aussi carrée des deux côtés adjacents dans la même situation, où Thalès rendrait deux grandes surfaces différentes en tailles égales en plaçant une adroite ligne, ou l’énergie ne serait plus cette masse de consommateurs pressés d’en finir avec la célérité des achats fortuits, comme le sont les illusions riches en promesses et dénuées de nécessité.

J’aurais pu lui dire : »occupez-vous de vos affaires, j’ai une carte bleue. Et puis, arrêtez de vous peindre les ongles, ça attire les vieux de mon âge. » Mais en lançant un rapide coup d’œil sur mes achats, curieusement les soleils se sont éteints. Seuls les yeux de la caissière brillaient. Nous aurions pu naviguer ensemble sous les tropiques, discuter en buvant des cocktails, en contemplant les vagues de l’océan (lequel?), en fermant simplement les yeux plutôt que dans ces lieux où mieux vaut ne pas les ouvrir sur les tuyauteries, les faux plafonds et les horaires sans saison des mains qui prennent, scannent, des ouvrières qui disent bonjour et au revoir (parfois bonne journée). Sans parler des autres employés (une autre histoire).

Il faut toujours, pour récompenser les lecteurs, que l’histoire se termine bien. Sauf que Juliette s’appelait Éliane, et qu’elle tapinait la nuit vers la gare saint Lazare (rue de Budapest je crois). Ce fut la dernière fois que je l’ai rencontrée. La nuit éteint tous les soleils, seuls les faux diamants et les réverbères demeurent, dans d’autres supermarchés, ouverts toute la nuit.

28 05 2024

AK

Les mardis de la poésie : Rémy Belleau (1528-1577)

Je me suis affranchi de prison

Or je me suis affranchi de prison,
Où me tenait cruellement en ferre
L’enfant Amour, je vais libre sur terre
Sauvé des flots, et repris ma raison :

J’ai de mes yeux étranglé le poison
Glissant au cœur qui le tue et l’enferre,
J’ai trouvé paix, et repoussé la guerre,
Et sous la cendre étouffé le tison :

Reste une humeur bouillante dans mes veines,
Qui fait renaître en moi nouvelles peines,
Opiniâtre, et reverdir mes maux,

Ainsi qu’on voit une souche ébranchée
À fleur de terre, et déjà presque séchée
Armer ses flancs de rejetons nouveaux.

Rémy Belleau.

Les beautés que j’adore

Cent fois le jour je rebaise la main,
Folâtrement qui dedans l’eau glissante
Toucha de près ta cuisse blanchissante,
Ton pied mignard, ta grève et ton beau sein.

Cent et cent fois je prie Dieu, mais en vain,
Et les saints feux de la nuit brunissante,
Me faire voir ta tresse blondissante,
Tes yeux, ta bouche, et ton visage plein.

Si j’ai cette heure de les revoir encore
Je chanterais les beautés que j’adore,
Et les honneurs d’un si brave sujet :

Mais les voyant ma vue est éblouie,
Je perds le sens, la raison et l’ouïe
Par les rayons d’un si gentil objet.

Si tu veux que je meure

Si tu veux que je meure entre tes bras, m’amie,
Trousse l’escarlatin () de ton beau pelisson ()
Puis me baise et me presse, et nous entrelaçons
Comme, autour des ormeaux, le lierre se plie.

Dégrafe ce colet, m’amour, que je manie
De ton sein blanchissant le petit mont besson :
Puis me baise et me presse, et me tiens de façon
Que le plaisir commun nous enivre, ma vie.

L’un va cherchant la mort aux flancs d’une muraille
En escarmouche, en garde, en assaut, en bataille
Pour acheter un nom qu’on surnomme l’honneur.

Mais moi, je veux mourir sur tes lèvres, maîtresse,
C’est ma gloire, mon heure, mon trésor, ma richesse,
Car j’ai logé ma vie en ta bouche, mon cœur.


A une mendiante rousse · La Tordue · Eric Philippon · Pierre Payan · Benoit Morel · Charles Baudelaire

…(sonnet de maître Belleau)

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9my_Belleau

Ne trébuchez pas sur les panneaux !

