J’ai un éléphant dans la cervelle
Bronzé comme une gonzesse
Qu’on invite au Fouquet’s
Un tsunami dans la braguette
Mais pourquoi je cours ?
Pourquoi j’ai gagné ce concours ?
Mamie Papi et les belles sœurs
Pour une fois la dinde
Remplaçait les crêpes au beurre
L’arrière tante galetait le plafond
Avec de l’huile pas de plâtras
Mais pourquoi je cours ?
Je dois avoir ma Némésis au train
Ou bien un film des frères Lumière
Un tsunami dans la banquette
Zizou est là qui desserre les verrous
La cambriole ensuite c’est de l’amateurisme
Mais pourquoi je cours ?
Pourquoi ai-je gagné ce concours ?
La Terre se replie sur la croûte du pain
L’homme est un hôte désormais assassin
Un être joyeux que rien ne concerne
Poudre chinoise sur l’explosion du Nihil
Mais pourquoi je cours ?
Pourquoi suis-je encore le premier ?
Parce que vous ne vous êtes pas retourné .
AK
01 01 2005
Je ne sais pas qui au final tirera la queue du chat. Le chat n’en saura rien, il dort sur mes genoux. Tant que ma peu est chaude, tiède, ensuite, coincé dans le deux pièces, une ou deux semaines passeront. Sa faim alors entamera ma chair. Je sais qu’il m’aimait bien de mon vivant, alors, que pourrais-je lui reprocher si j’étais encore vivant, plutôt qu’étendu là , baignant dans le sang sec qu’une semaine entière tache sur le canapé ? Pourtant, je n ‘ai pas l’impression d’être mort depuis que le miroir ne pose plus le reflet de mon visage sur ma gueule à face de lune. J’ai vieilli, c’est tout. Tous mes amis ont marchandé le temps qu’il leur restait à vivre et certains s’en sont sortis, mais à quel prix ?
J’ai laissé la fenêtre entrouverte. Elle donne sur les toits. Avant, j’y piégeais mon nez pour regarder la ville. J’aimais compter les grues. Celles qui érigent de nouvelles murailles. J’aimais aussi regarder les moineaux friquets picorant les miettes que je balançais dans la gouttière, mais que souvent le chat chassait. Voir la vie devant mes yeux sans tirer la queue du chat, c’était vivre tranquillement sans se préoccuper du reste. Le monde était loin de ces plaies ouvertes de notre quotidien , ici. Pourtant, ce n’est pas mon chat qui aujourd’hui griffe la porte de mon logis. Ce sont les éclats d’obus qui s’impriment dans ma mémoire.
Ce matin j’ai vu un chat traverser la rue
Une voiture l’a évité, d’extrême justesse.
Ce matin j’ai surpris un lièvre surgi
De son terrier ; un chasseur l’a manqué.
Ce matin j’ai vu des mères et des enfants
Qui fuyaient. La guerre les a tous écrasés.
Ce matin j’ai eu du mal à me regarder
J’avais perdu l’image de qui j’étais, avant
Étais-je un chat, un lièvre ou un humain ?
Ce matin j’ai compris une chose : naître rien
C’est assouvir son besoin d’exister en n’étant rien
Ce matin je suis parti caresser la mer
En regardant jouer le chat et le lièvre
Ce matin sur la plage il y avait des filets
Rouges, comme les répandent les assassins
Le matin, quand les chats et les lièvres crèvent
Entre mes bras nus qui n’ont su que se taire .
