Le vent nous emportera t il ?Mais vers où ?

Le vent s’était mis au rythme du temps : violent et dévastateur. Les nuages noirs masquaient le bleu du ciel avec insistance, tout comme le jour s’était réfugié dans un épais brouillard de plomb. Pourtant rien ne bougeait, ni les branches décharnées des arbres, ni les humains. La guerre (on avait oublié laquelle) venait d’éclater au grand dam des pacifistes et des experts en logistique, des locuteurs de géostratégie, des professeurs internationaux et des écrivaillons de thèses politico-prospectrices d’avenirs différenciés selon leur point de vue gorgés de références et de chiffres algorithmiques piochés ici et là, dans la nébuleuse des parutions et des réseaux divers auxquels ils appartenaient.

La porte du temps s’était fermée violemment et ceux qui habitaient ce monde ne purent qu’en constater la couleur rouge brun qui en faisait la teinture universelle. Le temps avait chassé la vie et le vent par un jeu pervers alimentait les braises pour réduire ses couleurs en cendres uniformes. Voilà ce qu’il en était, et personne ne pouvait en réchapper, sauf Martha.

Martha était blonde, jolie dans son élégance un peu campagnarde ainsi que dans son simple appareil quand celui-ci faisait remuer les oreilles des hommes et remonter la température de leurs chaussettes hautement climatiques. Bien que native des rives de la Méditerranée, ses yeux avaient le coloris dansant des aurores boréales et ses lèvres la teinte exquise du piment d’Espelette, le tout réuni dans un visage jovial aux joues pommelées, qu ‘un fard normand légèrement saupoudré de poudre de rose agrémentait, à ne pas confondre avec un far breton noyé dans un océan de nuages gris, couronné de coiffes finement dentelées. Elle avait des mollets de sportive accomplie et ses hanches évoquaient un instrument de musique, telle une anche s’accouplerait à un violoncelle, pourvu que le crin de l’archet ne la fasse chanter en présence de son maître (de musique).

Certes la porte du temps s’était fermée, et le vent s’était mis à son rythme. Pour autant, remonter de la source de son bas ventre à sa poitrine devenait une aventure que nulle série télévisée jamais ne diffuserait, saturée d’événements morbides et nécrophages qu’elle entretenait avec des publicités nourricières et ménagères. Ce qui véhiculait Martha dans la vraie vie (la vie est-elle une vérité ou une longue attente?), c’était sa recherche d’un homme, ou plus exactement d’un poète, un type capable de lui faire pouêt pouêt sur un lit où morsures et tétons dressés rendraient les deux amoureux dans un état de bestialité partagée, avec cette nuance que leurs ébats se feraient naturellement, c’est à dire sans l’armurerie létale fabriquée industriellement pour tuer le temps, le vent et les ventres innocents. Non, un coït à armes égales : des caresses, des pénétrations comme un armistice temporaire, des baisers des parcours de santé pour quand ils vieilliraient, le cas échéant, bref toute une panoplie pour jouer et s’amuser à déjouer la guerre comme des enfants le feraient en temps de paix.

Mais Martha et son amant auraient de fait oublié alors la poésie des jours sans vent, l’ envol récurrent des moments érotiques entre l’humanité charnelle des adultes et le temps passé ensemble ; le vent avait tout emporté dans un souffle inouï, chargé de violence et de destruction, charriant l’aliment des amours au profit de la poussière rouge brun qu’il répandait sur les citadelles et les campagnes.

Pourtant, il y eut une accalmie. Où était-ce ? Certains locuteurs en géostratégie la situèrent au Proche Orient. Mais allez savoir dans quels autres pays les combats continuaient. Ce jour-là Martha découvrit que ce poète qu’elle recherchait était mort. Leur aventure se terminait, et les fantasmes de la belle méridionale aux yeux d’aurore boréale s’achevaient dans les braises aux teintes indifférenciées de l’existence. Elle reçut une lettre du ministère des Armées qui lui apprit la nouvelle. Y était joint un carnet sale et partiellement ensanglanté, comportant une page rouge brun, sur laquelle était inscrite cette phrase : « la poésie est un combat ; c’est pour elle que je meurs. Martha, tu es le temps et le vent qui rythment mes ultimes désirs, je ne t’ai jamais connue mais toujours tu m’as inspiré. Je meurs en paix, mon destin va d’une minute à l’autre investir ma tranchée. Adieu , Martha , la Liberté viendra et nos paroles seront toujours vivantes. Je t’embrasse sur tes lèvres saupoudrées de piment d’Espelette. »

09 05 2024

AK

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