Un ours derrière la porte.

Quand l’ours est tombé de la falaise trois cents moutons applaudirent

Quand mon père est tombé de sa chaise, les moutons digéraient

Quand l’ours a ravagé les ruches les apiculteurs ont gémi,

Mais tout cela n’était qu’un rêve abrupt descendu des montagnes

Identique aux veillées qui poursuivent le feu loin du bois des forêts

Ces lieux où les vieillards dressent soudain l’index

Ont une histoire à raconter qui fait peur aux enfants

Mais moi, me direz-vous, planté sur mes douze ans

Quand l’ours frappa la porte de bois, personne n’osa ouvrir

Pourtant, c’est avéré, un ours ne se présente pas au perron

D’une maison où il n’est pas invité. Parfois, des cris d’enfants

Qui perdent leurs peluches, des parents qui se disputent,

Dans ces cas,il est vrai l’ours entre sans frapper, s’installe dans le canapé

Et raconte aux parents pétrifiés qu’un jour on l’humilia

Alors qu’il chutait d’une falaise haute de trois cents moutons.

Les parents lui demandent : thé ou café ? Il répond : un peu de miel

Pour colmater mes plaies, et il sourit à l’hôtesse, qui rougit.

La stratégie de l’ours est terrible. Après avoir dénoncé l’art

De vivre des moutons, il (si cette affaire peut vous aider)

Vous demandera où sont les cabinets. Au fond à droite,

Juste après la cuisine. Tout cela est d’un affreux registre :

Vous l’attendez dans le salon et lui dévore la tarte aux myrtilles

Les vieillards, près du feu de l’âtre, ramassent leurs branchettes

Chacun remue son passé, mais Parkinson attise les flammes

L’ours met involontairement (monsieur le juge) le feu au foyer

Et tout alors l’accuse : les moutons, la falaise et les histoires

Qui font peur aux enfants quand ils perdent leurs peluches.

A cette histoire pourtant une autre morale, un autre canapé,

Pourrait résoudre ces aléas et les réduire en poudre.

Il suffit pour cela de raconter des histoires aux vieillards, pour qu’ainsi les enfants deviennent grands et donnent leurs peluches à la nuit des temps.

AK

14 07 2019

https://www.bfmtv.com/people/musique/shane-mac-gowan-chanteur-du-groupe-britannique-the-pogues-est-mort_AN-202311300531.html

L’aspirateur d’ombre (rediff)

Jennifer et moi terminions notre déjeuner dans le jardin, sous les arbres centenaires qui nous laissaient dans la pénombre, à l’abri du soleil ardent, lorsque trois personnes sont apparues au portail, dont nous ne sûmes s’il s’agissait de gardes suisses, de gendarmes ou de pompiers. Je leur fis signe d’entrer et leur demandai la raison de leur visite. Celui qui paraissait être leur chef, car il était grand et possédait un visage a priori plus persuasif que ses deux acolytes me salua d’un hochement de tête avant de prendre la parole :

« Avez-vous une prise électrique, un branchement extérieur ?

J’opinai et lui montrai l’emplacement où se situait celle-ci. Un de ses collègues sortit alors un de ces engins que l’on trouve dans le commerce : un souffleur de feuilles réversible, qui aspire et non ne repousse dans un chahut bruyant les feuilles des arbres et une multitude de déchets familiers. Celui qui était forcément le chef car sa voix était audible dit alors : « Gustave, mets tes doigts dans la prise, pour voir si elle fonctionne ». Le gars s’exécuta et répondit ; « oui chef, c’est du 220 volts. On y va ? »

Le grand opina de la tête et ils branchèrent l’engin. Ce bidule faisait beaucoup de bruit, et quand le-dit chef vint s’asseoir à notre table, il finit par se présenter. Il faisait partie d’une brigade privée spécialisée dans la récupération d’ombres ; c’est à dire qu’il venait, avec sa brigade, aspirer toute l’ombre du jardin arboré des particuliers en pleine campagne pour la redistribuer, contre rémunération, dans les villes où les arbres et la fraîcheur manquaient cruellement.

