HEY ! Pad? DESOLé monsieur, ici c’est hospice

Samedi dernier, avec les gosses, nous avons rendu visite à Papi, mon père qui est si vieux qu’il en a oublié son nom, son prénom et le code de sa carte bleue (mais le personnel de l’hospice gère tout, et même plus pour les vieux qui n’ont pas de descendance). Oh, pardon ! Ma langue a fourché : ni hospice ni mouroir, mais EHPAD ; nous sommes dans le nouveau monde, et le langage comme la crédulité et le rendement, bref l’aspect strictement financier s’abreuvent de langages plus, disons, actuels. Tenez, j’en ai pour preuve que Jeanne, la plus jeune de mes filles (j’ai trois filles et deux garçons), a proposé d’offrir à Papi un téléphone portable spécial SENIOR. Le vieux a fait toute sa carrière dans l’informatique, des années 1960 à 2000, chez IBM. Il en connaît un rayon, question algorithmes et systèmes binaires. Raison pour laquelle j’ai accepté qu’on lui apporte ce bidule, qui vibre comme un godemichet quand on roupille.

Papi a déballé le paquet, ouvert la boîte en carton recyclable, chaussé ses lunettes rondes du vieux monde (celui des intellectuels du XXème siècle), en a palpé les contours, tapoté les touches, avant de nous regarder : les touches sont en verlan ! Alors il s’est mis à rire, et nous, nous étions paniqués, les vieux ne savent plus rire nous a-t-on appris dans les journaux, car ils n’ont plus de dents, de vraies dents. Ils les ont laissées en entrant, on leur a dit c’est pour que vous ne les perdiez pas, elles seront là, javellisées, quand vous sortirez ! Et on leur colle un dentier appartenant souvent au dernier décédé, adhérentes avec des glus à chardonnerets.

Quand on a accompagné Papi à l’hospice, il y a dix ans (il en avait 80), il a tenté de s’enfuir. C’était même assez rigolo de le voir claudiquer avec sa vieille makila dans le grand parc, il gueulait je veux mourir chez moi, avec mes chats et ma quatrième épouse qui roupille au fond du jardin ! Laissez-moi, bande de cyborgs à la noix, ou je vous transperce avec mes neutrinos ! Finalement un infirmier a du lui tirer une ratatinade d’aiguilles calmantes et le vieux s’est retrouvé dans son lit. A 18 h, il était à table, avec une armée d’inconnu(e)s, qui lapaient gentiment leur soupe en crachotant. Puis le temps a passé, le temps qui ratatine le corps et l’esprit.

Mais le vieux avait encore toute sa tête. Si je pianote à l’envers et que ça ne marche pas, je le prêterai à ma copine Germaine, s’il vibre encore et que je ne peux pas bander. Germaine était le grand amour de la fin de sa vie. Je l’avais aperçue un jour, assise sur un banc du parc ; nous avions parlé, elle et moi (j’étais passé sans les enfants ce jour-là). Elle m’avait raconté sa vie, comme le font les vieux qui survivent grâce à leurs souvenirs, et parlé de Papi, comme le font les vieux qui sont de peu d’avenir. Il la faisait rire et elle aimait ses caresses, son érection volubile, ses mots et les chansons qu’il interprétait de sa voix éraillée mais chaude encore quand ils couchaient tous deux en chuchotant et ça continue encore et encore

Jeanne, qui commençait à s’ennuyer sérieusement, reprit le portable, le tapota avec ses vingt doigts (dix des mains et dix des pieds), soupira et finit par nous annoncer : c’est pas du verlan, Papi, c’est le clavier qui est sur SWE, la langue suédoise. Tu as palpé ton cadeau trop vite !

Tu veux dire que je peux passer une nuit avec Germaine comme si c’était une suédoise ? Tous les vieux de l’EHPAD se souviendraient alors de leur jeunesse, quand ils voyageaient en auto-stop de par le monde, avec ce fantasme de blonde libérée des préjugés ? Mais ils vont tous me sauter sur le poil pour me voler l’engin !

J’ai pas dit ça, Papi!Je peux le mettre sur COV, la langue que le monde entier parle (en ce moment)

C’est quoi, une novlangue ?

Non, c’est COVID19

Bon, ma petite fille, remballe ton cadeau, c’était gentil de votre part, les enfants, mais moi je veux ramener Germaine à la maison, où est ma valise, tas de petits cons ?

Ce fut notre dernière visite à l’hospice, et la mère supérieure nous téléphona le lendemain pour nous annoncer on ne dit pas mouroir, mais EHPAD ; hormis ça, votre père et une certaine Germaine se sont enfuis la nuit dernière. Si vous avez des nouvelles, rappelez-nous, sinon on libérera les lits.

Je crois me souvenir ce soir que Papi avait acheté (dans l’ancien monde) une maisonnette dans le sud de la France, je ne sais où exactement, mais comme il avait refusé le téléphone de Jeanne, nous n’avons jamais pu le géolocaliser.

30 01 2021

AK

6 commentaires sur “HEY ! Pad? DESOLé monsieur, ici c’est hospice

  1. Papi et Germaine se sont tirés ouf, les ehpad sont l’indignité du siècle, un scandale dont personne ne parle parce que ça arrange tout le monde.
    Laisse donc ta fontaine (d’eau pure) couler comme elle a envie, pour ma part je lis toujours même si je ne commente pas à chaque fois.

    Aimé par 1 personne

  2. Amis lecteurs/lectrices, merci de me dire si je suis trop prolixe. Je ne veux pas être trop productif, mais en ce moment, ça coule comme une fontaine (d’eau pure). Merci de m’en faire part.

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