les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Aujourd’hui, c’est dimanche. Lundi lui tourne le dos. Plus d’obligations, plus de stress ni d’horaires infernaux, de salaire mensuel. Maintenant c’est dimanche tous les jours. Mais qu’est-ce qu’on s’ennuie le dimanche. Pour éviter la grasse mâtinée on va à la messe, puis un petit verre de vin blanc au café du coin, pour avaler l’hostie du curé qui fond lentement dans le palais et a du mal à descendre l’escalier du paradis. Le dimanche, sur le parvis, un nécessiteux fait la manche, maigre récolte, juste de quoi se payer un verre de blanc chez Alphonse, le seul bistrot du coin ouvert ce jour-là. La semaine, Alphonse compte sa caisse et le lundi, comme la plupart des commerçants il ferme boutique, et il va dans la grande ville coucher avec des femmes de mauvaise vie, du moins c’est ce que l’on raconte, ici.
Alphonse est un grand gaillard et arbore un petit ventre grassouillet sauf quand il mange avec ses nombreux copains du club de rugby, moment où ses bretelles s’allongent en silence. Il a, comme nombre de ses collègues, le crâne rasé. Les vieilles grenouilles de bénitier, quand elles le croisent dans la rue, ont toujours deux réactions : soit ça rend les mâles plus virils ou bien la calvitie leur rappelle la fin de la guerre de 40, voire la chimiothérapie due au cancer du sein dont elles ont subi les ravages. Quelques vieillards chenus, la barbe hirsute, se remémorent les belles chevelures qu’ils arboraient dans les années soixante, manifestant contre la guerre du Vietnam ou bien d’autres conflits générationnels. Ils regardent ces hommes à qui il ne manque qu’un uniforme pour se remettre en ordre sur un champ de bataille, tant ils sont identiques. La mode est à la barbe, le crâne est chauve. Identiques, moches et sans renonciation à se libérer de ces modes stupides, sans parler des tatouages qui formulent une appartenance sans racine historique.
Sur la place arborée des enfants jouent. Aucun ne tente de monter aux arbres par crainte d’être récriminé. Ils ne jouent pas aux billes, ni à la marelle ni à trap-trap. Ils ont les yeux rivés sur leur portable. Un adulte demande à l’un d’entre eux : « connais-tu cinq noms d’oiseau? ». Le gamin le regarde droit dans les yeux : « Y en a plus, monsieur, alors pourquoi cette question ? » Et l’homme va s’asseoir sur un banc et regarde le sol. C’est le miséreux de l’église, celui qui fait la manche tous les dimanches. Un ancien magicien, oui madame, qui faisait sortir son lapin blanc de son chapeau et des colombes des manches de son costume d’apparat. Depuis il dort de temps en temps à la grotte de Lourdes, dans le foyer-refuge ouvert aux miséreux, quand il n’a plus une miette à donner aux oiseaux, oh ! Pas ses colombes, pas son lapin, morts depuis belle lurette ; il ne lui reste qu’une petite valise surannée où se trouvent les images non d’un dieu, mais de ses compagnons défunts.
Mais aujourd’hui c’est le premier dimanche d’automne et lundi peut aller se recoucher, les draps des femmes de mauvaise vie resteront avenantes, car Alphonse (on ne sait pourquoi) est venu s’asseoir sur un banc de la place arborée. Peut-être se sentait-il un peu seul, nul ne le sait. Il s’est assis auprès du mendigot magicien, lui a offert une cigarette (un vrai cadeau au prix actuel). L’un comme l’autre ne disaient mot, seulement quelques gestes de courtoisie. Les gosses jouaient et les arbres ombrageaient l’endroit. Un gamin soudain tendit le bras en criant : « un oiseau, un oiseau ! »
Alphonse se leva promptement et lui cria « Attrape le avant qu’il ne s’envole ! » et le saisissant par les aisselles, il fit grimper l’enfant dans le tilleul centenaire. Il rajouta : « si tu ne l’attrapes pas, tu devras cueillir deux kilos de fleurs de ce tilleul, et je ne te redescendrai pas avant ! »
L’enfant, bien qu’agile et malicieux, ne pût saisir l’oiseau. En lui-même, Alphonse était ravi. Il savait qu’avec deux kilos de fleurs de tilleul il pourrait berner chaque dimanche bien des ouailles au sortir de la messe en faisant passer la tisane pour le contenu des burettes du prêtre. Pour ce qui était du véritable vin blanc, les habitués ne seraient jamais leurrés, mais ce sont des pratiques courantes, loin des grandes villes. quand les dimanches portent déjà les prémices d’un lundi laborieux.
24 08 25
AK
J’aime beaucoup 🙂
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merci !
Bon lundi (aussi)
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