Les élections européennes auront lieu le 9 juin. 38 listes sont inscrites pour ce meeting populaire : une seule course au programme mais un nombre de challengers qui veulent sinon gagner, du moins s’installer (pour les jockeys dits « tête de liste ») dans les hémicycles strasbourgeois et bruxellois pour purger leur fatigue, la campagne électorale étant un champ de courses qui, pourquoi pas, peut mener plus tard au pouvoir d’une Nation, ou d’une politique territoriale à rebrousse-poil.

On ignore pour l’instant la manière dont seront livrées les actes de candidatures, leurs professions de foi, le nom des adhérents participants de chaque liste à une population qui, depuis longtemps, ne la considèrent pas comme essentielle quant à leur vécu quotidien et s’abstiennent majoritairement d’aller voter. Certes, ils on tort. Mais 38 listes, c’est quasiment un loto dont on connaît déjà le résultat (mais pas les conséquences). Sauf peut-être : un regain d’enthousiasme pour les recycleurs de papier et les imprimeurs, les colleurs d’enveloppes étant exclus, comme le sont devenus les timbres postaux désormais auto-collants, au grand damn des philatélistes).

Revenons à l’équitation : il faut que la liste engagée dans ce concours passe la barre des 5% pour avoir au moins un siège, plus confortable qu’une selle, voire d’un strapontin dans ces grands théâtres. Ainsi les mairies des communes doivent poser des panneaux afin d’enregistrer les candidatures et les portraits des leaders. Dans les communes moyennes, l’affichage est scindé en deux parties, les uns contre les autres, on est bien comme dirait Michel Berger ( in Starmania).

Dans un monde en capilotade où chacun ne songe qu’à ses propres intérêts, où l’humanisme régresse de jour en jour et où la violence s’étale sur tous les continents, par la dictature et la misère des peuples, 38 candidats se donnent pour projet de… Comme des enfants qui n’ont pas connu la guerre : c’est pitoyable. L’Union ne fait plus la force, c’est la désunion qui fait la défonce : chacun pour soi, quitte à vivre la dictature pour tous (sauf si j’ai un poste bien chou, à Bruxelles, avec ma copine, assistante parlementaire non accréditée).

Sérieusement, 38 candidatures ne feront qu’imploser, en France, l’idée même d’une Europe qui devrait tout au contraire, s’unir, et vite !

AK

26 05 2024

Des bosses dans la caboche (rediff)

La nuit je m’endormais le crâne plein de bosses ; c’étaient ces putains de rêves qui n’arrivaient pas à sortir de ma cervelle ébouillantée par tant de mirages quotidiens. Seuls par ma bouche les mots que je n’avais pas prononcés en journée s’évacuaient par ce canal. Autant dire que je puais de la gueule et que toutes les femmes me tournaient le dos. Il faut dire qu’à l’époque j’ignorais tout des femmes ce qui, par la suite, me devînt profitable. Il est pour le moins difficile d’admettre, pour un homme, qu’un corps féminin se transformât en réalité palpable, sensuelle et sans économie d’énergie tant l’électricité que deux corps de chair et d’os génèrent à leur contact. Mais le chapiteau du crâne, boursouflé bosselé et en constante mobilité imaginaire me refusait à tout plaisir charnel.

C’est à peu près à cette époque, nous étions au début de l’hiver, et, si mon souvenir tient encore la route, un jour de semaine. Le facteur a sonné alors que je faisais l’amour avec Liza, vers onze heures du matin. Liza était une de mes bosses favorites, mais elle se présentait rarement, sauf quand le froid givrait les vitres de la cahute. Par ailleurs, Nestor, mon chien, ne sortit pas ses crocs, et les trois chats qui ronflaient dans le séjour ne mouftèrent pas plus qu’un ronronnement satisfait. Le postier, bien emmitouflé, me présenta un colis, mou comme une huître sortie de sa coquille. Je signai n’importe quoi sur sa tablette et récupérai le paquet.