22 02 2022
AK


Partons au Pakistan :
« Pakistan : le renvoi forcé des réfugiés afghans
Les autorités pakistanaises ont lancé une vaste opération de refoulement des Afghans en situation irrégulière le 1er novembre dernier, date butoir donnée à la plus grande communauté immigrée au Pakistan, pour qu’elle quitte le pays de son plein gré. Plus de deux millions d’Afghans vivraient sans papier au « Pays des Purs ». Au moins 600.000 d’entre eux ont quitté l’Afghanistan après la prise de pouvoir des Talibans en août 2021 mais plus de 345.000 sont entrés dans leur pays ou ont été expulsés depuis le début du mois de novembre. Depuis plus de 40 ans, le Pakistan accueille ses voisins au gré des conflits et des périodes d’instabilité qui ont secoué l’Afghanistan. Aujourd’hui, dans un contexte de tensions avec le gouvernement taliban, le Pakistan a initié l’expulsion massive des réfugiés afghans. Les rafles commencent avant le lever du soleil et se poursuivent jusque tard dans la nuit Certains deponent des violences et des vols, perpétrés par des policiers sans scrupule qui profitent de la vulnérabilité des réfugiés sans papiers. Jusqu’à présent, les demandes successives de l’ONU de suspendre les renvois forcés de ressortissants afghans sont restées lettre morte. »
minute 36 du reportage : https://www.arte.tv/fr/videos/030273-939-A/arte-reportage/

Les uns ont les mitraillettes, les autres les tronçonneuses, (et nous les tondeuses à gazon) :
L’Argentine a embrassé l’extrême droite sans nuance. Après sa retentissante victoire dimanche à la présidentielle (56,5 % des voix), Javier Milei 53 ans, sera le prochain président de l’Argentine le 10 décembre prochain, date de la passation de pouvoir.
Dans un contexte de crise économique et d’inflation galopante (143 % en un an), il a réussi à capter la colère populaire grâce à un discours dégagiste, contre la « caste politique parasite ». Après l’annonce de sa victoire, il a promis de refaire de l’Argentine « une puissance mondiale ». Un thème de « grandeur retrouvée » qui n’est pas sans rappeler Donald Trump ou le Brésilien Jair Bolsonaro auxquels Javier Milei est souvent comparé.
Deux millions de votes d’écart sur 27 millions de votants, c’est une défaite historique pour le péronisme mouvement de centre gauche fondé au milieu des années 1940 autour de la figure de Juan Perón qui a dominé la vie politique argentine depuis 80 ans.
Son candidat, Sergio Massa, bien que faisant partie de l’aile libérale, n’a pas réussi l’exploit d’apparaître en présidentiable crédible et de faire oublier aux électeurs qu’il a été le ministre de l’Économie du pays ces 16 derniers mois.
Javier Milei se décrit comme « anarcho-capitaliste » et se revendique du courant de pensée de l’école autrichienne d’économie. Autrement dit, laisser le marché s’autoréguler et surtout ne pas intervenir. Son plus grand ennemi ? L’État qu’il s’est engagé à « détruire ». Le « traitement de choc » promis pour équilibrer les comptes vise à réduire à la « tronçonneuse » les dépenses publiques de 15 %. Afin de parvenir à la discipline budgétaire requise par le FMI, auquel le pays s’éreinte à rembourser un prêt de 44 milliards de dollars octroyé en 2018, Javier Milei devrait privatiser à tour de bras. Il prône aussi la fin des subventions chroniques (transports, énergie), une libéralisation des prix et la suppression des taxes à l’export. Mais sa mesure la plus emblématique reste la dollarisation de l’économie. Il compte supprimer le peso argentin et le remplacer par la monnaie américaine pour « assécher » l’inflation.
Opposé à l’IVG, il a aussi réussi à séduire l’électorat catholique en promettant un référendum sur la question de l’avortement, autorisé en Argentine depuis seulement 2020. Il est également favorable à la légalisation des drogues, au port d’armes et à la vente libre d’organes.
À côté (au Brésil) : https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/10/la-vague-evangelique-deferle-sur-le-bresil_6204968_3210.html

L’auto s’est arrêtée dans la rue, au pied de la maison. C’était une Frégate. Je ne me souviens plus de la marque, mais c’était ce modèle que ma tante Adèle m’avait apportée une semaine auparavant, après mon opération de l’appendicite. Un homme en est sorti, il semblait grand. Je l’ai observé par la fenêtre ; la buée de ce plein hiver masquait un peu la scène mais je n’osais pas essuyer le carreau. Beaucoup de voleurs d’enfants passaient dans la rue, disait ma mère, et c’était un peu vrai. L’homme fit quelques pas dans le jardin verglacé et disparut de ma vision. La chambre ne comportait qu’une fenêtre, donnant vers l’Est. Quelques minutes, le bruit léger d’une discussion dans le vestibule ; puis des pas se firent entendre dans l’escalier. Des pas plus lourds et déterminés que ceux de la tante Adèle ou de l’infirmière affectée à mes soins quotidiens. Je gagnai mon lit à la hâte, me recouvris de couvertures et fis semblant de dormir. L’homme entre bailla la porte, mais me croyant endormi, fit demi-tour. J’ouvris furtivement les yeux et vis qu’il n’était pas venu seul .