Jennifer fut la première à réagir. Le vin rosé de ce déjeuner montait encore dans ma tête l’escalier de la sieste de quatorze heures.

« Avez-vous un certificat, une preuve concernant ce que vous faites dans notre jardin ? Demanda-t-elle. Excusez-moi, mais il y a autant d’arnaques sur internet que de malfrats qu’on met à l’ombre que je doute de la légitimité de votre prestation. ».

Le grand escogriffe ne se démonta pas. Il sortit d ‘une de ses poches intérieures un papier plastifié et, d’une autre, une carte d’inscription à Pôle Emploi. Sans doute un breton me susurra Jennifer, c’est une vieille ruse pour amadouer les princesses, en Bretagne, mais ils avaient un cœur d’artichaut, comme le disait Artie Shaw .

« Madame, nous sommes envoyés en tant que sous-traitants par le service de l’Urbanisme afin de modifier les erreurs du Passé en redistribuant de vastes zones ombragées sur les places publiques des villes et des villages, voilà tout.Vous savez bien que les places publiques des villes sont devenues des déserts brûlants faute d’arbres de hautes tiges. Les places urbaines sont de vastes espaces pavés de dalles de marbre parfois local, de granite du Portugal, et de bancs en plein soleil qu’un lampadaire solidaire , selon l’heure, vient apaiser et offrir par sa maigre présence un trait de fraîcheur pour les mamies qui suffoquent chez elles. Nous avons donc été chargés de récupérer l’ombre de vos plaisants jardins arborés pour réinventer une douceur de vivre dont la cité manque, ce que certains nomment l’enfer urbain. C’est le partage social qui désormais s’opère entre ville et campagne. Mais n’ayez aucun souci, les vaches continueront à paître dans les champs. Nous n’irons pas faucher le blé OGM comme le firent les écologistes en leur temps. Nous, c’est soft power. »

Il but une gorgée de rosé. Puis appela : « Gwenn, tu en es où de la collecte ? Ne traîne pas, on a encore deux jardins à faire ! » Gwenn, c’était le troisième larron. Il avait de belles oreilles à la Aliboron, et le visage poilu comme un vieux singe qui soliloquerait perché en haut d’un arbre, un cousin de saint Siméon Stylite. Au bout d’une heure le bruit infernal de la machine cessa. Ne restait qu’un cercle d’ombre autour de la table ronde où nous avions déjeuné. Il était trois heures et le soleil au zénith semblait nous maintenir dans cet ilôt de fraîcheur relative d’où nous ne pouvions nous évader. Le trio ramassa ses affaires, débrancha le cordon électrique et quitta les lieux comme ils y étaient entrés.

Jennifer et moi eûmes alors l’impression tenace de nous être fait gruger. Des inconnus entraient chez nous, aspiraient tout notre espace ombragé et disparaissaient sans même laisser une invitation à nous rendre gratuitement au spectacle en ville qui ne manquerait pas d’être le plus magnifique de la saison. Je l’avais lu dans la presse locale : « ce soir en ville une pluie d’étoiles dès la nuit tombante se déroulera sur la grand place pour la fête de la musique. Vous pouvez venir en famille, mais laissez les arbres dans vos jardins. » Jennifer me regarda. J’attendais son verdict. Il fut rapide : « bon, on ne va pas se laisser berner par ces abrutis, chéri. Ce soir, quand les lumières de la ville scintilleront, nous découperons dans notre jardin des morceaux de nuit qu’ensuite nous répartirons au pied des arbres centenaires, puis autour de la table ronde, et nous en recouvrirons même les chats qui souffrent de la chaleur, et comme aujourd’hui demain sera identique à ce petit paradis. Au fait, as-tu mis un peu de rosée au frais ? »

17 06 2022

AK

Dernière course

Je devrais aller plus loin mais je comprends

Qu’un jour il faut arrêter de marcher

Ce ne sont plus les pieds, mais l’envie d’avancer

Qui soudain stoppe la progression : la vie

S’achève dans le trafic des derniers pas,

Ce qui a été ne cesse de reculer, je t’embrasse

Disent les mausolées, je suis sur le perron,

Je reviens d’un voyage avec Little Nemo,

Je voulais aller plus loin, un wagon-lit, des rêveries,

Mais Aladdin a volé mon tapis, l’Orient Express

Est devenu un luxe de soies chinoises, quand toi et moi,

Mille émois à des milliers de kilomètres allions plus loin,

L’amour est une partie d’échecs, j’aurais du jouer aux dames

Mais pour aller plus loin il faut courir plus vite

Que le tocsin et les sirènes, filer aux abris souterrains

Pour enfin s’arrêter de marcher

Dans cette drôle de vie.