Je pris une paire de ciseaux pour découper l’emballage et défis quelques strates de plastique avec bulles, que je m’amusai à faire exploser par pression devant les chats endormis. Nestor boulotta les bulles en jappant. Je vérifiais le contenu, l’auscultant sous ses multiples faces : c’était bien ce que j’avais commandé, livré dans les temps modernes par des moyens qui me passaient par-dessus ce qu’avait connu ma jeunesse, entre la Religion et l’Antéchrist. Ou assimilé. Je m’étais déjà rêvé crucifié mais la réalité m’avait sauvé, en laissant un clou implanté dans une galerie marchande, me laissant un accès positif : mettre une de mes mains au porte-monnaie.

L’objet, au sortir de son emballage, me sembla avoir un mouvement de recul. Comme si à ma vue il refusait son rôle. Du coup, je le pris dans mes mains et l’embrassais. Il reprit confiance. Je venais de croquer une gousse d’aïl, pour évacuer ma cervelle bouillonnante de ses bosselures érotico-sensorielles qui provoquaient des courants électriques contraires aux centrales marées-motrices rances. L’aïl pue du bec mais quand les oiseaux, les merles en mai, chantent, bon, ok, arrêt de la digression. L’objet se présentait sous la forme d’une mangeoire pour chats obèses, esthétiquement parfaite dans son ovalité. Ce qui avait attiré mon attention est qu’elle était connectée, comme je le suis à l’ordinateur, quand je ferais mieux de ratisser les feuilles mortes du jardin.

Un homme au crâne bosselé par ses fantasmes doit-il ratisser un jardin dans lequel toutes les feuilles qu’il avait écrites avant qu’elles ne tombent ne meurent. Non. Les feuilles, même mortes, continuent d’écrire la Nature et les Hommes. Répandues, mélangées, sous la pluie la neige le pissat des minous, des merles, des nourritures terrestres, des fainéants et des saisons qui passent derrière les vitres de la cahute, de la résidence, du castel, flocons d’hiver et gels mortels, maladies des buis des conifères des cons qui ne veulent rien y faire, eh bien , je l’affirme, cet objet magique peut réduire tous vos problèmes à néant. Ce n’est pas facile d’assumer une telle responsabilité, surtout face à dix mille lecteurs attentifs. Y a-t’il une porte de sortie du côté des toilettes ? Non. Mais tu peux pisser en regardant la baie de Lerwick, dit un écossais en exil aux Shetland.

L’objet prit la parole : «  maintenant, tu la fermes je suis le jouet que tu as commandé. Pause. Maintenant, c’est moi qui commande. Pause. Je vais guérir les bosses des rêves qui ne sortent pas de ta cervelle et te rendent moche auprès des vraies filles. Grâce à moi tu vas pouvoir les conquérir, enfin, celles que tu désires, y compris Liza, une frangine à moi . Pause. Devant un tel discours je ne pouvais reculer : le jouet était plus subtil que mon désir, il savait que Liza était un terme générique quant à mon désir de trouver une femme avec qui partager ma vie, l’objet savait quel genre de femme correspondrait à mon attente mais il était maître du jeu, lui, le jouet que la Poste m’avait livré en toute innocence. Et c’était moi, qui à présent devais subir les fantasmes de l’objet.

Il existe parfois dans les contes de fée des histoires qui finissent bien. Ce fut le cas : cette nuit-là, je m’endormis le crâne lisse, aucune boursouflure, aucun cheveu qui n’ait quitté mon crâne. Je dormais comme un enfant. Tous ces putains de rêves étaient sortis de mon ciboulot. Oh non, n’allez pas croire que j’étais mort, tranquillement allongé dans une nuit d’hiver, dans ma cahute, non : j’étais vivant. Seul ce diable d’objet m’avait ôté la mémoire. Comme les rides écrivent la vie comme un décor du vécu et le temps inscrit ses morts et leur oubli sur les monuments, statues, guerres et vécus perdus.

