les babillages de Chinette, les coloriages de Chinou
Je sais, disait Luc à son fils, la vie est dure mais nom de dieu pourquoi ma première épouse t’a-t-elle affublé de ce prénom ridicule : Johan ? Voilà bien un prénom qui pourrait traverser l’Atlantique ou filer tout en bas de l’Afrique pour que l’Histoire du monde n’en ait rien retenu, pas même un lagon dans les Caraïbes avec ses noceurs américains le corps badigeonné de confitures toxiques. Oui, tu es mon fils, mais aussi la cause de mon premier divorce, avec ce prénom qui a embrasé nos discussions familiales jusqu’à incendier le couple uni que nous étions et brûler la toiture en cette nuit de réveillon. Tu ne t’en souviens pas, tu dormais comme la Loire les yeux pleins de sable, d’atterrissements parmi lesquels il fallait louvoyer, avec ton oncle René Fallet et ses potes chaloupant dans la barque.
Je pense parfois à toi, Johan, quel âge as-tu maintenant, quarante, cinquante, que veux-tu j’ai oublié tout ça, je suis un apatride du temps qui passe, et pourtant je me souviens que nous étions d’accord avec ma troisième épouse pour prénommer notre dernier né, le septième, Mohican.
Mais une voiture a renversé le landau quand nous sortîmes de la maternité. Le chauffard n’avait pas vu la flèche rouge du panneau lumineux. Tu me diras qu’avec ma seconde épouse nous pensions baptiser l’enfant (encore un garçon) Poucet. Mais à l’époque la vindicte populaire de mai 68 risquait fort de le voir se faire lapider par des pavés anarcho-syndicalistes.
Cependant, dans ces trente et quelques années où je pus engendrer, deux filles naquirent, dont je vais te raconter sommairement l’histoire, malgré ton prénom à la con, car tout de même a-t-on idée d’être le premier né d’une enfilade de parents aussi compliqués qu’un livre de photos ouvert sur des albums de familles recomposées à mesure que naissait une nouvelle aventure, et qu’ainsi la pile des photos de famille augmentait en taille, en hauteur et en souvenirs indigestes et sans saveurs.
Ce n’est donc qu’avec Anaïs, ma troisième épouse, avec qui,hormis Mohican nous avons eu deux filles. Oui, vois-tu, la vie est ainsi faite qu’elles étaient jumelles. À leur naissance, personne ne distinguait leur gémellité, car Anaïs ne les promenait jamais ensemble et pour l’école primaire, chacune allait dans un établissement distinct, à plusieurs feux rouges de distance. Quand vint la puberté, Lisa et Léonce se détachèrent peu à peu du giron familial et commirent quelques incartades quant aux règles parentales, dès lors qu’elles prirent l’initiative de se promener ou faire des achats ensemble. Or, ces jumelles voyaient loin, tant elles étaient aussi volubiles que leurs yeux étaient perçants. Des yeux de chat disait Anaïs, mais je pensais des yeux de chat…qui chie dans la braise (un souvenir paternel, je l’avoue). Johan répondit que cette réflexion était encore plus stupide que son prénom. De fait, Luc n’insista pas, sautant quelques années calendaires des deux jeunes filles devenues entre temps licenciées d’une grande école britannique, bref des femmes savantes. Il toisa son fils et déclara que ces deux gazelles n’avaient rien à voir avec ce traîne-savate qu’il avait devant lui, ce qui fit monter l’adrénaline dans le corps de Johan, remontant ses boyaux jusqu’à l’étage supérieur de son esprit, d’où d’habitude toute idée ne sortait qu’en fumée opiacée. Pour la première fois, il se mit dans une rogne folle et agrippa son père par le colback, Luc étant soudain plongé dans le coaltar, le menaçant de faire de ses filles chéries des orphelines qui finiraient au couvent des sœurs cisterciennes à cultiver la lavande et à broyer tout souvenir de leur père en faisant de la permaculture. Quant à Anaïs, son épouse, il lui paierait un aller simple en Afrique du Sud, à Johannesburg, où elle pourrait s’envoyer en l’air avec des Boers qui la couvriraient d’or, ou des zoulous multicolores qui la voyageraient dans les Townships de Soweto à Prétoria.
Personne ne sut comment se termina l’algarade, mais une chose est certaine. Ce fut relaté dans la Presse locale : Lisa et Léonce disparurent dans un des 150 bus à impériale que compte cette métropole de plus de sept millions d’habitants. La moralité de cette histoire est simple : n’appelez jamais votre fils Johan.
Le prénom Johan tire ses origines du prénom hébreu « Yehohanan », qui signifie « Dieu est miséricordieux », « Dieu a fait grâce » ou « Dieu pardonne ».
Personne ne me pardonnera d’écrire de telles inepties, je suis prêt pour le sacrifice, si quelqu’un a du bois, une scie, un marteau et des clous. Amen !
09 01 2024
AK
Vive le Zoulou blanc ! Ta traduction de l’hébreu est très approximative, selon mes sources, plus fiables que les tiennes, Johan signifie « dieu est miséreux » ou « dieu a encore fait la grasse matinée » ou encore, pour les plus puristes des puristes, « dieu cartonne » (dans le sens de dieu fait ses bagages).
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