Le peigne de madame G. (rediff)

(Photo prise à Bourisp, festival international du reportage 2002)

Le peigne de Madame G.

Au début était la girafe.Née du nom arabe signifiant charmante. Les mécanismes complexes qui géraient son art de vivre l’ennuyaient. En effet, comment imaginer la circulation sanguine d’un animal buvant dans une mare lorsqu’il relève la tête pour deviner qui le siffle dans la savane, quand l’on sait que quatre mètres séparent le coeur du cerveau, en longitude, ce qui laisse toute latitude au malappris de railler la girafe sans être reconnu, donc en toute impunité. La girafe a un petit carafon en guise de tête, avec deux cornes, comme le porón espagnol, pratique pour étancher la soif mais fragile s’il tombe au sol sous le soleil andalou dont la dureté est connue du taureau et de l’amateur de Jerez, entre autres ( mais Perrette l’ignorait, et son pot au lait aussi). Un système unique d’écluses et de pompes permet à la girafe de faire circuler son sang, comme des acéquias et autres systèmes d’irrigation inventés par les arabes. Bref, la girafe a la tête dans les nuages et les pieds dans les racines de sassafras, quand elle habite en Californie, dans celles du manguier quand elle habite Hong Kong et sur la moquette de la chambre d’enfant quand elle vit à Sofia. Elle peut être grande ou petite voire moyenne. Une grande girafe peut également avoir deux bras et deux jambes, ce que ne possèdent ni la petite, ni la moyenne. On confond souvent, à ce propos, la petite girafe avec le girafon, mais leur train de vie étant identique, il n’est pas nécessaire de les distinguer, ils le font très bien d’eux-mêmes.

La girafe étant ce qu’elle est, reste à observer ce qu’elle fait. Des bushmen du nord de Kigali chassant le bonobo ont découvert par hasard des reliquats de nourriture que les girafes, après avoir festoyé de branches d’acacias, laissaient durcir dans la poussière , au gré des vents savanesques. Leur forme les intrigua, car bien que d’essences parfois différentes, l’uniformité était leur lot et seules les dimensions variaient, selon la taille du mâchonneur. Le chef des bushmen s’appelait Comb. Son grand-père avait navigué avec Christophe Colomb sur la Santa Maria et en souvenir de ses lointains voyages, il appela ses enfants Comb (à cette époque être un petit Comb était le summum de la fierté pour un rwandais des hauts plateaux). Amassant une centaine de ces objets, Comb les analysa. Dans son compte rendu qu’il adressa à l’Académie des Sciences (en décembre 1692), il nota:  » Après avoir longuement comparé ces objets, nous avons cherché à comprendre pourquoi tous étaient constitués de la même manière, à savoir: une branche droite assez rigide, solide bien qu’effilée, et dessous, soudées à la branche, une vingtaine de radicelles tout aussi roides et parallèles les uns par rapport aux autres. Nous avons persévéré et découvert que les grandes girafes, notamment, avaient les dents écartées quand elles souriaient, mais surtout qu’elles souriaient quand on passait l’instrument le long de leur cou dans le sens des poils. Nous en avons conclu que les girafes avaient inventé le peigne, par pur plaisir. » Puis Comb prit goût à ses recherches, n’avança pas son travail et tomba dans l’oubli. L’Académie ne lui répondit jamais, sans doute pour le même motif.

Le peigne était né, il ne mourrait jamais.L’invention du ciseau, par ailleurs, est une autre histoire qui sera traitée ultérieurement, car elle coïncide avec la découverte du gymnaste, donc de l’Antiquité grecque, et est présentement hors sujet. A vrai dire, on se demande quel est le sujet. Bon, eh bien, le sujet est:

LA CAPILLICULTURE: SES SALONS, SON ART, SES MISES EN PLIS (enquête de John Graham, gratte-papier pouilleux à la Dépêche )

Préambule: cette enquête, comportant seulement deux phrases, mais beaucoup trop longues, a dû être remastérisée par un système de cut-up inspiré de W. Burroughs et de TF1 pour la partie visuelle. Souhaitons que le lecteur en sorte indemne.

