les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Warren attendait au buffet de la gare. Il dévorait un croissant rance qu’il plongeait dans un café tel qu’on en boit dans les pays anglo-saxons avec un nuage de lait, sauf qu’il était à Sète et que la machine à café était en panne. Warren avait un temps investi la gare d’Austerlitz à Paris, avant que les trains n’émigrent vers Montparnasse, ce qui avait ruiné son dernier espoir de faire fortune. Du coup, il était descendu dans le sud avec sa jeune femme, Milly, pour se refaire soi-disant une santé. Mais en fait ce n’était pas lui, l’homme auquel j’avais donné rendez-vous dans cette gare, un photographe en résidence qui exposait au festival Images Singulières cette année-là. Ce fut mon œil qui accrocha ce vieillard et instantanément j’en vérifiai l’identité. L’homme qui avait fait fortune dans les années 80 en investissant en Bourse et aurait vendu son cœur pour une poignée de dollars à des millions d’américains. Mais le dollar avait égalé le réal brésilien, donc ne valait plus rien, Le Yuan et l’or massif des robinetteries saoudiennes avaient pris le pouvoir par l’acquisition des richesses inutiles et des salles de bains aussi stupides que flamboyantes.
Quelques décennies auparavant Warren avait voulu donner au peuple un gage, un partage de la richesse qui soit réaliste et équitable, mais les gens avaient dépensé tout l’argent dans les jeux de hasard et les machines à sous qui les rendirent rapidement plus pauvres qu’avant, quand ils pensaient devenir eux-mêmes millionnaires ; rien n’est suffisant pour un pauvre que de penser n’enrichir que sa misère. Finie la gare d’Austerlitz les croissants dérobés dès que le serveur avait tourné le dos, parti le bruit de l’œuf dur cassé sur le comptoir décrit par Prévert, la ville évolue plus vite que la vie des gens, mais plus personne n’attend sa vie dans un buffet de gare. Sauf Warren, attendant un nouveau train de vie de première classe . Il n’a pas de bagages scotchés à ses mollets. Il les a perdus, ses chaussures en peau de crocodile sont restées à Roland Garros,, sans doute ignore t-il qu’il pleut sur Brest, que le type que je dois rencontrer dans ce buffet de gare est mon père spirituel.
J’ai saisi un siège à proximité de la table, ai demandé : »vous me reconnaissez, monsieur Warren? »
Il ne répondit pas.
Le serveur du buffet de la gare me glissa à l’oreille : « il ne vous dira rien, il est ivre mort, comme chaque soir. Quand il n’a pas sa dose, il va au Zanzi Bar, sur l’avenue, du côté du théâtre municipal. On a la vie qu’on mène, monsieur, et les histoires vont souvent avec . À propos, comment va Milly, on raconte qu’elle sert de modèle au grand photographe actuellement en résidence pour l’expo annuelle du début de l’été ici, à Sète, notre belle ville. Ne désirant pas entamer la conversation, je lui répondis mollement qu’elle allait bien, et fêterait certainement ses cinquante cinq ans sur le trottoir , côté gauche de la Canebière, à Marseille. Sur ce, il prit ma commande et disparut, alors que mon père spirituel, photographe de grande renommée, m’aperçut et me fit signe. Grand et maigre, il se tint debout au comptoir, dans l’attitude de quelqu »un qui esquive le regard d’un vieux démon qu’il ne désire plus croiser une nouvelle fois , Il était accompagné d’un autre homme, qui se nommait Igor, pilier de bar qui avait très bien connu Warren et la vie des gares, quand ils étaient potes avec Boby Lapointe, Brassens, et d’autres désormais décédés en traversant les rails du temps. Sans signe apparent, je saisis le pourquoi de la chose : Milly avait été sa maîtresse, et les séances de photos s’étaient mû en rushes amoureux dans son studio de la rue Bayard, à Paris, dans les années 90, qui avait fait la nique au célèbre studio Harcourt, dans le 16e arrondissement. Milly avait les yeux de Marie Laforêt, jeune. Elle ne les fermait jamais quand ils faisaient l’amour après les séances de shooting. Contrairement à l’épouse légitime de Warren, qui se prénommait Betty, une vieille vache qui ne les ouvrait jamais (les yeux et les cuisses), ce qui avait désespéré Warren qui avait pris une maîtresse, Milly. Mais avoir deux femmes dans sa vie n’est que source de problèmes, de trahisons et de suspicions qui finissent par rendre la vie impossible. De plus, cela engendre des affaires qui tournent mal économiquement, ce qui fut le cas du rachat de la gare d’Austerlitz dont le trafic, par des investisseurs mafieux, s’était vu détourné vers Montparnasse et sa tour maléfique devenue très rapidement un haut lieu du trafic de drogue et de prostitution de luxe (selon les étages les prix montaient).
Je rejoignis le célèbre photographe (mon père spirituel) et son ami Igor au comptoir. Nous engageâmes une conversation qui, pourrait-on dire, tournait en rond comme un ballon de vin. Au fil de nos paroles échangées, je m’aperçus que je n’avais aucune accointance avec mes deux interlocuteurs. Je tournais mes yeux vers ce vieux Warren, qui restait impavide à sa table et que le serveur venait régulièrement alimenter d’un verre de bière. Autant les buffets de gare espèrent que tous ces clients finissent par partir en ayant payé l’addition, autant mes deux comparses s’en moquaient , le zinc étant la sublime destination des alcools ingurgités : pourquoi aller plus loin ?
Sur un présentoir des œufs durs, des sachets de sel, de poivre et de moutarde. Je pris un œuf, du sel, et m’en retournais à la table de Warren. Il leva mollement les yeux. Je fus surpris de voir qu’ils ressemblaient étrangement à ceux de Milly , de Marie Laforêt. Il leva son visage et me regarda quelques secondes avant de balbutier : « vous me prenez pour Christophe Colomb, avec votre œuf ? »
« Non, Warren, j’ai juste un ami qui voudrait faire votre portrait, là-bas, ce grand gars en train de discuter avec un autre ivrogne, au comptoir. »
« Ah, dit-il en souriant, quelle importance ? »
« Je n ‘en sais rien, la postérité peut-être, comme l’œuf de Colomb sans l’Amérique. »
Il rota, mais parut intéressé par mon initiative. Il me demanda ce qu’en penserait Betty, si elle était encore de ce monde, et comment allait la Bourse de NY, de Wall street et qui paierait la tournée après le shooting. Je répondis que les Émirats et d’autres truands lui rachèteraient des tatanes en croco, une place VIP à Roland Garros et un wagon pour lui tout seul dans le film « le train de la mort », en VO sur Netflix, avec une scène érotique offerte. Le projet sembla lui plaire.
M’en retournant vers les collègues scotchés (ils avaient changé de boisson) au comptoir, je dis au photographe, vas-y, il a les yeux ouverts, il faut en profiter.
C’est ainsi que mourut Warren : sept balles flashies dans le buffet…en gare (de Sète).
29 06 2023
AK
Pauvre Warren du Buffet de la gare. Quelle triste fin.
Bon ouikènde, illustre KArouge.
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Bon WE Maëstro !
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superlativement super, et pour prouver que j’ai tout lu : c’est le mû de mouvoir ou de muer ? (il y en a, je te jure, qui pose de ces questions débiles !)
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» les séances de photos s’étaient mû en rushes amoureux »😫🙄😕
les séances de photos avaient muté en rushes amoureux 😉😁. C’est mieux comme ça, non ?
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s’agit il de sextape ou de ruche amoureuse de sa reine ?
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