Les bruts de brut de Pépère : lire fait-il m’aigrir ?

(Merci au Vieux singe pour ce titre qu’il n’a pas vu venir!)

Certes j’ai lu dans ma vie pas mal de livres, mais ils m’ont tous oublié.

La lecture m’a sans doute offert l’absence de la réalité et ce sentiment d’être désormais devenu aveugle dans un univers qui ne possédait que deux ingrédients : l’encre et le papier. Atteint sans doute d’un mal profond je n’ai pas su comprendre les mots les phrases la ponctuation et les idées qu’ils révélaient muettement. Oiseaux perchés sur les nuages du songe, romans mensongers d’un réel plus vrai que nature, nature plus sensible que la palpation d’une feuille que l’on tourne, et qui meurt dès lors qu’elle a été lue, intrigue amoureuse, sentimentale ou policière qui cherche la fin de son volume empirique et plonge le lecteur sous moult couvertures, endroit qu’il reconduit en rêve sous la quatrième (couvrante) et quand au matin il se réveille d’autres bouquins telles des biquettes rechaussent ses lunettes il s’aperçoit qu’il est atteint de cécité, son cerveau baisse ses paupières comme des stores vénitiens, la cataracte le guette sur les caractères d’imprimerie : le lecteur vieillit, les récits l’endorment. Tous les livres qu’il pensait relire s’enferment dans les étagères de la bibliothèque. Il n’a plus les yeux, la mort approche et l’horloge sonne chaque heure comme un tocsin malsain. Tous les livres l’ont oublié, mais beaucoup l’ont aidé à vivre.

Le jour de sa mort, livré à lui-même, il monte seul dans l’ascenseur qui le mène au paradis des lecteurs. Il trouve le bon dieu en train de lire, et lui demande : « buon diu -il vient du sud-, qu’est-ce que tu lis, donc ? »

L’autre, lui répond : « la Bible, c’est le seul livre que j’ai dans ma bibliothèque. Ces cons des Croisades avec leurs évangiles, les Coraniques musulmans et les Torhas juives ont brûlé aussi (et pas qu’en Suède) les autres bouquins qui auraient pu me renseigner sur les hommes, leurs vérités, leurs réels besoins, alors ma culture, tu penses, réduite à un livre, dont on ignore même le nom de ou des auteurs ! »

Je pensais aux animistes, qui n’avaient pas besoin de papier ni d’encre car les arbres et les rites ancestraux leur suffisaient. Mais tout avait également brûlé, l’Amazonie, les forêts canadiennes, les plumes des indiens, etc) telles des lunettes dans le champ de vision de biquettes dévorent tout ce qui ressemble à la lecture. Bref, tous les livres avaient aboli mon existence en me transportant dans l’espace-temps, et je m’étais perdu dans leurs chemins, ceux qui m’avaient sauvé la vie, pour les avoir suivis ou au contraire les avoir évités.

L’homme est un revanchard : la nature le nourrit mais il grignote tout ce qui va dans le sens du bonheur, du paradoxe terrestre, il vomit pour mieux rouvrir son appétit vindicatif, se moque de tout et se suffit à perdre jusqu’à l’ultime espoir de vivre. Comme les livres ont oublié l’homme dans sa cécité de l’écriture, de l’encre et du papier, les notes dans les marges, crayonnées, l’aventure que les yeux parcourent en suivant les lignes d’une page à la suivante. Dans un puissant silence, lire partout où la vie s’abandonne, puis se mettre debout, maladroit acrobate, et suivre ces chemins qu’inspirent les récits, les romans pour que la vie avance les yeux grands ouverts, jusqu’au cénotaphe dans lequel nulle humanité n’est ensevelie. (Mais gardez les couvertures, elles peuvent servir les grands discours).

Alors, écrire, c’est foutu ?

20 07 2023 AK

2 commentaires sur “Les bruts de brut de Pépère : lire fait-il m’aigrir ?

  1. Il m’est insupportable de voir des gens qui me piquent des idées avant que j’aie eu le temps de les avoir (ça c’est pour le titre). Les livres n’ont pas d’idées mais amènent leurs lecteurs à en avoir. Ecrire, t’es comme un enfant qui fait de la luge sur une pente pas trop forte, comme un primate qui mange du chocolat (plus délicieux que la banane), comme un vieux sans dentier qui sirote son malt non tourbé, t’es vivant, tu le fais savoir et tu te le fais savoir. Lire, c’est respirer. Ecrire, c’est respirer.

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