Un commentaire entendu à la radio: « quand l’économie se porte bien, les gens vont plus souvent chez le coiffeur ». Une théorie sociétale qui s’inscrit pour de vrai dans les forums au coeur desquels nous débattons pour ne point rompre avec le souvenir du cou de la girafe, du coût de la vie, et du coup de ciseau qui nous attend par-là, un jour ou l’autre. Si l’Art de la coiffure remonte à Alexandre ( de Paris), sa pratique s’est fortement répandue dans le no man’s land provincial. Ainsi, à la louche, une cent cinquantaine de ses thuriféraires s’égaillent dans l’agglomération pautoise, de la structure franchisée à l’échoppe de barbier surannée. On trouve toujours dans une ville un salon de coiffure qui convient à son état d’esprit du moment. Il suffit de passer devant, de regarder l’enseigne, et d’entrer si l’évocation publicitaire vous attire. Mais à raison d’un salon par trimestre (sondage INSEE paru en 1792 dans la revue « le coupe-chou », hommes uniquement) une vie de salarié y suffirait à peine (en incluant les congés maladie). Il faut donc faire un choix. C’est difficile, mais délicieux. Si la quête d’un salon de coiffure relève parfois du mysticisme, chez les adeptes du film culte le mari de la coiffeuse notamment,le hasard doit guider l’objectif; c’est une règle monacale pour le quadragénaire à tonsure naissante, une obligation péremptoire pour l’apprenti qui tente chez lui une coupe avec son outillage de supermarché vendu en kit avec tondeuse à embouts divers et pour un euro de plus emporte les bigoudis pour sa frangine (qui a des dreadlocks depuis qu’elle est pubère), c’est une couverture pour l’employé indélicat qui y blanchit sa perruque de la semaine avec de la poudre de merlan frit, un refuge pour les chauves les jours de grand vent (pour les femmes, il en va tout différemment, bien entendu). Citons quelques lieux crédibles pour étayer ces dires. Les grecs malicieux: Homs et Gars, Epsilon, les anglophones: Caract’hair, New Hair, Feeling coiffure, Hair modling, Imagin’hair,Styl brush, Jackylook, les anglo-argotiques: Alt hair Nat Tif, Tchip, Diminutif, Lyli Tif, les javanais: Coupé Décalé, La Coupe, Le Salon,le VIIIe Art,2 en 1, Ligne B., les comme dans le film culte: Daniela, Sylvie, Maïté, Michèle, Denise, Ilona, Patricia, les Jean Rochefort: Hervé, Franck, Stephan, Alex, Pascal, les inattendus: O’zom, Addict,Le Tiffeur Sympa,Tendances, Face à face, Bellevue (dégagée sur la nuque)… Cette diversité n’engendre pas la mélancolie mais ne génère pas toujours la fortune de ces praticiens émérites du ciseau. Et leur avenir reste tendu sur le fil du rasoir qu’ils (elles) font danser autour de nos oreilles (que l’on découvre splendides soudain -de toute façon, c’est trop tard-).

Mais ce qu’il y a de plus fabuleux dans les salons de coiffure, c’est l’ambiance, l’atmosphère particulière, la symbiose humaine. Le cheveu est ici le lien social.Toutes les couleurs s’y shampouinent sans démêlés scabreux, la parole est donnée, partagée, les rires glissent sous les ciseaux sculpteurs, les mauvaises nouvelles se ramassent à la balayette, les mamies racontent leur vie, les jeunettes leur soirée, la patronne surveille le timing de la permanente, on alchimise les colorants dans un bol, noisette ou auburn Madame Ginou-Ginette c’est pas la même chose, vous allez me dire après, tenez, prenez ce magazine, en attendant je finis Monsieur. Alors, Monsieur, ne trouvez-vous pas que votre voisine ressemble à Elisabeth Taylor dans Cléopâtre? Tout-à-fait, et moi, ne trouvez-vous pas que je ressemble à Yul Brynner, dans les dix commandements?

C’est toujours à cet instant, alors que le séchoir ventile votre crâne savanisé, qu’une grande girafe, tout sourire, entre dans le salon. Elle est charmante. L’homme, égaré et sabbatique sous sa coupe orientale, se rêve disant à la beauté: – » si on se faisait un petit ciné, ce soir, ça vous dit? » Et la réponse, toujours la même:- » Si vous vous coiffez d’un haut-de-forme, j’accepte ». Pour clore, ajoutons simplement à l’intention des chauves timides que les chats sont acceptés dans certains salons de coiffure et que l’on peut leur tailler les moustaches en pointe sur simple demande; tous les moyens sont bons pour pénétrer ce cénacle, d’autant que peu de barbus le fréquentent. Un dernier conseil cependant: si votre tempérament aventureux vous fait pousser la porte instinctivement, c’est-à-dire sans avoir pris rendez-vous,munissez-vous de vos lunettes: les magazines people qui vous tiendront compagnie risquent d’avoir de graves conséquences sur votre vision du monde.

AK

4 commentaires sur “Le peigne de madame G. (rediff)

    • Pour l’agglomération pautoise, le nom est dedans !
      Pour l’image, avec wordpress, c’est long et fastidieux de retrouver des photos. Je sais que j’en avais une (de « charmante ») prise au zoo de Berlin, mais j’en ai eu marre de chercher.Du coup, j’ai mis quat’zyeux (plus un fermé car l’heure est dépassée, messieurs et mesdames les visiteurs!

      J’aime

Laisser un commentaire