Les bruts de brut de Pépère : une histoire méchante.

Cela faisait déjà quelques jours que Fulbert n’avait pas écrit une histoire cruelle, une histoire à laquelle il aurait été partie prenante. C’était , il est vrai, un solitaire. Il avait ainsi pu échapper aux meutes de truands sanguinaires qui sévissaient dans ce village perché à 400 mètres au-dessus de la mer, quand celle-ci était basse comme l’étaient les fronts des habitants de cette contrée. Certes, les mouches qu’il avait abattues par centaines avec sa tapette depuis le début de la semaine pourrait remplir un vase soliflore ou nourrir un tamanoir pendant une demi-journée. Seulement, le sang que ces sales mouches avaient pompé aux hommes quand ils faisaient la sieste ou l’amour, ces cradingues des deux sexes qui économisaient l’eau à outrance (pas la sueur), ce sang ne constituait pas une mare dont un lecteur se repaît habituellement quand l’héroïne meurt à la fin du récit.

Fulbert songea quelques heures à se suicider dans un autre récit, une histoire à l’eau de rose toxique, un chagrin long comme un conte d’Émile (auteur des Mille

et un Inuits), ce saligaud qui écrivait bien mieux que lui. Il savait pourtant que les mouches, et cette engeance de générations spontanées que sont les asticots jamais ne négocieraient le vase rempli de nourriture dédié au tamanoir, son seul héritier, son prince des idées noires. Rien ne venant dans son esprit, il alluma la télé, grande et lumineuse comme un trompe l’œil sur l’actualité, en direct live. Le spectacle était partout le même : des conflits, des guerres de naguère et d’aujourd’hui, images en noir et blanc, en couleurs, des cadavres logés dans des tranchées ou sur des rafiots de Méditerranée, avec des zooms sur les asticots et les mouches, les regards sur les armes lourdes que des experts expertisaient sur des plateaux en présentant leurs analyses, oubliant parfois que partout les bains de sang remplissent plus que des vases soliflores, toutes les hypothèses étaient ouvertes comme des plaies béantes, famines et volcans d’un rouge carmin dans l’immédiat de l’actualité.

Fulbert éteignit le poste avec sa télécommande. Il désertait la guerre informationnelle mais sans punition avérée d’avoir quitté l’espace cruel de la connaissance du monde tel qu’on le raconte sur les écrans. Alors il se replongea dans un récit à l’eau de rose, et écrivit que tout allait bien dans le monde , et que les mouches et les asticots ne faisaient que leur travail, et que l’héroïne, dans l’histoire, aurait de la veine de ne pas mourir à la fin du récit.

11 07 2023

AK

5 commentaires sur “Les bruts de brut de Pépère : une histoire méchante.

    • Je me fais asticoter à juste titre.
      Mais le tamanoir se nourrit dans les zones ouvertes, pour se reposer dans les zones plus boisées (si le curé entendait ça !). Il se nourrit principalement de fourmis et de termites (terres mythes), en utilisant ses griffes de devant pour les déterrer et sa longue langue collante pour les recueillir (idem curé). Ils sont pour la plupart solitaires … Mais que fait le bousier pendant ce temps? Vole-t-il au renard le camembert trop fait (car au lait cru)? Bon je retourne dans le Sérengeti avaler quelques termites gorgés de lumières pour m’éclairer..

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