25 11 23

AK

(photo prise à Bourisp, 2021)

Un dimanche entre Yukon et khamsin

Aujourd’hui, c’est dimanche

Comme je suis un vieux trappeur

Perdu dans la forêt des Culs-Bénis

(province du Yukon, Canada ouest)

Je vais mijoter une peau de lapin

Que je boucanerai ensuite

Pour m’en faire un couvre-chef

Aussi tactile que réchauffant

Demain, ou dans deux jours,

Le lapin sera cuisiné avec les pruneaux

Que je lui ai mis dans la peau.

Parfois, dans mes rêves, apparaît

Un bédouin, une caravane de chameaux

Les hommes qui mènent le troupeau

Sucent les premiers jours la peau des dattes

Sous le soleil sans arbres sous lesquels se reposer

Dans ma cabane perdue au milieu des forêts

Je les regarde mastiquer l’enveloppe et sourire

Ils marchent la nuit sous les étoiles

Et à l’aube avalent une partie de la chair

Des dattes, puis, plus loin dans le parcours

L’entièreté du fruit, mâchant comme

Le font leurs camélidés chargés de sacs de sel

Fumant parfois une cigarette venue d’occident

collée au bout de leurs dents solides que le khamsin

N’use pas en paroles inutiles, ils avancent

Et le noyau de la datte fond dans leur bouche

Jusqu’au terme du voyage où les marchands attendent

De négocier le prix de leurs vies et celle des animaux

C’est alors qu’une tambourinade se plante à ma porte,

Qui tente d’introduire ses griffes dans le verrou,

Je le connais, cet abruti, c’est mon pote Grizzly,

Il a senti le lapin, la marmite et le grille-pain

Du vieux trappeur que je suis, une fois encore

Il vient brader sa peau usée contre un repas chaud

Se calfeutrer, hirsute et sans famille près du réchaud

Et raconter pour la millième fois comment

Il pêchait les saumons avec ses pattes griffues

Mais je ne l’écoute plus, je dissèque le lapin

Pour faire avec ses os des colifichets coquets

Que je donnerai aux écureuils pour les piéger.

26 11 2023

AK

Comment embrasser une fille en ville (la Paloiselle -29 12 2008-)

Les oiseaux disparaissent de la ville et leur variété se réduit aux dix doigts d’une main. Mais l’oiseau rare survit encore, (cet oisif), les ailes rabattues comme un cache-nez sur l’hiver, et sur un banc ouvre son coeur à une belle oiselle, la Paloiselle aux yeux bleus.

Les rues que tu parcours poursuivent mon désir. Je les ai fréquentées pour toi, belle inconnue, te sentant dans chacune, ne t’y trouvant jamais quand mes pas y juraient amour, fidélité. Je marchais vite, trop sans doute. Et ce n’est qu’il y a peu que je t’ai rencontrée, alors que j’attendais l’hypothétique crainte de ne te voir jamais. Les bancs finissent par oublier l’espoir des amoureux quand la pluie les balaie de rendez-vous manqués. Pourquoi donc la plupart sont-ils de teinte verte, confondus dans les branches basses des placettes en été, et si nus sous le blanc de l’hiver qu’ils semblent transparents. C’est à ce moment-là pourtant que je t’ai croisée, place de la Déportation, emmitouflée sous une cape brune, les pommettes rougies par le froid ou l’impatience des excès à venir. Tu portais un chapeau de laine de couleur vive, jaune cerclé de noir, et tes lèvres muettes maquillées de vermillon appelaient le baiser qui ne saurait tarder. De la balustrade en pierre je contemplais les Pyrénées, n’osant baisser les yeux vers la place de la Monnaie, si défraîchie, si lamentable. A vrai dire, je ne pensais à rien, jusqu’à ce que tu surgisses quand je me retournai. J’ai vu ton regard, versé dans la fontaine, et j’ai senti des frissons me parcourir le corps.

