Passent les jours, les mois et les damnés.

Je ne peux plus me regarder dans un miroir tant tout ce qu’il reflète retourne le blanc de mes yeux vers le Passé. D’ailleurs, par inattention je viens de le briser., le miroir, le Passé est dans le marbre. C’est ce qui pourrait être nommé aveuglement, dérapage incontrôlé dans une salle de bain, ou lutte acharnée entre la chair qui n’est plus canon et celle qui l’était, dans toute l’humilité des plaisirs charnels et des combats amoureux. Victoires à la Pyrrhus.

68 anges me sont passés dessus et un seul d’entre eux un jour m’a séduit , qui se nommait Femme de Tavy, rencontré dans une petite ville de province , ange qui à son tour déprime aujourd’hui et troque ses plumes contre des rides et du rimmel. Les ailes du désir deviennent feuilles mortes et ce qui crisse sous les pieds sont des chansons d’automne, pour qui marche encore dans la vie. Les ombres hurlent quand le soir tombe, et vilipendent le vieillard attardé sur le banc, alors que le gardien du kiosque arrive avec ses clefs. Les enfants ont joué dans le bac à sable, sous le regard des chiens tenus en laisse, ces interdits d’espaces communs obligés de pisser au pied des lampadaires , comme un homme attend sa maîtresse aussi longtemps que la vessie ne le lâche pas, vu le temps passé sous le réverbère . La nuit tombe pour les amants et les étoiles sont plus fragiles que le bris de cette glace qui éclate sur le sol avec ses reflets adamantins.

Alors le miroir tourne le dos à l’homme, la fragilité du bonheur se brise en mille morceaux de mémoires : le bonheur devient voyageur, chaque éclat éclaire (c’est son rôle luminescent) ; des nouvelles vies ne persistent que les défaites et la désillusion, tel un crime parfait dans un polar de série Z. L’homme écrase de sa main le gâteau, il prend la solitude pour maîtresse, dont il sait qu’elle ne le quittera jamais, mais incapable de souffler 68 bougies d’un seul souffle, il écrase d’une main la pâtisserie, et jette sur les visages les murs et les tentures ce qui en composait la texture, le goût et le désir des gourmands rassemblés . Chacun s’offusque, dit que Pépère est devenu gâteux, le dessert devenu irrécupérable alors que toute la famille était venue pour dévorer la pâtisserie avant l’héritage plutôt que pour le grand-père, lui qui a cassé le miroir de la salle de bain en trébuchant : tiens, la famille, voici sept ans de malheurs que je vous offre pour mon anniversaire !

Mais l’heure est venue de l’avouer : c’est moi qui, la première fois, ai brisé ce sale miroir. Il me ressemblait : j’avais treize ans et aucun poil de moustache pour agrémenter ma lèvre supérieure, ni mon menton. J’avais envie de ressembler à mes grands frères, qui se moquaient du morpion que j’étais. Aujourd’hui, c’est ma revanche.

Ces grands couillons sont morts, et ma barbe a poussé , 68 anges dans une vie sans église ni chapelet, pour autant, sachez que si un soir la chance vous sourit, vous pourrez observer un vieillard les bras cerclant un lampadaire éteint rue du Rendez-vous (Paris XIIe), et dites-vous bien une chose : ce n’est pas moi, juste l’ombre blanche de mes nuits qui étincelle dans les yeux des amoureux.

AK 25 07 23

4 commentaires sur “Passent les jours, les mois et les damnés.

  1. il faut voir si ton gâteau a, ou pas, la cerise, car la guigne amène l’écrasement; il faut voir aussi si le réverbère supporte, ou pas, les mictions canines (il ne s’agit pas là de tes dents), ou s’il pleure, attendant tes lumières, celles d’un gamin prolongé qui fait s’éclater de rire les miroirs devant ce spectacle d’une jeunesse conservée (mais ne pas dépasser la date limite d’utilisation)

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