Fibules (texte brut relaté par une brute)

Fibules

J’ai récupéré les fibules de ma dernière cigarette roulée dans du tabac blond après l’avoir fumée dans le vestibule, puis j’ai sorti mon colt de son étui, un vieil holster que mon père m’avait légué, doucement j’ai fait glisser mes pieds sur tes patins pour ne pas faire de bruit ni de rayures sur le parquet ciré, et j’ai entrouvert la porte de ta chambre avec délicatesse, au fond du couloir. Tu ronflais comme une locomotive qui aurait déraillé dans les vapeurs d’alcool de ces pays de l’Est, mais je savais que chaque soir tu finissais ta nuit à l’Ouest, loin de l’Éden, ton dentier calé dans un verre rempli d’un produit aussi inutile que ta vie à venir.

J’ai pointé l’arme vers le lit, lorsque l’asthénie m’a enveloppé, que soudain je n’ai voulu qu’une chose : m’allonger dans ce grand lit, qui soudain se dressait comme une barricade de la Commune de Paris, mais cette fatigue était franchissable, meilleure que l’opium du peuple, vive et tournoyante dans les six balles de mon colt soudain enrayé de tout tir qui ne soit propulsé par la vengeance aveugle qui pourtant était tout à fait justifiée : pourquoi Laura avait-t-elle placé la litière de Minette dans la partie basse du congélateur ? Pauvre bête, si propre et docile, qui dormait sur le lit quand Julie et moi faisions l’amour.

Plusieurs mondes et nombre de femmes traversent la vie des hommes.Au bout des actes, en fait, il ne reste que le renoncement, et dans le colt nulle balle dans le barillet. Tous les coups on été tirés. J’aurais aimé dire à Laura que…mais elle était déjà étendue sur le tapis, quelques trous avaient ensanglanté sa peau et, en plus, elle ne m’aurait pas écouté. Ça se passe souvent ainsi, dans le petit pays : soit tu prends une maîtresse pour un rendez-vous pour la causette, soit tu apprends à parler aux morts, même à ceux qui ne sont pas encore totalement refroidis. Pour l’histoire, Julie était rentrée à Paris le soir-même.

Comme la place était vacante dans le lit, je m’y suis allongé, glissant mon arme sous l’oreiller de gauche, celui de droite étant plein d’éclaboussures. Il paraît que pour faire un bon assassin, il faut mettre un flingue sous l’oreiller, ce qui est juste, à défaut d’être vrai. Un jour viendra sans doute où dans les écoles du crime on enseignera la portée d’un tel geste, qui aide les meurtriers à passer de bonnes nuits sans remords ni re-morts.

J’ai passé, pour le peu qu’il m’en souvienne, une excellente nuit. Le revolver ronronnait sous l’oreiller et Minette dormait sur la couette, réchauffant mes pieds et les patins que j’avais omis d’enlever en me couchant. Je crois que je m’étais mis en conformité avec ma vie : dormir dans un sommeil turpide (comme le nomme le dictionnaire : écœurant, fangeux, hideux, honteux, ignoble, infâme). Et puis un bon sommeil est dit « réparateur » dans certains manuels scientifiques. Je ne savais plus quoi réparer puisque tout avait été vécu. Peut-être les douilles ? Il restait de la poudre, des fards et des onguents, de l’aloévéra, des comprimés divers : anxiolytiques, anti-dépresseurs, somnifères et toute la panoplie de l’angoisse, de quoi remplir trois des six cartouches qui jonchaient le sol sur lequel Laura était étendue.

Dans le petit pays, les autochtones dont je suis sont procrastinateurs, raison pour laquelle ils ne vont boire du vin de messe qu’à l’heure de l’apéritif, le samedi. Tiens, justement, ma montre connectée me dit qu’aujourd’hui c’est samedi, que midi va sonner, il y a cinq ivrognes au bistrot (dont deux femmes) qui m’attendent pour la messe. Minette m’a laissé un mot sur le bonheur du jour : « je m’exile à Paris, Julie m’a trouvé un hébergement de 9 m2 pour cinquante rats par mois rapportés morts et emballés dans des poches bios à l’hôtel de ville (1 rat pour 15 euros).

Les 3 balles qui restent, rénovées et rechargées, je promets au bon dieu de les lui réserver, s’il tente de venir s’allonger dans mon lit. Mais, par respect des lois, je jure que dans ma dernière cigarette il n’y aura pas trace d’une fibule.

07 12 23

AK

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