Plus proche des montagnes que de ta solitude, je suis pourtant allé vers toi en restant à l’écart. Je voulais voir tes yeux, saisir ce reflet que le coeur papillonnant des âmes franches dissimule, et dans la fontaine à mon tour j’ai plongé le regard. Tu y étais. L’eau a parfois des profondeurs claires qu’irise le désir, mais l’inconnu en pressent la fraîcheur et n’ose mouiller ses doigts de peur de se brûler au contact du réél. L’hiver a notre âge, encore beau et charmant. Tu m’as regardé, vaguement il est vrai, mais ce fut suffisant pour capter une image qui ne s’enfuirait pas. Je connaissais ces yeux depuis bien des années, là, je les vérifiai. Dans le bassin de pierres profondes du château, au pied de la tour de briques ancestrale, un carré de ciel d’un bleu intense jouait avec des poissons rouges et blancs: fragments de tes mirettes batifolant sur l’onde, admirable innocence de ton ingénuité. Mais à cet instant présent, de ridules en rides, mon regard te froissait, je le sentis et partis. Les rues que tu parcours poursuivent mon désir. Dès lors, je n’eus qu’un but, te croiser à nouveau. Je testais chaque banc près desquels je passais. Ces bancs du Boulevard, de Verdun, de la République, de Gramont, de Lawrence, du square G. Besson (aux formes voluptueuses), bref partout où se posaient des fesses je pérégrinais mon arrière-train. En vain. Je me disais qu’Henry, depuis le Parlement, peut-être t’apercevrait. Mais j’étais trop jaloux pour même lui en parler. Je devins défaitiste. Si nous devions nous revoir, ce serait par le fruit du hasard. Je trainais alors le long des boulodromes, du rond-point des Allées de Morlaàs à la place Peyroulet, de Verdun à Lawrence en passant par Barbanègre, poussant jusqu’au Junquet, à Jurançon, où, à ma grande surprise, quelqu’un t’avait aperçu. Cet homme, un bouliste connu, dont les autres disaient que c’était un fin tireur, racontait à qui voulait l’entendre (soit la moitié du groupe, les autres étant très sourds), qu’il avait vu sortir d’un immeuble récent une beauté félibre (c’était ses termes) portant chapeau de laine de couleur vive, jaune cerclé de noir, au moment même où ses boules explosaient dans ses mains, sans rime ni raison, et que cet incroyable incident, ajoutait-il, ne pouvait qu’être dû à l’apparition de cette femme à ce moment précis. Cela déclencha le rire des pointeurs à l’audition correcte et l’étonnement satisfait des autres artistes du cochonnet. Sachant que Jurançon est une pépinière de jolies plantes, je fus ravi de savoir que ton bibi te plaçait au-dessus des autres, et intuitivement je repris les bords du gave pour gagner le château. Le hasard ne se présente jamais deux fois au même endroit. Sauf s’il se compose de deux parties bien distinctes (« deux n’est pas le double/mais le contraire de un/de sa solitude/Deux est alliance, fil double/qui n’est pas cassé. » -Erri de Luca in « Le contraire de un » chez Gallimard-). Au lieu de remonter sur le château, je pris la sortie des gardiens et franchis le portail. Comme la fois précédente, il faisait froid. Un ciel limpide de veille de reprise du travail. Sous la vigne vierge, tu étais assise, prenant le soleil avec délectation, les yeux clos, ta cape brune entr’ouverte dévoilant la douceur de ton pigeonnier, mettant ipso facto mon coeur en cage. Je ne reculais pas (Henry aurait pu me surprendre). Je balbutiai : « les rues que tu parcours poursuivent mon désir ». Tu ne parus pas le moins du monde étonnée de m’entendre. « Je t’attendais », répondis-tu simplement.