AK Pô

17 12 2017

Ptcq

Les mardis de la Poésie : Rodney Saint Éloi (1963-…)

Toujours un visage de femmes soldera mes dettes. (Édouard J. Maunick)

Grand-mère Tida

Grand-mère Tida avait une tombe

Grand-mère Tida avait une maison

elle préférait la tombe à la maison

elle nourrissait la tombe de fleurs-soleils

elle s’arrangeait pour que la maison marche vers la tombe

la tombe était alors un jardin de lumières

Grand-mère Tida avait un cercueil

Grand-mère Tida avait un lit

elle préférait le cercueil au lit

elle parfumait tous les soirs le cercueil d’encens

elle s’arrangeait pour que le lit soit au-dessous du cercueil

le cercueil pouvait alors parler aux étoiles

Grand-mère Tida avait une robe blanche

Grand-mère Tida aimait sa robe blanche

c’était une robe de noces à volants

Grand-mère Tida ne l’avait jamais portée cette robe

Grand-mère Tida attendait seule la mort

elle chantait en lorgnant des yeux sa robe :

quand la paix règnera au ciel

nous y serons.

https://lesvoixdelapoesie.ca/

 

Elle a une main dans la main du désir

Nous ramons en haute mer

Les eaux suffoquées cassées

Masses pendues aux os tendres

Où je meurs au dialogue des corps

Le voyage est infini sur les routes de lumière

Le vin des amants est un baiser mortel

Au chant de la bien-aimée

Un soupir rend l’éternité

Mêlant l’anatomie des sens

Notre histoire refuse la chronique des héros

Le sexe humide du poème

Nourrit l’espérance du monde

Nous arriverons ensemble

Nous cheminerons ensemble

Nous partirons ensemble

Au contrepoint de la terre

Ce qui n’est à personne est à moi

J’embrasse le crépuscule d’eau

Je suis debout au flanc des nuages

Je respire l’air frais du soir

Tant qu’il y aura une étoile

Je brillerai avec ma chanson

Et je chanterai à voix de tête

Rodney Saint-Éloi (né en 1963) est un poète, écrivain, essayiste et éditeur né en Haïti. Il a étudié la littérature francophone à l’Université Laval. Son mémoire Émergence de la poétique créole en Haïti porte sur l’histoire de la langue créole. Il a fondé en Haïti la maison d’édition Mémoire, le magazine Cultura et la revue d’art et de littérature Boutures. Rodney Saint-Éloi est l’auteur d’une dizaine de livres de poésie et a traduit une dizaine d’ouvrages du français au créole. Il dirige plusieurs anthologies et, en 2003, fonde à Montréal les éditions Mémoire d’encrier, devenues la référence pour une littérature de la diversité. Il découvre des écrivains de différentes origines (amérindienne, québécoise, haïtienne, sénégalaise, antillaise, etc.) dans une démarche « d’altérités porteuses d’avenirs et de solidarités ».

(photos prises à Bourisp -saint Lary Soulan) festival grands reporters 2022 ?

L’anniversaire d’Alfred (un lundi de Pentecôte)

« Mon fils, dit Joseph, tu seras peut-être un jour ingénieur, mais sache que jamais tu ne seras un génie. J’en suis désolé pour toi, Alfred, mais c’est ainsi. »

Cette phrase qu’Alfred aurait pu prendre comme un trait d’ironie de la part de son père, ouvrier boucher à La Courneuve, fut mal prise par le préadolescent qu’il était : il fêtait ce jour-là son treizième anniversaire et sa mère, Marinette, se trouvait alors dans la cuisine quand elle fut prononcée. C’était donc une sentence édictée sans témoin dans le salon par le père alors que le repas s’achevait dans la salle à manger, où l’on servait le café et les liqueurs aux rares amis de la famille. Ceux-ci étaient joyeux et bavards, racontant à voix haute les anecdotes les plus douteuses, telle celle de la grand-mère de Marinette, qu’on avait surnommée à l’époque « Pisse-Vinaigre », car elle avait une forte tendance à boire durant la guerre de 39 45, sans doute pour palier la mort de son mari, décédé dans les tranchées. Cette pauvre femme s’était contrainte à n’uriner qu’une fois par semaine disait-on, et son pissat avait l’aspect et le goût du vinaigre. Comme nous étions alors en plein conflit la nourriture manquait cruellement (racontait l’oncle Jean-Jules) et que nous n’avions que des pissenlits et des topinambours à manger, pour les pissenlits d’autres les avaient déjà croqués par la racine (ah ah ah riaient les convives) il fut nécessaire de récupérer le vinaigre émis par la grand-mère, que l’on versa dans des fioles soigneusement étiquetées et revendues au marché noir, qui servirent, avec des graines de moutarde d’Alsace et l’huile de coude des bouchers de La Courneuve mais pas qu’eux, à confectionner des vinaigrettes servies aux occupants nazis dans les beaux restaurants parisiens qu’ils avaient investi.