Il tenait dans sa main une peluche, dont je ne conserve qu’un vague souvenir d’enfance. Sans doute un petit mouton, tout doux et frisotté, qu’il avait trouvé dans un souk d’Algérie en cette période d’Aïd avant d’embarquer en permission pour Marseille. Cette année-là l’hiver avait été aussi rigoureux que celui de 1954. La neige tombait drue et épaisse, tapissant les rues. Crise d’appendicite. Écarts de l’ambulance sur le verglas. Trop gosse pour me rappeler tout cela. Juste la couture en boyau de vache qui orne encore mon aine soixante ans plus tard ; soixante ans, c’est pas assez pour faire de son corps un musée, les peines de cœur n’y sont pas encore inscrites à la visite, mais cela viendra, avec le temps. La plaie suppurait et la couture nécessitait des soins quotidiens. L’homme attendit que l’infirmière redescendit au rez de chaussée. Alors il monta les marches quatre à quatre, sûr de me trouver éveillé, ouvrit largement la porte et tout en me tendant la peluche déclara d’une voix autoritaire : « dis bonjour à papa qui revient d’Afrique ».
Un être qui sortait de mon néant enfantin revenait donc d’Afrique. Qu’était l’Afrique ? Un mouton en peluche, une Frégate de marque Dinky toy, une lanière de bœuf pour recoudre une peau de gosse, et cet homme, plus grand encore que je ne l’avais aperçu, un voleur d’enfant ? J’appris beaucoup plus tard qu’il avait en permanence un holster sous son bras gauche avec l’arme adéquat dedans. C’était la guerre en Algérie, donc ici aussi. Son séjour fut court et malgré les insistantes tendresses et paroles de ma mère me répétant c’est papa, c’est ton papa, je ne conservais de lui que la tendresse d’un petit mouton frisotté que chaque soir je caressais en faisant rouler ma Frégate sur l’oreiller, comme lui, dans le djebel, balayait la poussière des défaites coloniales. Il le savait. Il avait vu son dernier né, son épouse et cet autre côté de la Méditerranée où la vie s’écoule avec le rimmel de la paix. Mais l’enfant que j’étais ignorait la grande Histoire des hommes.
Le père, avec les mois d’absence, devenait un parfait inconnu. Ma mère n’en parlait jamais, ou dans un langage que personne ne comprenait. Un patois étrange, mêlant la jalousie et le savoir, la connaissance des hommes qui guerroient, des BMC et souvent des mensonges écrits au dos des cartes postales. Les enfants grandissaient, pour eux la guerre était loin, et les voleurs d’enfants offraient bonbons et cigarettes en passant dans la rue. Tout avait un prix, tout pouvait s’échanger, science ou libertinage, comme dans les cours de récréation certains perdaient leurs billes et d’autres les gagnaient.
Quand le père est rentré, la guerre d’Algérie avait cessé. Table rase du Passé mais milliers de morts sur le tablier des bouchers. Retour à la maison. Retour dans une vie étrange engluée par tant d’absences, les Vosges, Monte Cassino, l’Indochine, l’Algérie, qui font en sorte que les enfants ne reconnaissent pas leur père, qu’ils ont si peu vu. Étranger dans sa famille, n’ayant aucune relation avec l’espace qui devenait sien désormais, il acheta une maison, avec un grand pré autour, y fit paître sept moutons. Chaque année, un animal finissait en méchoui, au fond du pré. Puis il acheta une voiture, et je ne sais pourquoi ce fut une Frégate, aux formes sensuelles, dans laquelle nous pouvions tous nous installer. Ce jour-là nous filâmes vers la côte basque, entre Biarritz et Bidart. Soudain, à ce carrefour qui donne sur les falaises, il accéléra, pied au plancher. Une vieille pierre de la Rhune éclata les pneus de la voiture, m’éjectant avec mes frères et sœurs tels des boulets sur le bas-côté de la route. La voiture capota puis tomba dans le précipice.