Je n’en croyais pas mes oreilles. Dans un reflexe idiot, je me mis même à les tirer entre le pouce et l’index. C’étaient bien les miennes, pas celles de Bayrou. J’avais donc bien entendu. « Je t’attendais, répétas-tu, car j’ai besoin de toi ». Ma bouche dessina un point d’interrogation, j’étais le professeur Nimbus. Non seulement l’usage du tutoiement m’interloquait, mais encore ce besoin de toi me surprenait, tant je me sentais inutile et étranger à toute notion de charité. Tu continuas: » tu m’as cherchée et c’est moi qui te trouve, me contentant d’attendre. Vois-tu, moins les certitudes se vérifient et plus la vérité avance. Seuls les scientifiques découvrent de nouvelles formules, mais par combien d’errances, de chemins différents, d’impasses et de fausses gaietés. Tu as vu mon regard, versé dans la fontaine, tu as vérifié mes yeux et capté une image qui ne s’enfuirait pas. Moi aussi, à ma façon, j’ai vu tout cela en toi. Et j’ai tressailli. Mais ce n’était pas de crainte, ni de colère. Les femmes connaissent le cœur des hommes, comme la ville ses rues. Pourquoi donc croyais-tu qu’il y avait tant de bancs, disposés un peu partout dans la cité ? Pour y poser tes fesses? Pour écouler les stocks de peinture verte dont les marchands de murs ne veulent pas? Pour servir de siège à des parlements de misère, pour étendre la précarité sous couleur d’espoir d’un jour avoir un toit? Et bien non, pas tout-à-fait. Les bancs sont des îles. Leur mémoire est diffuse, c’est le parfum des villes. Là où tu t’es assis, d’autres suivront, que tu suivis toi-même. De chacun d’eux le bois transpire, remémore, inscrit dans sa liste éphémère le temps qui passe, l’état des choses, des gens. Je ne sais plus dans quelle ville (était-ce dans un zoo), Berlin peut-être, des noms étaient vissés aux bancs, noms de donateurs, de postérieurs généreux, dont nous sommes les légataires universels, chaque jour et par tous les temps. Oui, j’ai besoin de toi. Pour suivre ce chemin, indéfini par la durée, éternel par l’amour, populaire dans son intimité. J’ai besoin de tes mains, de tes baisers, de tes caresses, de ta compagnie pour parcourir ces rues, qui poursuivent notre désir. »

C’est là, pour la première fois, que j’ai embrassé Ginou-Ginette, comme on embrasse du regard une ville qu’on aime.

AK Pô 29 12 08

Poèmes d’eaux et d’os.

Ah qu’il est bon ce chemin de vie au bout duquel on en finit

Quand les rêves sont morts, les amis disparus, les rues

Qui dégringolent et fracassent le crâne d’un vieillard

A la canne brisée, au chauffeur de bus qui l’écrase en roulant

Quelle plénitude que de mourir en quelques secondes

Comme dans un film de truands deux balles la séance

Cinéma interdit aux moins de seize ans, ticket automatique

Paiement par carte bleue, caméras de surveillance

Mourir sans décence sous les klaxons de la rue embouteillée

Chauffeur de bus en pleurs sous les micros bégaye

Il a brisé sa canne est tombé j’ai freiné trop tard

Et le mort qui rigole encore sur la chaussée, le sang

Qui se répand d’un rouge profond vers le caniveau sale

Que nettoieront demain les ouvriers masqués de la ville endeuillée.

18 04 2021

AK

Que les hommes sont tristes

Eux qui étaient fontaines

Ils pleurent dans leurs mains,

Celles qui portaient l’eau

Aux lèvres de l’Amour

« Ils ont bu trop de vin » dit Ancona à Bari

« Ils croient en nous comme la misère au pain. »

Elles rirent. Elles aimaient rire et se moquer

Des hommes. Deux vraies femmes.