La voix forte de l’oncle Jean-Jules était parvenue aux oreilles d’Alfred, alors que son père allumait un cigare dans l’alcôve des étagères de la pseudo-bibliothèque où trônaient une centaine d’ouvrages, dont soixante à usage professionnel, tels que « suivez le bœuf dans le sens de la découpe », ou « l’œil de bœuf vous observe » (une erreur d’achat ou une blague d’architecte mal interprétée par Joseph), d’autres encore tels que « le bœuf sur le toit » ou « comment faire un bœuf avec un jazzman », collection bilingue). Ceci ne traitant qu’une partie des livres exposés (les caprins, les ovins etc seraient trop longs à citer).

Marinette appela son mari et son fils à revenir à la salle à manger car elle servait le pousse-café et les mignardises ainsi que le gâteau d’anniversaire d’Alfred, avec ses treize bougies de couleurs différentes ; certes, c’était un en même temps et Marinette en avait conscience. Son fils serait un génie, donc il fallait presser le temps et ne pas le passer en anecdotes idiotes, surtout avec ces péquenots qui ne disaient que du mal de sa famille d’avant mariage. Elle voyait un grand avenir s’ouvrir pour ce gamin qu’elle avait mis au monde dès qu’elle aurait fermé la porte aux invités. D’ailleurs, Rebecca, l’épouse de Jean-Jules, ronflotait sur son siège depuis le début de l’anecdote narrée par son mari, car c’était pour elle la centième fois qu’il la racontait, ce qui provoque la même chose chez tout individu qui cherche le sommeil en comptant les moutons.

Bien qu’il s’ennuyât de pied ferme, Alfred se sentait dans un bon jour. L’anecdote sur la grand-mère lui ouvrait un genre de génie, de génie littéraire (il fallait bien commencer quelque part). Ses résultats scolaires n’étaient pas très brillants et décrocher la médaille Fields lui était d’ores et déjà hors de portée. Devenir ingénieur agronome dans un désert médical ou dans le sud de la France ravagé par la sécheresse ou encore plancton dans un palace cannois (ou ailleurs) pour analyser l’évolution des limousines dans le concept des taxis volants sans chauffeurs, non, tout cela n’avait pas de sens pour lui, et son père avait tort, il venait de s’en persuader en soufflant les bougies de son gâteau d’anniversaire.

Newton avait découvert la gravité en siestant sous un pommier, Steve Jobs avait crée la marque Apple, Eve l’avait croquée, la sorcière du conte l’avait proposée à Blanche Neige, et Maurice Chevalier en avait fait un succès, les exemples étaient nombreux, mais dans quel créneau pourrait bien se placer Alfred, telle était la question qu’il se posait, à treize ans. On veut bien croire en quelque chose, mais en quoi ? Se demandait-il. Un peu perdu dans ses idées, il décida d’aller marcher après que Marinette ait fermé la porte des invités. Il déambula ainsi dans les rues de La Courneuve, croisant des copains de collège qui lui dirent « salut ! », des inconnus qu’à son tour il salua, surtout les vieux et les vieilles qui sentaient le mauvais vin et la vinaigrette d’antan, il s’écarta d’un défilé de fascistes qui paradaient rue Jeanne d’Arc et ne devaient pas connaître la petite histoire de France (à la télévision), puis il s’arrêta net quand il vit la fille du proviseur de son collège sortir d’un magasin de fruits et légumes bios ou pas, croquant sans attendre une pomme légèrement talée. Elle traversa la rue, accompagnée de son père que tout le collège craignait du fait de son autorité. En croisant Alfred, elle se contenta d’un « bonjour, Alfred ».

La magie d’un instant peut révolutionner un avenir d’adolescent.