Bien sûr, il n’en est rien. Toute la famille étendit ses draps de bain sur la plage, nous mangeâmes des cônes glacés en regardant des connes pommadées, puis le père regarda sa montre et nous annonça qu’il était temps de rentrer. C’est sur le chemin du retour que, de la banquette arrière, je posai cette étrange question :
« dis, papa, c’est quoi, ton prénom ? »
09 05 2020
AK

Depuis que j ‘ai mis mon bras dans ta manche
C’est tous les jours dimanche
un billet bien chaud, un p’tit fafiot
Et puis tes petits mots qui glissent
Vers ma boutique en stock, palpe
C’est pas du toc, c’est sans chinoiserie
J’aime quand tu souris et que ta petite glotte
Au fond de ton palais sonne et clique
Comme des pendeloques comme ces jalousies
Qui irisent le lit quand les volets se ferment
Depuis que j’ai calqué mes doigts sur la vénusté
De tes monts protégés par des curés mal nés
C’est tous les jours dimanche
Un baiser bien chaud, un réveil sous sept cieux
Et tes petites mains qui cambriolent
Cette boutique ancienne qui n’a plus de secrets
Dont tu as su percer toutes les cabrioles
Chaque dimanche en me vidant les poches
Y compris les valises que j’avais sous les yeux
J’ai attendu longtemps cet amour que je savais en toc
Jusqu’à ce matin-là, c’était je crois un lundi matin,
Quand en quittant le mitan du lit tu as ri
En déclarant qu’il te fallait d’autres dimanches
D’autres amants justifiant encore un peu tes vies
Au fond de ta vénusté, de tes rêves tangibles.
Mais qu ‘en est-il resté ? tes os collent à ta peau
Le cristal des breloques suspendues à ton cou
Tinte au firmament des plafonds qui, en un coup
Te pendraient, au fond de ton palais, gigote
Ton corps et cesse de danser ta glotte idiote,
Si seulement tu avais compris que dimanche
N’est pas lundi, que cette boutique ancienne
Fermerait ce jour-là pour que nos chinoiseries
Passent dans les plis de nos draps endormis
Sous les sept cieux de nos amours marrantes.
22 03 2022
AK
Ce matin j’ai vu un chat traverser la rue
Une voiture l’a évité, d’extrême justesse.
Ce matin j’ai surpris un lièvre surgi
De son terrier ; un chasseur l’a manqué.
Ce matin j’ai vu des mères et des enfants
Qui fuyaient. La guerre les a tous écrasés.
Ce matin j’ai eu du mal à me regarder
J’avais perdu l’image de qui j’étais, avant
Étais-je un chat, un lièvre ou un humain ?
Ce matin j’ai compris une chose : naître rien
C’est assouvir son besoin d’exister en n’étant rien
Ce matin je suis parti caresser la mer
En regardant jouer le chat et le lièvre
Ce matin sur la plage il y avait des filets
Rouges, comme les répandent les assassins
Le matin, quand les chats et les lièvres crèvent
Entre mes bras nus qui n’ont su que se taire .
22 02 2022
AK

Fibules
J’ai récupéré les fibules de ma dernière cigarette roulée dans du tabac blond après l’avoir fumée dans le vestibule, puis j’ai sorti mon colt de son étui, un vieil holster que mon père m’avait légué, doucement j’ai fait glisser mes pieds sur tes patins pour ne pas faire de bruit ni de rayures sur le parquet ciré, et j’ai entrouvert la porte de ta chambre avec délicatesse, au fond du couloir. Tu ronflais comme une locomotive qui aurait déraillé dans les vapeurs d’alcool de ces pays de l’Est, mais je savais que chaque soir tu finissais ta nuit à l’Ouest, loin de l’Éden, ton dentier calé dans un verre rempli d’un produit aussi inutile que ta vie à venir.
J’ai pointé l’arme vers le lit, lorsque l’asthénie m’a enveloppé, que soudain je n’ai voulu qu’une chose : m’allonger dans ce grand lit, qui soudain se dressait comme une barricade de la Commune de Paris, mais cette fatigue était franchissable, meilleure que l’opium du peuple, vive et tournoyante dans les six balles de mon colt soudain enrayé de tout tir qui ne soit propulsé par la vengeance aveugle qui pourtant était tout à fait justifiée : pourquoi Laura avait-t-elle placé la litière de Minette dans la partie basse du congélateur ? Pauvre bête, si propre et docile, qui dormait sur le lit quand Julie et moi faisions l’amour.