Ancona : femelle hirsute, grassouillette, bandana

Cerclant son front et derrière un chignon mou, mais

Tout teinté de vert. « Tu verras, les garçons ! De vrais

Lampadaires, lampyres au possible ! »

Bari, plus maigre, plus noire aussi. Il ne pleuvait jamais

Chez elle au-dessus des genoux. Plus jeune,

Donc plus impertinente.

« Mais si un homme, dans le creux de ses mains,

Portait l’eau de la fontaine à tes lèvres,

Qu’est-ce que tu ferais ? »

« Je le regarderai »

« Tu pleurerais en le voyant ? »

« Peut-être si lui me regarde. »

Elles rirent de nouveau.

La nuit était tombée sur leurs joues roses

Et elles se repoudrèrent.

Deux belles gosses que Schiele peignit plus tard

(jusqu’en 1917).

recopié le 19 04 2021

(manuscrit retrouvé dans un tiroir…

qui sent encore bon les lavandières, trente ans plus tard)

AK

Que contiennent les images ?

Que contiennent les images ? Quelques onces de Passé, de longues pointes de souvenirs, mais avant tout l’aventure de vies multiples qui se posent là, sur ce banc d’un village du Gers photographié voici quelques jours, par grand beau temps. Sur ce banc se sont posés les fantômes de Victor Ségalen, de retour des îles tahitiennes, de Jules Supervielle, d’Henri Calet, d’Henri Michaux, de tous ces migrants voyageurs partis en Amérique du Sud, Centrale, du Nord, se posent aussi les fesses des chercheurs des Kerguelen partis étudier l’évolution des saumons, la fonte de la banquise, tous revenus, repartis, disparus et dont seule cette image témoigne de l’existence, du passage, alors qu’assis sur ce banc que le soleil printanier immacule, ils allument une pipe dont la fumée se perd dans les voiles de la maquette, derrière la vitre.

Comme ils sont proches et lointains, ces itinérants partis cueillir dans leur jeunesse les fruits qu’ils portaient en eux, en paquebots, en steamers, en voiliers, et tous les autres, en galère, qui les avaient précédés sur l’embouchure du Maroni, ces marins grimpés pour un peu plus d’argent dans des baleiniers, des morutiers, des thoniers franchissant le cap Horn, de Bonne Espérance, la Terre de Feu, le Cap, les quarantièmes rugissants, marins de Loti, de Stevenson, de Melville, marins d’Achab sur le Péquod, la barbe hirsute, les mains plus grosses que des filins d’amarrage, l’œil bleu, le petit anneau d’or épinglé à l’oreille, le vrai, celui qui améliore la vue, ces tatoués sans pacotille, laveurs de pont, souqueurs, forcenés des chaluts, coupeurs sur le vif, machinistes peints de suie et de sueurs, récalcitrants aux fers, marins perdus en mer, tous débarquant en héros, en migrants, dans ces ports lointains où les femmes faciles, l’alcool, les bordels, les bagarres font renaître la vie pareillement qu’aux heures appareillantes, vies d’obscurs que le sel et l’écume ravive sous les lointains tropiques, l’oeil bleu des volets de cette image que je regarde et où je vois, et où je lis ma peur de l’eau, ma crainte des horizons nouveaux, l’absence monumentale des pipes en écume de mer, de ces fumées qui soufflaient vers la Louisiane, vers Paramaribo, Tegucigalpa, Montévideo ou Buenos Aires, voire Valparaiso qui brûle alors que j’écris ces phrases dans mon petit jardin proche du Gers et de ses vagues immenses.

Que contiennent les images ? Tout et rien, le bruit et le silence, l’effet défait et les fées défaites, l’amour et l’aveugle. En un mot, l’inutile. L’inutile, qui ne serait pas vide, juste espiègle. Un œil noir d’aigle sur le rire d’une mouette, un vague sentiment d’appartenance mêlé de différence, à l’image de ces collines gersoises qui pourraient noyer un homme en pleine terre, fleurs et couronnes, ou d’un enfant qui, du côté de saint Malo, déciderait de devenir corsaire, comme ici les plus ambitieux jamais ne franchirent les Pyrénées : ce qu’il y avait derrière nous fera face bientôt (c’est une image que je refuse de photographier). Le bleu du ciel reste, Bataille, l’exil de tous les franchisseurs de mer, et chacun à sa manière a depuis belle lurette appris a marcher sur les eaux vagabondes du 2.0 (mais non, j’allais pas rimer avec monde).

