Un rêve absurde (mais un peu Marcel Duchamp)

Je parcourais un rêve absurde -ils le sont tous- quand le réveil a sonné.

Dans ce rêve, j’étais le sigisbée de ma prostate et tentais de lutter contre cette dépendance, dans un contexte n’incluant que des hommes, comme moi devenus fantômes sur la réalité de la vieillesse, alors que les femmes, narquoises, riaient à gorge déployée en hurlant que la ménopause suffisait à leur combat vital et que les vieux rogatons de notre espèce pouvaient bien aller fantasmer avec les quarante vierges qui les attendraient au paradis de qui vous savez.

Le soleil matinal dardait de ses rayons les gondoles du supermarché dans lequel je devais me rendre sous peine de mourir moins âgé que prévu, que l’angélus de l’imprévu, voire du tocsin que ma mauvaise haleine répandrait, comme un gaz sarin dans le métro tokyoïte (1995) sur le village qui apparaissait dans mon rêve et semblait réel par ses rues désertes et ses bâtisses en ruine, où des zombies luttaient contre l’emprise de la Prostate en urinant tels des chiens sans laisse (ni liesse) sur les luminaires et les murs de la cité, rappelant les « dog’s days » new yorkais des années 80.

Bien entendu, je levais mes fesses du lit comme on hypothèque sa vie en comptant ce qu’il reste dans le fond de ses poches, après le médecin, le pharmacien et le distributeur de nourritures célestes et ultra-trafiquées qui vous tendent les bras dans les officines et le supermarché (le seul du patelin). Le rêve reprend alors (son) pied dans la réalité. Hier soir, vous vous êtes endormi devant la télé, et avez utilisé les pauses publicitaires pour aller faire pipi, boire un coup ou fumer une cigarette, avez observé tous ces visages enthousiastes qui croquaient n’importe quoi, dansaient devant un fast-food, qui caressaient tendrement les capots des bagnoles ou, simplement en les regardant, se donnaient envie d’en avoir une. Vous songez : « ces gens-là parcourent un rêve absurde », mais vous ignorez pertinemment que le vôtre l’est tout autant, car vous êtes assujetti à obéir à votre Prostate et à son rythme de vie intense, qui devient chaque jour plus décadent, surtout au royaume des sans-dents désargentés qui patientent avec vous dans la salle d’attente de l’oncologue, à la caisse de la grande surface ou dans les recoins ombrageux d’un mur de pierre connu de tous les sigisbées de la Prostate.

Mais la honte ultime est d’être surpris en train d’uriner dans un bosquet, en pleine après-midi, quand une femme d’environ cinquante ans traverse la rue pour aller chercher des crèmes revitalisantes pour son visage et son corps, ainsi qu’un parfum alléchant pour son garde du corps. Elle fait certainement partie des quarante vierges qui vous attendraient là-haut, chez qui vous savez. Et alors elle vous adresse un sourire sarcastique en criant : « plus de règles pour nous ! Obéissez, hommes liges, aux exigences de la grande Prostate, et pissez dans des poches en résine translucides et imperméables pour assouvir vos besoins, sales chiens ! »

Telle est la loi des rêves qui s’enchevêtrent dans la réalité factuelle, pas la réalité virtuelle que le rêve a déjà investi de son parfum de musc, sous la houlette de la Prostate surdimensionnée et acariâtre qui humilie les vessies dociles et soumises aux diktats des décrets et obligent les hommes à se rendre aux latrines dont la grande Prostate menace de taxer l’accès, les flux migratoires, pour transformer l’urine en or, sous peine d’ inflammation de l’urètre mâle ou de cystite collatérale féminine.

« Urètre ou ne pas être ? Rabibochons nos vessies et luttons contre l’expansionnisme de la Prostate! » Ainsi s’est achevé mon rêve et à mon grand plaisir je n’ai convaincu personne de le suivre jusqu’au bout.

En fait, je suis un vieux roublard , et dans quelques années j’irai certainement rejoindre les quarante vierges pas trop décaties chez qui vous savez, enfin, si le temps s’y prête et si mon planning n’est pas comblé de RDV sous les toits.

04 02 2025

AK

Illustration de l’article : les WC d’un resto à saint Omer, là-haut, de France.

Un commentaire sur “Un rêve absurde (mais un peu Marcel Duchamp)

  1. J’avais vu quelques « œuvres » de Duchamp, du même acabit, et j’ai pensé qu’il a bien dû s’amuser de leurs critiques… il a souvent poussé le bouchon très loin.

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