Plusieurs mondes et nombre de femmes traversent la vie des hommes.Au bout des actes, en fait, il ne reste que le renoncement, et dans le colt nulle balle dans le barillet. Tous les coups on été tirés. J’aurais aimé dire à Laura que…mais elle était déjà étendue sur le tapis, quelques trous avaient ensanglanté sa peau et, en plus, elle ne m’aurait pas écouté. Ça se passe souvent ainsi, dans le petit pays : soit tu prends une maîtresse pour un rendez-vous pour la causette, soit tu apprends à parler aux morts, même à ceux qui ne sont pas encore totalement refroidis. Pour l’histoire, Julie était rentrée à Paris le soir-même.
Comme la place était vacante dans le lit, je m’y suis allongé, glissant mon arme sous l’oreiller de gauche, celui de droite étant plein d’éclaboussures. Il paraît que pour faire un bon assassin, il faut mettre un flingue sous l’oreiller, ce qui est juste, à défaut d’être vrai. Un jour viendra sans doute où dans les écoles du crime on enseignera la portée d’un tel geste, qui aide les meurtriers à passer de bonnes nuits sans remords ni re-morts.
J’ai passé, pour le peu qu’il m’en souvienne, une excellente nuit. Le revolver ronronnait sous l’oreiller et Minette dormait sur la couette, réchauffant mes pieds et les patins que j’avais omis d’enlever en me couchant. Je crois que je m’étais mis en conformité avec ma vie : dormir dans un sommeil turpide (comme le nomme le dictionnaire : écœurant, fangeux, hideux, honteux, ignoble, infâme). Et puis un bon sommeil est dit « réparateur » dans certains manuels scientifiques. Je ne savais plus quoi réparer puisque tout avait été vécu. Peut-être les douilles ? Il restait de la poudre, des fards et des onguents, de l’aloévéra, des comprimés divers : anxiolytiques, anti-dépresseurs, somnifères et toute la panoplie de l’angoisse, de quoi remplir trois des six cartouches qui jonchaient le sol sur lequel Laura était étendue.
Dans le petit pays, les autochtones dont je suis sont procrastinateurs, raison pour laquelle ils ne vont boire du vin de messe qu’à l’heure de l’apéritif, le samedi. Tiens, justement, ma montre connectée me dit qu’aujourd’hui c’est samedi, que midi va sonner, il y a cinq ivrognes au bistrot (dont deux femmes) qui m’attendent pour la messe. Minette m’a laissé un mot sur le bonheur du jour : « je m’exile à Paris, Julie m’a trouvé un hébergement de 9 m2 pour cinquante rats par mois rapportés morts et emballés dans des poches bios à l’hôtel de ville (1 rat pour 15 euros).
Les 3 balles qui restent, rénovées et rechargées, je promets au bon dieu de les lui réserver, s’il tente de venir s’allonger dans mon lit. Mais, par respect des lois, je jure que dans ma dernière cigarette il n’y aura pas trace d’une fibule.
07 12 23
AK
A l’angle de ce meuble qui se nomme enfilade
J’ai trouvé un billet écrit de ta main d’homme
Telle que tu l’utilisais quand le silence entre nous
Charriait reproches et engueulades, un billet
Un rectangle de papier blanc où tu avais inscrit
L’amour perdu aux ombres de la mort l’ancre
Séditieuse des regrets éternels pour le dernier défunt
Mais que ces mots obscènes étaient pleins de tendresse
Tu les avais chaussés de ton imaginaire
Tu les avais chassés de nos vies sur les nerfs
A l’angle de ce meuble pas plus haut qu’un balcon
Long comme un jour sans pain ni marrons ni poings
Tu écrivis des mots de ta main froide lacée
De ces chaînes que traînent les condamnés
Et tu étais heureux de te plaindre et râler
En vérité tu étais l’époux parfait dont rêvent
Les mégères, ces femmes qui ont encore
Les pieds sur terre quand le lit les bascule
Qui portent dans leurs reins la raideur de l’hiver
Comme les fleurs de givre s’évadent des frimas
A l’angle de ce meuble où tu me pris un soir
Mes narines humèrent la douceur de la terre
Et du dernier tiroir, étant encore en vie,
Je sortis une pelle à gâteau et te tranchais le crâne.