Quand ma compagne m’a demandé de m’asseoir sur ce banc, photo souvenir que nous regarderions plus tard, c’était quand, déjà ? et qu’à mon tour je lui ai proposé de s’y allonger, nue, pour faire une photo artistique, la scène a tourné à la franche rigolade : Victor Ségalen jetait vers ma compagne des colliers de fleurs d’orchidées, des « ava ava », (cigarettes), Jules Supervielle des brassées de foins pampinesques, Henri Calet quelques tickets perdants de l’hippodrome de Montévidéo (ou de Longchamp), Paul Morand devait survoler la scène, en aéroplane, et finalement ce fut à Aignan, dans le Gers, que l’image, dès qu’apparue, s’oublia; Dans le vent de cette petite histoire.

par AK Pô

12 04 14

ptcq

La vie, l’amour, la guerre

Je suis nue dans le lit, bordée de nuit

De jours dans les draps brodés alentour

Par d’aimables dentellières, ma mère

Sa mère ou une cousine germaine

Réfugiée ici, au fond du Finistère,

Mon amant est parti ce matin faire la guerre,

Comme jadis les hommes aux colonies

Et à présent c’est celui que j’aime

Qui traîne son fusil dans la boue,

Sous les étoiles il tue à son tour

L’inconnu qui lui ressemble

Et comme il faut survivre quand l’horizon rougeoie

Il viole une femme, achève un ennemi,

Dans cette boucherie qui ne le fait pas jouir

Les fantômes ont raison de n’ être plus vivants

Ils arpentent en tout temps l’ennui des hommes

Qu’on enterrera dans des draps blancs

Oubliant les blessures, les larmes et le sang

Sous l’étincelle des médailles de l’héroïsme

Ils brilleront par leur absence

Comme moi, ce soir, qui suis nue dans mon lit,

Seule mais encore remplie de cet espoir

Qu’un homme qui lui ressemble

Vienne me voir pour me parler de lui.

25 02 2022

AK

Lola

LOLA

Ce n’est que lorsque les pierres se sont mises à rouler devant mes yeux que j’ai compris que nous nous étions arrêtés de vivre ensemble.

Nous avions tant de fois noyé nos hanches dans d’absurdes ébats, mêlé nos lèvres en paroles absentes et rempli tous les lits de paresse qu’au bout des corps le drap trop tiré ne masquait plus la déchirure. Le partage équitable du temps ne nous reconnaissait plus comme espace commun. Il faudrait désormais lutter chacun pour soi, maudire le territoire des êtres et dominer le devenir de l’âme. Se perdre à part soi, sans amour et sans guide.Reprendre l’éphémère et s’y fondre au présent. Espérer qu’à nouveau des pierres naisse le pleur. Regagner le bonheur.

La vie étant passée, je n’avais que faire de celle des autres. Je partis. Feindre de n’être plus ce que l’on a été, mais suffoquer de se sentir différer de son image, découvrir que nouveau ne rime pas toujours avec beau, ne devoir aux maîtres que des notes de service, emporter dans sa besace tous ces lendemains qui chantent la veille des nuits de long sommeil, s’effriter en odeurs s’intégrer en parfums, savoir n’être qu’un homme.

(Laper le miel et boire l’hydromel sans fondre diabétique.)

Ce fut par un début de soirée que je pris la porte, après que Lola m’eût passablement fait sortir de mes gonds. Elle s’enrhuma la nuit même et faillit périr d’une congestion pulmonaire si l’intervention opportune d’un soutien-gorge n’avait retenu son dernier souffle. J’avais demandé sa main trois ans plus tôt à son père qui me l’avait accordée en si bémol : majeure elle est, mineur je reste déclara-t-il entre deux quintes de toux silicosées. Nous trinquâmes fort tard ce soir-là, et je ne dus mon salut que ce fameux jour où je pris la porte, trois ans plus tard. J’ignore aujourd’hui ce qu’il serait advenu de moi si j’avais perduré dans cette maison.

