Manchots empereurs pas manchots, juste bandits machos.

L’Histoire nous a appris que les empereurs n’étaient pas manchots et que pour régner en paix sur leurs immenses territoires ils firent travailler d’habiles ingénieurs pour distraire leur population de serfs et d’esclaves ; ainsi naquirent ce que l’on appela les « bandits-manchots », automates spécialisés et connus avant certainement une nouvelle mutation, sous le nom générique d’ algorithmes.

Des ornithologues un peu naïfs avaient jeté leur dévolu sur ces habitants de l’Antarctique un peu plus grands et lourds que leurs congénères (1,22m et 30kg moyen) qui régentaient sur les terres australes une population nombreuse et illettrée de plusieurs milliers d’individus. Cela vaut pour l’aspect scientifique, dont les humains n’ont cure. Et ils ont bien raison, car ce n’est pas leur problème, pensent-ils.

Pourtant, au fil du temps, la mutation des manchots s’est opérée et si ces oiseaux endémiques du pôle sud ont presque disparu, leurs œufs primaux (un par an par couple) et primitifs ont engendré de drôles de raccourcis génétiquement modifiés : les empereurs. Qu’ils soient à couronne, à diadème ou au crâne déplumé ou au contraire orné d’une toison de poils noirs ou blonds intense, tous ces mutants ont fini par envahir, coloniser la terre entière, prenant tous les êtres démunis pour des pingouins, ces êtres natifs des banquises nordiques venus se réchauffer l’été sur les plages méditerranéennes. Le réchauffement climatique serait-il dû au fait que les pingouins remontant ensuite sur leurs territoires ancestraux feraient fondre la banquise ? Non point.

Car les empereurs ont inventé les bandits manchots dans des lieux exceptionnellement lumineux, clignotants, attirants et plus attractifs que les glissades sur la peau d’un ours polaire affamé : le fric, le gain, la magie du jeu, en un mot : le casino. Un Las Vegas, un Miami beach planétaires. Quel pauvre hère désargenté ne rêve-t-il pas de devenir riche, posséder une Tesla, un Iphone à capsule en or, une ribambelle de sous-fifres qui tradent jour et nuit pour encore plus les enrichir, pendant qu’ils se prélassent sous les climatiseurs, entourés de jeunes femmes asservies et d’alcools français ?

Pour revenir à la période actuelle, comment distinguer un empereur d’un simple travailleur ? Il faut constater que, hormis dans les royaumes musulmans, les empereurs sont glabres. C’est une particularité indéniable, voir antique, qu’on aille de la Rome ancienne en passant par la Chine contemporaine, la Russie, l’Inde, l’Argentine, les territoires restreints de l’Élysée, la Corée du Nord, les États désunis, en fait tous les pays dits civilisés à la dure, où l’on marche au pas cadencé et où l’on fustige le repos des travailleurs (des serfs, des esclaves, des pingouins) ne leur offrant que des machines à sous afin qu’ils n’accèdent jamais au simple pouvoir de vivre, se nourrir, rouler en Tesla de Las Vegas à l’espace intersidéral de la misère décervelée, pièce après pièce, tragédie après tragédie.

Deuxième critère d’un empereur : il porte sur son crâne une belle toison de cheveux, aux coloris distincts (sinon, ils ne se distingueraient pas les uns des autres), mais certains d’entre eux dont l’âge ou la rage ont tiré la chevelure dans des missiles balistiques préfèrent couvrir leur chef de chapka-couvre oreilles ou de turban (fabriqué au Bangladesh), ce qui fait que les autres empereurs, un tantinet jaloux, arborent également un couvre-chef voyant, une casquette rouge par exemple. Les pingouins, quant à eux, portent des bérets et des uniformes moins voyants, mais on leur fournit des armes d’assaut pour protéger le pays de toute invasion de briseurs d’algorithmes, et les plus sérieux des pingouins gardent avec solennité l’entrée des casinos pour éviter toute révolte des perdants.

Seulement voilà.

Alors que mon récit prenait toute son amplitude, sa dimension de délire verbal, soudain une femme a frappé au carreau de la cuisinette, qui est à la fois mon bureau, mon scriptorium et l’endroit idéal où les plats se digèrent d’eux-mêmes quand je jeûne pour oublier la vieillesse. Une femme ! Une impératrice devrais-je dire, mais donc liée au règne des empereurs, à l’addiction du baccarat, de la roulette et de tous ces jeux voyous qui balisent ce désir de pauvre d’un soir, au casino, qui rêve de fortune au jeu, en amour, et au paradis (car le joueur croit que le bon dieu lui indique sur quelles cartes ou numéros il doit miser).

Une femme, certes étrange, mais un peu bipolaire, animée d’un tempérament enclin à réchauffer la planète plus qu’une hausse de testostérone dans les glaouïs d’un quadragénaire en plein divorce, une endimanchée australe, m’a demandé si je voulais l’épouser. Les femmes aiment les empereurs, car elles n’ont peur de rien, des hommes comme des tyrans.

Il ne restait qu’un igloo disponible, que les pingouins à Kiev ou à Moscou, nomment métro. Je lui ai dit oui, dans un couloir glacé de la ligne 8. Mais quand elle a voulu me mettre la bague au doigt, elle a découvert que je n’avais plus qu’un bras, l’autre je l’avais perdu à la guerre des empereurs qui ne seront jamais manchots, sauf, peut-être quand les pingouins que nous sommes leur couperont les ailes.

21 11 2024 (à relire!)

AK

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