À 25 ans, Alfred trouva sa destinée : il créa le parfum « Bonjour  d’Alfred», avec deux collaborateurs issus de l’école du Parfum de Grasse (près de Monaco).

Note : la pomme ne fut pas agrégée au parfum, et celui-ci n’existe que par la senteur littéraire qui jamais ne sera géniale de la part de l’auteur de cette histoire. (rires des convives)

20 05 2024

AK

Un samedi derrière le prochain (rediff)

Raymonde, je suis à la bourre. Aide-moi. Tu sais, j’écris de petits articles sur un site citoyen, qui paraissent le samedi, comme ça les ménagères peuvent aller faire leurs courses avec leur jules sans se faire de tracas. Le samedi, pas de nouvelles sur la marche du monde intercommunal, les racontars des politiques, les magouilles des marchands d’illusion, non, ma grande, le samedi c’est tout pour nous, les petites gens. Le reste, on s’en fout. Paul est passé ce matin nous apporter des carottes du jardin ouvrier , faudra penser à en donner à la mère Juju, avec des poireaux, des navets et des pommes de terre, elle se fera la soupe pour la semaine. Les petits d’Agnès sont malades, faudra voir dimanche si elle a besoin qu’on les garde la semaine prochaine. Elle vient de décrocher un boulot, c’est pas le moment de lâcher, pour elle. Tu te souviens, petite, elle était tout le temps malade, elle aussi. C’est ça les pauvres, fragiles l’hiver et vaillants dès que le soleil les réchauffe. Et les femmes seules, ce n’est pas les hommes qui les réchauffent, pas vrai Raymonde petit cœur, sauf ceux qui vont au charbon, mais maintenant, avec la pollution, moins ça gaze et plus ça fonce dans le mur. Mince, je ne sais plus où j’ai mis la liste des commissions. Pourquoi tu ris, joli cœur ? Je te parle des commissions pour manger, pas de celles destinées à nourrir les gros lards, tiens, on pourrait créer un système de transports tout à fait adapté aux besoins des gens, un mode de démasquage des ordures a-ménagères simple et efficace, fabriquer des bouteilles en plastique composées d’un seul type de plastique dans une usine de la ZI à l’abandon, faire une rocade à sens unique, t’arrives de L. tu fais le tour de la ville et sors à B. pour aller dans la zone commerciale de C., tu voyages, tu circules, tu vois du pays, tu peux doubler partout. A chaque rond-point, on crée des aires de repos avec restaurants rapidos pour les djeuns stressautants, des cheminements piétons sur tapis roulants qui vont vers la ville avec des bus des vélos des triporteurs des ânes et des carrioles. On réhabilite les logements occupés par les bourgeois pour qu’ils s’y claquemurent et on part en vacances dans les espaces verts de la ville du printemps à l’automne, on taille les roseraies du parc public, on garde les moutons, les vaches à la fac, et on promène les vieux et les gamins dans des brouettes le long des allées Catherine de Bourbon, où des jardins ouvriers se sont développés d’eux-mêmes, on sème dans la coulée verte et on s’aime partout où ça sent bon le plaisir de vivre. On peut en faire nous-mêmes, des commissions, pour élaborer de tels projets. Mais c’est samedi, ma Raymonde adorée, on va aller s’acheter du tout fait tout frais chez les paysans à grosses pognes, faut pas se biler. Les giratoires, on les prend jamais, on marche à pied en regardant les vélos filer, les chiens renifler. Tiens, le petit Joël en a eu un en cadeau, à Noël. Si tu voyais sa tête, au mioche ! il le trimballe partout, de Verdun au Hameau, et vas-y que je galope ici, là, partout ! il finira chauffeur de taxi, ce petit ! C’est l’heure. Le soleil commence à rentrer par la fenêtre, il va faire bon. Vérifie que le cabas n’est pas troué, un agent du fisc pourrait récupérer nos coquillettes. Toutouzouzou, arrête de mordre ta laisse, on y va, on y va… Tiens, au retour, on passera voir Carlito, il aura peut-être un bon tuyau pour réparer la chaudière, non ?…
-par AK Pô
14 01 10

(photo ci-dessous : festival grands reporters Bourisp 2023)