La pluie ne me donne pas envie de chanter (en ce moment)

La nuit est arrivée. Ce n’est que quand les premières gouttes de pluie sont tombées que je me suis aperçu que j’étais nu. Et aveugle. Les pétales de rose qui coloraient les joues de Clara avaient disparu de mon champ de vision juste avant mon éveil. Et à présent je demeure seul face à l’obscurité et à la solitude. La nuit est tombée et Clara est partie, dans un sinistre bruit de murs transpercés, de vitres éclatées, dans un futur soudainement anéanti. C’est ce que, bien plus au loin, on nommerait rumeurs, mais ici, c’est la guerre, immédiate, froide, brutale, dévastatrice. L’aveuglement général de la propagande qui génère les pluies ardentes de missiles et le rire singulier des minables et sanguinaires bourreaux, fumant et discutant dans l’ovale des bureaux, sur des tables à rallonges proportionnées à leur ambition, leur géographie idéologique, sans frontière ni empathie humaine, mais seuls au monde comme moi devant l’absence de Clara, comme des peuples entiers qui servent le festin dans les assiettes des truands guignolesques qui les dévorent (assiettes faites de chairs humaines, sans religion particulière).

La nuit est arrivée. Dans la noirceur pourtant je palpe dans mes paumes de main sans la trouver ma ligne de vie. Je ne sens que les cals, les ampoules et l’usure de mes pognes qui œuvraient pour bâtir un monde égalitaire, libre et fraternel. Un mur était tombé, des centaines se sont érigés, cloisons factices de résurgences macabres et vengeresses d’un passé doctrinaire dans lequel l’humain n’a qu’une place : la couleur blanche de l’iniquité. Triste jeu d’échecs où la partie place déjà le noir en perdant, dès le départ, sans même envisager que le roi blanc, au minimum, soit pat.(Au jeu d’échecs, le pat est une position dans laquelle le camp ayant le trait et n’étant pas sous le coup d’un échec, ne peut plus jouer de coup légal. La partie est alors déclarée nulle ).

Hier soir encore, nous étions seuls dans la mansarde de la vieille maison (reconnaissable si vous passez en train, car c’est la seule qui reste) de ses parents, et nous chahutions en amoureux. Clara me disait qu’elle ne savait pas si nous suivrions le même chemin quand la paix reviendrait, peut-être aurions-nous chacun un destin différent, et de mes baisers je ravivais sur ses joues cette couleur rose qui ravivait ses joues inquiètes. Vers quatre heures du matin je me suis levé pour aller aux toilettes. Elle s’était assoupie dans le lit, calme, en paix. La bombe a claqué comme un grand rire dans le bureau somptueux d’un quelconque dictateur.

Alors la nuit est arrivée. Ce n’est que quand les premières gouttes de sang ont coulé que je me suis aperçu que j’étais nu.

Dans la noirceur pourtant je palpe dans mes paumes de main sans la trouver ma ligne de vie.

15 03 25

AK

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