Quelques instants plus tard tu perdis la tête
Rédigeant ce billet à l’encre rouge insécable
Où je pus enfin lire que tu m’avais aimée.
13 03 2020
AK
les textes des confins (2020)
Exil en Normandie
Marcel, mon petit Marcel, je ne te le répéterai pas deux fois : maintenant que nous allons être confinés chez papi et mamie en Normandie, je t’interdis de chausser tes patins à glace, que tu confonds avec des patins en moleskine pour glisser sur le parquet ciré, et ne fais pas l’imbécile, pas de trottinette ni de skate dans la cour gravillonnée, tu m’écoutes ? Comprends donc que papa est fatigué, nous avons mis huit heures pour arriver ici, quand il en faut trois en temps normal par l’autoroute. Oui, Marcel, nous avons pris de petites routes et avons dû mentir aux gendarmes quatre fois en leur disant que mes parents étaient à l’agonie. Oui, mamie est arrivée plus tard que nous avec le coffre plein de victuailles, mais cela ne t’autorise en aucun cas à rayer les tommettes de l’entrée et de la cuisine, ni le plancher en chêne du séjour, du salon et de la bibliothèque où papi fait sa sieste. Tu auras ton goûter à l’heure habituelle, mais sois sage et ne réveille pas le vieux, qui ne nous attend pas. C’est une surprise, alors silence, d’accord ? Oui maman. Je peux aller aux cabinets ? Bien sûr, mais avec les patins. J’ai oublié tes pantoufles à Paris, on t’en achètera ici, sauf s’il y a pénurie. Bon, je rigole. En province, ils ont tous des sabots, sauf en Charente, mais là-bas c’est par flemmardise. Autre chose, mon fils, si quelqu’un te demande dans la rue du village si tu viens de Paris, réponds-lui que p’têt bien que oui, p’têt bien que non. Il te prendra pour un gosse du coin qui fait les courses pour ses grands parents interdits de sortie pour cause de pandémie. Si l’épicier, qui te voit tous les étés et sait que tu voles des bonbons dans ses rayonnages (comme tous ces petits saligauds de parisiens) te demande ce que tu fais là, hors saison, tu réponds mes parents m’ont perdu sur le sentier des douaniers et je suis rentré tout seul. Il te dira alors : c’est vrai, ça ? Bin, p’têt bien que oui, p’têt bien que non. Alors, tu pourras faire les commissions et chaparder quelques friandises quand il te tournera le dos. Mais en attendant, pas de patins à roulettes, de vélo de ballon de foot, juste du calme, si jamais tu réveillais papi nous n’aurions plus qu’à rentrer illico à Paris, tu comprends, Marcel ? Oui maman. Je peux jouer à la Nintendo dans ma chambre ? Oui, mais avec un casque sur la tête. Promis ? Promis maman.
Marcel avait dix ans et son papi Léon 82. Mamie Françoise était discrète et son lieu de résidence principal était la cuisine. Ce qui faisait que le vieux couple ne se réunissait qu’à l’heure des repas. Mais nous fûmes bien accueillis. Roland, mon mari, sut gérer le motif de notre arrivée hors saison et il faut reconnaître que Léon et Françoise n’étaient pas mécontents de voir du monde en ces temps catastrophiques d’enfermement obligatoire. La première semaine se passa bien, le temps était clair et doux. Puis, sous l’influence maritime, le ciel se chargea de nuages, de plus en plus lourds, et Marcel commença à s’ennuyer. Le vent et les averses en vinrent à signer un pacte interdisant au gamin de jouer à l’extérieur. Alors l’ennui devint plus difficile à supporter : pas de copains, les jeux vidéo devenus une obligation finirent par lui être insupportables. Il n’avait qu’une envie : ravager le carrelage et les planchers avec ses patins à glace (précision : ils étaient rangés -et oubliés- à côté des chaînes à neige dans le coffre de la voiture).
Papi Léon en prit conscience, les crêpes et les gâteaux de Françoise ne suffisaient plus. Louise sa mère et Roland déprimaient. L’accès aux plages et aux chemins de balade étaient désormais étroitement surveillés . Tout le monde attendait qu’un nouveau monde advienne. Mais ici on avait la chance de posséder un espace de vie suffisant pour se livrer à des activités ludiques. Le jardin offrait ses tâches pérennes et saisonnières, à l’intérieur de la maison le ménage la cuisine et le repos, la lecture et la musique (papi adorait le bel canto et les opéras italiens notamment).
