Quelle vie de chien !

J’étais plongé dans un cruel dilemme : soit je continuais à entretenir la conversation avec mon épouse qui ne m’adressait plus la parole depuis trois semaines, soit j’allais acheter des allumettes et filais entretenir ma maîtresse (bijoux, petit studio meublé avec goût, smartphone, robe de chambre connectée etc). Bref, j’étais en plein doute et avais besoin de conseils. C’est alors que l’idée m’est venue d’appeler mon ami Paul. Son téléphone était sur messagerie, ce qui est pratique surtout quand on a un message à laisser, qui souvent suffit amplement à la réponse attendue si l’on avait l’interlocuteur en direct live, comme on dit. Car la réponse, je la possédais déjà : « va te faire voir, je n’ai pas de conseil à donner à un type qui me doit un bon paquet de pognon. »

Les hommes sont plus aptes à garder les chèvres qu’à résoudre les problèmes de cœur de leurs semblables. Du coup, j’ai continué ma conversation avec Gina, ma femme, en utilisant la télépathie comme moyen de communication. Tout un art, mais très difficile, surtout quand l’émetteur (moi, Bruno) tente de brouiller les pistes dans ses réponses, afin que Gina ne sache rien de ce que j’ai dans la tête, comme cette idée d’aller acheter des allumettes et des amulettes à Flora ma maîtresse. Flora qui est en ce moment en train de chasser le chamane dans les rues de Washington, par moins vingt degrés Celsius. Cela évite au moins les interférences entre elle et nous, du moins pour la durée de notre correspondance mentale.

J’ai donc lancé le test en demandant à Gina si elle pouvait me faire un café. Sans qu’un mot ne sorte de ma bouche. Je l’ai vue alors se lever, aller dans la cuisine et en revenir un peu plus tard avec un verre fumant de vin chaud. En retour, elle m’a dit que cette boisson me donnerait plus d’ardeur pour allumer le feu dans le poêle à bois. Je me suis levé à mon tour, silencieux comme la plaine enneigée qui environnait la maisonnette. Où sont les allumettes ? (là, j’ai du faire un gros effort pour éviter de lui sortir ce qui venait ensuite dans ma tête, je vais aller en acheter et filer entretenir ma maîtresse à voix haute). A cet instant précis, le téléphone a sonné. Gina est allée décrocher l’appareil ; c’était Paul. Il voulait me parler. Pas besoin de haut-parleur, ses mots résonnaient dans toute la pièce. Finalement, dit-il, je veux bien te conseiller, mais j’ajouterai ça à ton ardoise, dont le montant est déjà très élevé. Je lui répondis en parlant assez fort pour que Gina entende c’est bon, j’ai trouvé la solution à mon problème. Là-dessus j’inventais toute une histoire de vaccination contre le rhume et renchéris en lui disant qu’un bon vin chaud avec deux aspirines suffiraient à régler mon malaise. J’interrompis illico la conversation et retournai prendre ma place dans le canapé.

Entre temps, Gina avait trouvé les allumettes et allumé le feu, un feu d’enfer à rôtir un saint. Je félicitais Gina mutiquement, et approchais mes mains pour la caresser. Je sentis sa poitrine sursauter et ses tétons durcir au centre de ses aréoles sombres. C’était un appel secret, comme l’avait ressenti Buck à celui de la forêt, dans le roman de Jack London. Nous commençâmes à nous ébattre avec ardeur, passant du canapé au tapis persan, lorsque entrèrent Flora ma maîtresse et Paul mon ami. D’une voix enjouée Flora nous appela :

« Gina, Bruno, venez vite mes petits amours ! Maman vous a préparé une bonne gamelle au jus de bison, avec des morceaux de chamane yankee ! »

Nous cessâmes nos ébats dans l’instant, dressâmes l’oreille et accourûmes en jappant dans la cuisine où Flora, en riant, nous déclara : « ah, mes petits chiens, vous êtes vraiment adorables ! » Nous la léchâmes et aboyâmes de concert. C’est alors que nous entendîmes Paul dire à Flora : « quels chiens de luxe, ces deux-là ! Ils nous coûtent une fortune. En plus, ils ont failli mettre le feu à la maison en jetant la boîte d’allumettes dans les braises du poêle ! Je n’aurais jamais du laisser la porte vitrée entrouverte pendant notre absence ! Mais nous l’avons échappée belle, chérie, viens donc me rejoindre dans le canapé pendant que ces animaux mangent. Flora n’entendit pas.

C’est alors que Paul commença à penser que le temps était venu pour lui d’aller acheter des allumettes…etc.

08 01 2021

AK

8 commentaires sur “Quelle vie de chien !

    • Il me semble, de mémoire, qu’au début du bouquin (qui date de 1955), un homme est étendu dans sa chaise longue pendant qu’une tondeuse autonome tond le gazon. Plus de 60 ans plus tard nous sommes connectés comme des toutous en laisse (GPS) dans un monde, une planète, qui nous laisse croire que nous sommes libres d’agir et de penser. Certes, nous sommes libres. Mais dans la même logique de celle de la série du « Prisonnier ».
      En fait, nous devenons prisonniers de notre inutilité. Mais c’est du déjà dit :
      (reprise par Cabrel)

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    • Moi non plus ! mais je me suis régalé dans ce mélange entre « demain les chiens » et ces électrons américains (cf le lien dans le texte: le chamane etc).
      Bonne soirée à toi !

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