les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
les textes des confins (2020)
Exil en Normandie
Marcel, mon petit Marcel, je ne te le répéterai pas deux fois : maintenant que nous allons être confinés chez papi et mamie en Normandie, je t’interdis de chausser tes patins à glace, que tu confonds avec des patins en moleskine pour glisser sur le parquet ciré, et ne fais pas l’imbécile, pas de trottinette ni de skate dans la cour gravillonnée, tu m’écoutes ? Comprends donc que papa est fatigué, nous avons mis huit heures pour arriver ici, quand il en faut trois en temps normal par l’autoroute. Oui, Marcel, nous avons pris de petites routes et avons dû mentir aux gendarmes quatre fois en leur disant que mes parents étaient à l’agonie. Oui, mamie est arrivée plus tard que nous avec le coffre plein de victuailles, mais cela ne t’autorise en aucun cas à rayer les tommettes de l’entrée et de la cuisine, ni le plancher en chêne du séjour, du salon et de la bibliothèque où papi fait sa sieste. Tu auras ton goûter à l’heure habituelle, mais sois sage et ne réveille pas le vieux, qui ne nous attend pas. C’est une surprise, alors silence, d’accord ? Oui maman. Je peux aller aux cabinets ? Bien sûr, mais avec les patins. J’ai oublié tes pantoufles à Paris, on t’en achètera ici, sauf s’il y a pénurie. Bon, je rigole. En province, ils ont tous des sabots, sauf en Charente, mais là-bas c’est par flemmardise. Autre chose, mon fils, si quelqu’un te demande dans la rue du village si tu viens de Paris, réponds-lui que p’têt bien que oui, p’têt bien que non. Il te prendra pour un gosse du coin qui fait les courses pour ses grands parents interdits de sortie pour cause de pandémie. Si l’épicier, qui te voit tous les étés et sait que tu voles des bonbons dans ses rayonnages (comme tous ces petits saligauds de parisiens) te demande ce que tu fais là, hors saison, tu réponds mes parents m’ont perdu sur le sentier des douaniers et je suis rentré tout seul. Il te dira alors : c’est vrai, ça ? Bin, p’têt bien que oui, p’têt bien que non. Alors, tu pourras faire les commissions et chaparder quelques friandises quand il te tournera le dos. Mais en attendant, pas de patins à roulettes, de vélo de ballon de foot, juste du calme, si jamais tu réveillais papi nous n’aurions plus qu’à rentrer illico à Paris, tu comprends, Marcel ? Oui maman. Je peux jouer à la Nintendo dans ma chambre ? Oui, mais avec un casque sur la tête. Promis ? Promis maman.
Marcel avait dix ans et son papi Léon 82. Mamie Françoise était discrète et son lieu de résidence principal était la cuisine. Ce qui faisait que le vieux couple ne se réunissait qu’à l’heure des repas. Mais nous fûmes bien accueillis. Roland, mon mari, sut gérer le motif de notre arrivée hors saison et il faut reconnaître que Léon et Françoise n’étaient pas mécontents de voir du monde en ces temps catastrophiques d’enfermement obligatoire. La première semaine se passa bien, le temps était clair et doux. Puis, sous l’influence maritime, le ciel se chargea de nuages, de plus en plus lourds, et Marcel commença à s’ennuyer. Le vent et les averses en vinrent à signer un pacte interdisant au gamin de jouer à l’extérieur. Alors l’ennui devint plus difficile à supporter : pas de copains, les jeux vidéo devenus une obligation finirent par lui être insupportables. Il n’avait qu’une envie : ravager le carrelage et les planchers avec ses patins à glace (précision : ils étaient rangés -et oubliés- à côté des chaînes à neige dans le coffre de la voiture).
Papi Léon en prit conscience, les crêpes et les gâteaux de Françoise ne suffisaient plus. Louise sa mère et Roland déprimaient. L’accès aux plages et aux chemins de balade étaient désormais étroitement surveillés . Tout le monde attendait qu’un nouveau monde advienne. Mais ici on avait la chance de posséder un espace de vie suffisant pour se livrer à des activités ludiques. Le jardin offrait ses tâches pérennes et saisonnières, à l’intérieur de la maison le ménage la cuisine et le repos, la lecture et la musique (papi adorait le bel canto et les opéras italiens notamment).
Léon termina sa sieste ce jour-là et appela Roland. Il retira alors une cordelette qui pendait à son cou, au bout de laquelle se trouvait une petite clé. Une clé qui permet d’ouvrir un tiroir d’assez grande dimension. Vas dans ma chambre, Roland, dans la grande armoire tu trouveras un tiroir qu’ouvre cette clé. Elle contient une boîte en fer blanc de bonne dimension. Prends-la et descends la. Je t’attends. Roland s’exécuta. Cinq minutes plus tard, il était dans le bureau du vieux. Vas chercher ton fils, maintenant, s’il te plaît. Le gamin fait grise mine. Léon lui tendit alors la grosse boîte. Elle était lourde pour un enfant et les décalcomanies dont elle était décorée se décollaient pour certaines. Marcel posa la boîte par terre. Ouvre la, petit morpion ! dit sur un ton sévère et rigolard le grand-père.
Comment décrire l’émerveillement d’un gosse qui découvre d’autres choses ?
Il y avait là tout l’univers d’un grand-père du temps où il était enfant : les voitures Dinky toys, les cyclistes en fer blanc, en métal ou en plastique moulé de Bonux, avec lesquels il jouait au tour de France, les Anquetil, Bobet, Bahamontès, Simpson, Darrigade (…) il y avait des cow boys des indiens des tipis des totems des soldats sudistes, nordistes, des bagarres et des combats inventifs et loin des vraies guerres, mille assortiments pour composer le temps que pour quelques mois il faudrait supporter. Marcel, à la vue de ces jouets désuets, aurait pu dire : c’est quoi, ces vieux trucs, ça pue le rance, moi c’est playmobil mangas et tablette. Bien sûr, il aurait pu le dire. Comme des milliers de petits parisiens exilés en Normandie.
Quand il sauta au cou de son grand-père, celui-ci lui demanda : tu ne serais pas un peu normand, toi ?
P’têt bien que oui, p’têt bien que non !
21 03 2020
AK
(les écrits du confins)
Heureusement, la vie (et la météo) est plus agréable et facile en Bretagne (ceci sans chauvinisme, n’étant pas Breton, plutôt semeur de..).
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Je trouve que toutes ces musiques sont tristounettes (il en est de même dans mon petit pays, cela va sans dire, de même que chez les corses ou les basques, les bigourdans plus proches). Tous ces chœurs, ces musiques, sont lancinantes (très « religieuses » par ici, royaume des Culs-Bénis), comparées aux ultramarines dont pourtant la peine est plus ancienne et profonde. Je peux me tromper, je le reconnais. Mais le Bagad de Lann Bihoué est nettement plus festif. Bien entendu, rien à voir avec mon répertoire utilisé chaque jour dans la cuisinette ou sur le trône, comme celle figurant sur l’article (G. Blanchard).
Au moins, un hymne qui est marrant : (question Savoie)
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il y avait un léger clin d’oeil pour le chauvinisme, un autre pour le formalisme, un autre encore pour le petit coup de vent en cours, etc ..
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Parfois, les chapeaux ronds m’échappent des mains et le temps de tuer le temps m’égare sur des quais pleins de bittes désamarrées de leurs cordages. Pour les quais de gare, c’est différent : je déraille !
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