Léon termina sa sieste ce jour-là et appela Roland. Il retira alors une cordelette qui pendait à son cou, au bout de laquelle se trouvait une petite clé. Une clé qui permet d’ouvrir un tiroir d’assez grande dimension. Vas dans ma chambre, Roland, dans la grande armoire tu trouveras un tiroir qu’ouvre cette clé. Elle contient une boîte en fer blanc de bonne dimension. Prends-la et descends la. Je t’attends. Roland s’exécuta. Cinq minutes plus tard, il était dans le bureau du vieux. Vas chercher ton fils, maintenant, s’il te plaît. Le gamin fait grise mine. Léon lui tendit alors la grosse boîte. Elle était lourde pour un enfant et les décalcomanies dont elle était décorée se décollaient pour certaines. Marcel posa la boîte par terre. Ouvre la, petit morpion ! dit sur un ton sévère et rigolard le grand-père.
Comment décrire l’émerveillement d’un gosse qui découvre d’autres choses ?
Il y avait là tout l’univers d’un grand-père du temps où il était enfant : les voitures Dinky toys, les cyclistes en fer blanc, en métal ou en plastique moulé de Bonux, avec lesquels il jouait au tour de France, les Anquetil, Bobet, Bahamontès, Simpson, Darrigade (…) il y avait des cow boys des indiens des tipis des totems des soldats sudistes, nordistes, des bagarres et des combats inventifs et loin des vraies guerres, mille assortiments pour composer le temps que pour quelques mois il faudrait supporter. Marcel, à la vue de ces jouets désuets, aurait pu dire : c’est quoi, ces vieux trucs, ça pue le rance, moi c’est playmobil mangas et tablette. Bien sûr, il aurait pu le dire. Comme des milliers de petits parisiens exilés en Normandie.
Quand il sauta au cou de son grand-père, celui-ci lui demanda : tu ne serais pas un peu normand, toi ?
P’têt bien que oui, p’têt bien que non !
21 03 2020
AK
(les écrits du confins)
Illustration : hommage à Elliot Erwitt (c’est lui qui l’a prise)
Je me suis allongé à l’heure de la sieste
Mon ventre gargouillait et j’entendis
Alors galoper les chevaux
Dans mes boyaux, ce kitiklop kitiklop
Incessant qu’on nommait flatulences
Dans les cabinets de médecins
Je sentais leur parcours dans mon ventre
Boursouflé par la poussière soulevée par mes gaz
Mais allaient les chevaux entre grêle et colon
Franchissant sans hennir mon humble duodénum
Sautant joyeusement mon appendice
Rien n’arrêtait la course folle de ces Pets-gaz
Mes mains écrasaient mon bide rebondi
Le lit ne grinçait plus sous le poids des sabots
Chevaux de Przewalski ou mustangs appalachiens
Tous broutant avec joie ma flore intestinale
Entérinant ma fin comme ultime contrainte
Ce son sournois revendant mes tripes à l’encan
Dans un souffle, un cor de chasse à courre,
Je filai aux lisières d’un bois, cédait mon lit
Aux pires palefreniers, et prestement
Me remis en selle, confiant à deux trottins
Le soin d’aller quérir du savon et un cuveau
D’eau chaude, une casaque cosaque, de l’imodium
Maintenant que le lisier avait terrassé mes fesses
Le ventre ramolli par l’éjection des fèces
Je repris les rênes, la coursive gagnante
De la dernière bataille : bien torcher ce poème.
AK
03 03 2020

Aujourd’hui je porte le deuil (la couleur du ciel m’y convie).
En effet, j’ai appris hier la mort de : Elliot Erwitt, photographe :
Le légendaire photographe Elliott Erwitt est décédé hier à l’âge de 95 ans, paisiblement à son domicile de New York.
En début d’année, nous lui avions consacré une édition spéciale à l’occasion de multiples expositions de son travail couvrant une carrière d’environ 70 ans.
La re-voici aujourd’hui. (cf https://loeildelaphotographie.com/fr/elliott-erwitt-1928-2023-les-chiens/)
Et celui de Shane Mac Gohan :
Il avait 65 ans.
DIRTY OLD LIFE !

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