Je me souviens que ce que je préférais par dessus tout chez Lola, c’était cette façon mutine qu’elle avait pour vous envoyer paître. Elle prenait alors un air si naturel de salope amoureuse que même le chien, un sale cabot noir qui reniflait vos mollets avec insistance, se mettait à japper dans la salle de bain. « Mets Médor dehors ! »disait-elle, il va encore renverser la bouteille de gin avec laquelle tu te laves les dents quand tu es bourré. Je m’accomplissais illico. Et inévitablement j’entendais son rire gras éclabousser mes oreilles : « que tu es donc con, mon loulou ! Dire que depuis deux mois tu te laves les cheveux à la bière, c’est pas mieux ! »Puis elle sifflait son Médor qui, tout trempé, s’ébrouait dans mes jambes puis léchait mes mollets, avant de rejoindre sa maîtresse.

5 11 1985

AK

,…C’est ainsi que j’ai fini comme son père : noir comme du charbon, mais plus ardent  que l’enfer! (09 2021)

DE LA FAUSSE REALITE DES REVES (fantaisie)

DE LA FAUSSE REALITE DES REVES (fantaisie)

Le sable est rempli de grains de sommeil

Piquants, blonds et gorgés de soleil

Que le marchand évente, ne laissant pour uniques traces

Que l’ombre du doute et le miroir qui lui font face.

Quand les rêves abandonnent les hommes, il ne leur reste qu’une issue: le génie. Qu’est-ce qu’un rêve, sinon un abandon de soi? une mouche est plus réelle qu’ un cocher ramenant sa princesse ivre morte dans son carrosse de luxe. Le rêve brille par son absence quand le pauvre frotte les cuivres de la duchesse, et pourtant de la lampe à huile ne surgit pas le génie attendu au rythme des massages lascifs du chiffon caressant, ni des lessives fraîchement exposées aux vents coulis de l’Été, non. La mouche éperonne le sein droit de la comtesse comateuse et le cocher fouette son attelage tout en la regardant, ébahi, subjugué par tant de beauté délétère et céleste, avachie et hoquetante dans le chemin creux qui les ramène au château après une nuit orgiaque. Non. Le génie ne se dérobe pas, ne se cache point au fond des bouteilles vides qui roulent sous le siège, au risque de s’enivrer lui-même d’un tel charivari. Il regarde le rêve s’enfuir dans les yeux de l’archiduchesse et du cocher, dans les globes prismatiques de la mouche de strass collée sur le buste qui flageole, gonfle et retourne cahin-caha à sa petite existence de grande dame fatiguée par les excès, les jugements à l’emporte-pièce, la rivalité amoureuse, cette noble concurrence du néant élevée en plaisir, ces bagues devenues dagues.

Au petit matin, le génie cherche l’homme qui ramasse les rêves. Il le cherche partout, le trouve nulle part. L’homme est parti vider sa besace dans le bas d’un talus. Il trie les débris du rêve: les morceaux de sommeil, les éclats de soleil, les mots écrits, chantés, imaginés, les musiques du corps évanescent qui s’abandonne de bon cœur, les nanogrammes de bonheur dans le reflet des yeux que l’on regarde encore, même clos. L’homme scrute. Ses mains, habituées au toucher, contiennent dans leurs paumes des vies écartelées, des lignes et des cals dont les jours prolongent l’errance, vies qu’il s’ingénie à recoller de ces rêves brisés, morceaux infimes d’une absence infinie. Mais il n’y parvient pas. Parfaitement impossible, bêtement idéaliste. On ne reconstruit pas la vie antérieure, on cimente les rêves pour ne pas abandonner, abandonner le génie issu de nos propres gestes manqués, le génie qui croyait toucher l’âme en habitant le corps. Mais la marquise l’a rendue, son âme, ce matin-là, dans un bois qui jouxtait le château, quand le cocher percuta le plus beau matin du monde, celui des illusions perdues.

AK Pô

20 05 09